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Plaider à Londres aux Prud’hommes. Par Alain-Christian Monkam, Avocat.
Parution : lundi 31 mars 2014
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Plaider en Angleterre devant l’Employment Tribunal (ou Conseil de Prud’hommes) n’est pas un exercice aisé. Avant d’en arriver à cette finalité suprême, les parties représentées par leurs solicitors auront été épuisées par une procédure particulièrement complexe et redoutable.

Les Employments Tribunals, chargés de trancher les litiges entre les salariés et les employeurs, obéissent à des règles de procédure très strictes visées notamment par The Employment Tribunals (Constitution and Rules of Procedure) Regulations 2013. Ces règles sont un mélange entre la procédure de mise en état des Tribunaux de Grande Instance français et la procédure accusatoire des tribunaux américains.

1- La procédure commence par la saisine de l’Employment Tribunal par un acte appelé l’ET1. Il s’agit d’une forme de requête ou d’assignation dans laquelle le demandeur salarié (The Claimant) expose les faits de son affaire ainsi que ses demandes. L’ET1 se rapproche beaucoup de nos conclusions (souvent versées aux débats à quelques semaines de l’audience en France !), à l’exception que l’ET1 ne contient aucun débat juridique sur le droit applicable : les faits, rien que les faits !

2- Une copie de l’ET1 est adressée par le Tribunal à l’employeur (The Respondent) qui répond dans les mêmes termes par un document appelé l’ET3. Il expose sa propre version des faits. Le procès commence alors. (Il convient de noter qu’à compter du 6 avril 2014, il y aura désormais un préalable de conciliation obligatoire devant l’ACAS, sensiblement équivalent à nos bureaux de conciliation du Conseil de Prud’hommes).

3- Un juge de l’Employment Tribunal convoque les parties à une Case Management Discussion qui n’est autre qu’une audience de mise en état très élaborée. Le juge fixera une série de dates pour accomplir certains actes : la communication de la liste des pièces, la communication des pièces, la préparation du dossier de plaidoirie (qui est en Angleterre commun aux deux parties), l’échange des témoignages écrits, la fixation des questions de droit, la clarification de certains points obscurs de l’affaire, la date et le nombre de jours d’audience etc...Bien évidemment, le non-respect de ces dates sera susceptible d’être sanctionnée par un rejet pure et simple de l’affaire (strike out).

4- Le jour du procès, les solicitors auront l’impression d’être transportés dans l’une de ces séries américaines qui inondent nos écrans plats. Tous les témoins de l’affaire doivent comparaître personnellement. Le procès dure de deux à plusieurs jours voire plusieurs semaines. Les solicitors (avocats conseils), assistés ou non par un barrister (avocat plaidant), vont contre-interroger tous ces témoins et chercher subtilement à les coincer par des questions pièges ou pertinentes sur le dossier.

Surtout, le demandeur salarié est considéré comme le 1er des témoins et il risque de passer des heures très désagréables car il sera littéralement harcelé de questions par la partie adverse, l’employeur.

5- Comble de l’affaire : la plaidoirie devant le Tribunal au sens où l’avocat français l’entend (grandes envolées lyriques pendant 15 minutes) est inexistant ici. C’est uniquement à l’issue des jours de comparution des témoins que les solicitors seront invités à présenter leurs observations juridiques (written submissions). Il s’agit là d’exposer très brièvement les points de droit forts du dossier (et certainement pas de recommencer la narration des faits ni de faire pleurer dans les chaumières).

6- Le délibéré de l’affaire sera rendu à l’issue de ce parcours du combattant, soit immédiatement soit à date. Un chiffre est parlant : en 2012, sur 230.000 saisines de l’Employment Tribunal, seules 42.000 affaires sont parvenues à l’audience, c’est à dire 18%. Le lecteur comprendra maintenant pourquoi.

Alain-Christian Monkam Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris https://monkam.uk/