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L’avocat n’est-il plus maître de son monopole sur Internet ? La justice dit oui à "SaisirPrud’hommes.com" et “DemanderJustice.com". Par Valentin Chuekou, Juriste.
Parution : lundi 7 avril 2014
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Le jugement rendu le jeudi 13 mars 2014 par le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris, dans l’affaire opposant d’une part, « l’Ordre des avocats de Paris » et le « Conseil national des barreaux » et d’autre part, les promoteurs des sites internet « SaisirPrud’hommes.com » et « DemanderJustice.com », fera date et pourrait sans doute, modifier les modes d’accès à la justice et laisser un champ libre aux nouveaux acteurs du droit sur internet.

Genèse des faits

A l’origine de l’affaire, les sites internet « SaisirPrud’hommes.com » et « DemanderJustice.com » dont « M. Jérémy O. » est le principal promoteur, proposent une aide en ligne aux justiciables « facturée de 39,90 euros à 99,90 euros selon les procédures », afin de préparer leur dossier de saisine. Cette aide numérique consiste en la constitution de dossiers sur la base de « modèles pré-remplis », l’ « envoi d’une lettre-type de mise en demeure » et, si nécessaire, l’ « envoi du dossier accompagné de la signature électronique du justiciable » pour la saisine du « tribunal d’instance », du « juge de proximité » ou du « conseil des prud’hommes » notamment toutes juridictions devant lesquelles « l’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire » et dont le montant en cause dans les litiges, est « inférieur à 10 000 euros ». A leur actif, les promoteurs des deux sites revendiquent un bilan de plus de « 70.000 dossiers traités, avec 50 % de réussite dès l’envoi d’une mise en demeure et 80% arrivé au tribunal ».

Ces faits élogieux n’ont pas du tout été du goût de « l’Ordre des avocats de Paris » et du « Conseil national des barreaux » qui ont saisi le TGI de Paris pour entendre condamner les promoteurs des sites « SaisirPrud’hommes.com » et « DemanderJustice.com » d’avoir « sans être régulièrement inscrits au barreau », « assisté ou représenté des parties devant les juridictions ou organismes juridictionnels en mettant en place… » des sites internet « destiné(s) moyennant rémunération à réaliser les formalités de saisine de ces juridictions ».

Monopole très protégé de la profession d’avocat

Pour rappel, sur le fondement de la « loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques », le Conseil National des Barreaux et différents barreaux mènent depuis plusieurs années, une lutte acharnée contre les « nouveaux acteurs du droit sur internet » véritables « casseurs de monopoles », en les faisant condamner pour « exercice illégal du droit », prévu par les « articles 66-2 et 72 » qui punissent tout contrevenant à « 4.500 euros d’amende et en cas de récidive d’une amende de 9 000€ et/ou 6 mois d’emprisonnement ». Les avocats ne manquent d’ailleurs pas de préciser sur le site « garantieavocat.org », que « l’exercice illégal du droit, c’est faire du droit son métier, sans y être légalement autorisé » et d’expliquer que c’est « un délit qui recouvre plusieurs réalités » en l’occurrence, « rédiger des actes juridiques ou délivrer des consultations juridiques de manière habituelle et rémunérée, lorsque l’on n’est pas avocat ». Mais, que c’est aussi « représenter, assister des justiciables devant les juridictions ».

A la question de savoir si l’ « on peut saisir une juridiction en ligne ? » Les Avocats répondent unanimement tous en chœur sur le même site, « Non. Pour saisir une juridiction, il faut être en lien avec son greffe ».

Désacralisation du monopole

Appelé à répondre si l’ « on peut saisir une juridiction en ligne », sans empiéter sur le monopole des avocats, ni tomber sur le coup de l’ « exercice illégal du droit », le Tribunal, après une vérification « in concreto » a répondu par l’affirmative en concluant que le promoteur « M.O à travers ses sites internet n’a pas exercé une activité illégale de la profession d’avocat ». Insidieusement, le Tribunal a, dans ses motivations, semblé relever les critères excluant un site internet « d’aide en ligne aux justiciables », dans le champ d’ « exercice illégal de la profession d’avocat ». En conséquence, pour être à l’abri de toute poursuite, le site, outre les mentions légales et les conditions générales de service, doit :
- S’ouvrir sur une page de garde sur laquelle doit-être mentionnée la tâche qu’il se « fixe de remplir » à savoir « permettre à une personne de saisir une juridiction où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire sans se déplacer et sans assistance » ;
- Avoir un rôle passif et doit offrir « une prestation de services consistant à agréger des renseignements tirés de différents autres sites », fournissant des informations juridiques tel le site du « ministère de la justice » ;
- Proposer « une mise en forme automatique du remplissage par le plaignant du dossier » comme le propose d’ailleurs de « nombreux sites informatiques sur des imprimés Cerfa » ;
- Se limiter à la fourniture des informations et renseignements juridiques et non des « conseils juridiques ».
- En outre, les numéros de téléphones présents sur le site doivent être « destinés à donner des conseils pour savoir se servir du site » et non des « conseils juridiques » ;
- Le champ d’intervention du site doit concerner uniquement les juridictions où « la présence d’un avocat n’est pas obligatoire », fut-elle recommandée ;
- L’utilisateur du site doit seul avoir la responsabilité des faits relatés, des infractions inscrits dans les champs pré-remplis ainsi que les « documents » qu’il estime devoir être « joints » « sans aide » et « sans aucune assistance » ;
- Les témoignages de satisfaction des « utilisateurs du site » doivent faire mention du « service » rendu par le site et non du « conseil » et de l’ « assistance fournis ».

Ces critères exonératoires ont permis à la justice de débouter « l’ordre des avocats du barreau de Paris » et relaxer purement et simplement « M. Jérémy O ». Pour le Tribunal, les sites « DemanderJustice.com » et « SaisirPrud’hommes.com » ne sont rien d’autre que des intermédiaires ou entremetteurs d’utilité publique qui servent de courroie de transmission entre les justiciables et le « greffe », en délivrant si nécessaire une information ou « renseignement » juridique et non un « conseil » ou « assistance juridique » qui est du domaine exclusif des hommes de l’art que sont les Avocats. En l’espèce, la terminologie juridique a fait la différence.

Toutefois, cette affaire qui est loin d’être terminée, pourra connaître dans les tous prochains jours de nouveaux rebondissements. Selon une dépêche de l’Agence France Presse, « le parquet de Paris a annoncé qu’il allait faire appel du jugement » et l’ordre des avocats de Paris par la voix de son représentant « Me Alexandre Varaut », à d’ores et déjà, laissé entendre par le même canal que « l’ordre devrait logiquement être présent en appel ». Décidemment, les « braconniers du droit » d’hier, sont en train de devenir des dragons du droit de demain, véritables terreurs pour les barreaux qui n’ont nulle autre solution que d’effectuer le basculement digital en sortant du réel pour entrer dans le virtuel.

Valentin CHUEKOU Juriste: - Propriété intellectuelle et Nouveaux médias. - Droit du Sport (DU). Université de Montpellier 1 - (Créations immatérielles) www.chuekouvalentin.over-blog.com
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