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Pas de loi, pas de droit à l’oubli ! Par Fabien Pinard, Juriste.
Parution : mardi 18 mars 2014
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La Cour d’appel de Paris a récemment eu à juger d’une affaire relative au droit à l’oubli. Dans cette affaire, les juges privilégient avec force, dans un arrêt très pédagogique, le droit à l’information, estimant que " le droit à l’oubli (…) n’a aucune reconnaissance légale et ne saurait prévaloir sur le droit du public à l’information exhaustive et objective". C’est également l’occasion de rappeler une règle d’origine jurisprudentielle selon laquelle "la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée" (CA PARIS, Pôle 2 – Chambre 7, 26 février 2014, RG 13/01241).

Les faits d’espèce étaient relativement classiques en matière de droit à l’oubli puisque l’on retrouve le schéma d’un individu condamné plusieurs années auparavant, repenti depuis, souhaitant à tout prix tirer un trait sur ce passé. Plus précisément, il s’agissait d’un documentaire tourné sous la forme de « docufiction » intitulé ‘Virée criminelle’, diffusé par la chaîne de télévision W9 le 2 mars 2011, relatant le dossier judiciaire de l’affaire dite ‘des paras de FRANZACAL’ dans laquelle l’individu avait été impliqué et condamné à la peine de la réclusion criminelle à perpétuité.

Les juges de première instance n’ont pas accueilli les demandes de condamnation des sociétés ayant préparé et diffusé le documentaire. Le demandeur a donc été débouté de ses demandes et condamné au paiement des dépens de l’instance.
Déterminé à obtenir l’interdiction de la rediffusion de l’émission sur le réseau de diffusion de la société EDI TV ainsi que l’interdiction par la société CAPA de la cession de l’émission litigieuse, ce dernier a donc exercé un recours devant la Cour d’appel de Paris.

Sa ligne d’attaque était divisée en deux volets : l’atteinte de ses droits à l’image et l’atteinte à sa vie privée.

Sur l’atteinte aux droits à l’image

Sur ce premier volet, il se fondait sur l’article 41 de la loi nº 2009-1436 du 24 novembre 2009 selon lequel « les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification  ».

Les juges évincent rapidement cet argument au motif que les clichés diffusés ont été pris avant l’incarcération et hors tout cadre pénitentiaire et qu’en l’occurrence « aucune image du demandeur prise en détention ne figure dans le reportage et celles qui sont diffusées sont une pertinente illustration du propos du réalisateur qui traite d’un sujet général car est évoquée une affaire judiciaire, dont les caractéristiques furent celle d’un événement public, et abordée la mise en cause de l’armée française confrontée à des investigations conduite en son sein par l’autorité judiciaire  ».

Sur l’atteinte à la vie privée

Le second volet relatif à l’atteinte à la vie privée forme quant à lui le creux de la vague.
Le demandeur à l’appel faisait en l’espèce valoir que le fait de « faire état des péripéties de sa vie familiale et de sa filiation, bafouait sa vie privée  » et que « le respect de son droit à l’oubli, qui est ‘une composante de sa vie privée, avait été méconnu car l’image présentée de lui ne pouvait être que négative et nuire à sa vie privée ainsi qu’à sa vie sécurité’ ». Enfin, et surtout « que cette émission était un nouveau procès et une nouvelle condamnation  ». C’est dans ce dernier argument que réside le nerf de la guerre, le douloureux rappel au public d’un passé lourd de conséquences. Les juges vont adopter face à ces prétentions un raisonnement didactique intéressant.

Premièrement, ils commencent par vérifier la véracité des faits à la base du documentaire et il ne fait ici aucun doute « qu’il est établi que les faits criminels, leur contexte, et la personnalité du demandeur ont été licitement révélés au public par les comptes rendus judiciaires  ». De ce constat, ils rappellent le principe selon lequel la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée. Si cette solution est aujourd’hui acquise, il n’en a pas toujours été ainsi. En effet, les juges du Quai de l’horloge ont d’abord estimé qu’il était possible pour les victimes de s’opposer à une redivulgation dans la mesure où cette dernière était présentée de manière à toucher un nouveau public [1]. En 2002, la Cour d’appel de Paris ira même jusqu’à considérer, sur le fondement de l’article 9 du Code civil, qu’une redivulgation puisse être considérée comme « une intrusion grave et même une ingérence dans la vie familiale dont les souvenirs, même anecdotiques, des bons comme des mauvais jours, constituent le substrat et appartiennent au patrimoine de l’individu  » [2]. Une partie de la doctrine s’est d’ailleurs accordée pour dire qu’il s’agissait d’une première reconnaissance d’un droit à l’oubli. Que nenni. D’ailleurs cette jurisprudence aura valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, cette dernière estimant que « les informations, une fois portées à la connaissance du public par l’intéressé lui-même, cessent d’être secrètes et deviennent librement disponibles » [3].

Dans un arrêt de principe du 3 juin 2004, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel au motif que « la relation de faits publics déjà divulgués ne peut constituer en elle-même une atteinte au respect de sa vie privée  » [4]. Aujourd’hui, la Cour d’appel de Paris semble bien avoir gardé en mémoire cet arrêt qui avait été rendu, à l’époque, à son encontre, et en rappelle avec force la substance.

Seconde partie du raisonnement, les juges de la Cour d’appel rappellent que « la liberté d’expression et le droit du public à l’information, qui en est le corollaire, justifient que les médias puissent évoquer les faits divers ou les affaires judiciaires dès lors que les faits ne sont pas dénaturés et que la relation qui en est faite répond à l’exigence de prudence que doit dicter le respect du droit à la réputation d’ autrui  ». Voici donc un joli rappel du mode d’emploi à destination des médias qui veulent traiter d’affaires judiciaires passées sans être inquiété.
S’en suit une application stricto sensu de la règle de droit précitée aux faits d’espèce dans laquelle les juges constatent qu’ « aucun élément de la vie actuelle du demandeur n’est révélé  », que « la partie de l’émission, (un débat), où est évoquée la situation du demandeur, alors détenu, n’est pas poursuivie par le demandeur qui (…) ne remet pas en cause la réalité des informations divulguées  », et que « le réalisateur n’a pas manqué à son devoir de prudence en révélant sans dénaturation ni extrapolation le contenu d’une affaire judiciaire présentant les caractéristiques d’un sujet d’intérêt général » .

Les juges finissent cette démonstration en établissant sans ambiguïté que « le droit à l’oubli, contrairement à ce que soutient le demandeur, n’a aucune reconnaissance légale et ne saurait prévaloir sur le droit du public à l’information exhaustive et objective comme au cas d’espèce ». C’est clair et précis, au regard des juges du fond, le droit à l’oubli n’a aujourd’hui, et en la matière, aucune consistance lui permettant d’être invoquée devant les prétoires. Dès lors "que les faits ne sont pas dénaturés et que la relation qui en est faite répond à l’exigence de prudence que doit dicter le respect du droit à la réputation d’ autrui" le droit de savoir du public prime sur le droit à la vie privée.

Fabien Pinard Juriste spécialisé en droit des affaires, propriété intellectuelle et nouvelles technologies

[1Cass. 2ème civ., 6 janvier 1971, n° pourvoi 69-12998

[2CA Paris, 1ère chambre, section B, 14 novembre 2002, RG n°2000/20013

[3CEDH, 23 juillet 2009, Hachette Filipacchi Associés (« Ici Paris ») c. France, requête no 12268/03

[42e Civ., 3 juin 2004, Bull. 2004, II, no 272, pourvoi no 03-11.533