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Exception pédagogique d’oeuvres protégées : comment en bénéficier ? Par Eric Le Quellenec, Avocat.
Parution : vendredi 18 avril 2014
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Quel enseignant dans toute école ou université n’a pas soumis à ses étudiants un texte ou des images présentant un intérêt notoire pour la matière étudiée ? Longtemps tolérée par les auteurs ou leurs ayants droit, cette pratique est de plus en plus dénoncée au titre du « photocopillage » et plus précisément de la contrefaçon. L’encadrement d’une exception pédagogique s’est ainsi révélée incontournable (I) même si son application est d’une complexité notoire (II).

I. Sources de l’exception pédagogique et traduction juridique en France

Directement inspiré du « fair use » américain ou du « fair dealing » canadien, l’exception pédagogique au droit d’auteur a été introduite par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 (considérant 14 et article 5.3). Chaque État membre est libre de transposer ou non cette exception.

La logique européenne est donc d’encadrer le plus possible les exceptions au droit d’auteur tout en les soumettant au fameux test en trois étapes pour mieux sauvegarder les intérêts économiques des ayants droit. C’est donc une logique à l’opposé du « fair use » américain qui n’est pas encadré par des textes précis. Il incombe au juge fédéral sur la base de critères (ou factors) qu’il a déterminé d’apprécier au cas par cas si l’usage est licite ou à l’inverse contrefaisant.

Il a fallu attendre la fameuse loi DADVSI [1] du 1er août 2006 (n°2006-961) pour obtenir une transposition en France de l’exception pédagogique, elle-même n’entrant en vigueur que le 1er janvier 2009. Face au scepticisme et pour ne pas dire à l’animosité des ayants droit sur le principe de rémunération forfaitaire prévue dans cette loi, les ministères de l’éducation nationale et de la recherche ont préféré procéder par la voie de convention avec (seulement) les sociétés de gestion collective les moins réfractaires.

II. Une application complexe de l’exception pédagogique en France

L’article L. 122-5 3° point e du Code de la propriété intellectuelle (ci-après CPI) pose les principales conditions de l’exception pédagogique. Ces conditions sont les suivantes :

La lecture de ce texte ne renseigne absolument pas sur le « comment faire » pour en bénéficier dans sa classe ou son amphithéâtre. Seules les conventions avec les quelques signataires permettent de réellement tirer partie d’un droit d’usage, de représentation et de reproduction de certaines œuvres protégées.

On peut recenser trois principales conventions :

Ces accords fixent donc le régime juridique pour chaque type d’œuvre avec les parties signataires, le plus souvent des sociétés de gestion collective qui ont un mandat de la part soit des auteurs eux-même, soit de la part d’éditeurs ou producteurs.
Dans le domaine de l’écrit, pour savoir si les titres d’un éditeur sont disponibles, il faut le vérifier à cette page.
Le droit d’auteur est d’application internationale. De nombreux éditeurs étrangers sont donc absents. Du reste pour certains éditeurs (par exemple Flammarion), il existe des restrictions importantes.

Pour les œuvres audiovisuelles, la logique est la même. Il ne peut s’agir que des œuvres dont les ayants droit ont confié mandat à la Société des producteurs de cinéma et de télévision (PROCIREP). Si la source de l’œuvre doit être licite, on tolère que le programme ait été récupéré à partir de la diffusion au public même par des chaînes payantes. On relèvera aussi à l’article 1.2 de l’accord que des extraits de 6 minutes (maximum) peuvent être incorporés et diffusés dans un cadre pédagogique (par exemple pour une étude en ligne sur un genre cinématographique).

Pour les œuvres musicales, l’œuvre doit être au catalogue de la SACEM, l’ADAMI, la SACD ou encore les SCPP, SDRM, SPPF. Il n’existe pas de particularités notables pour ce type d’œuvres.

Même si les critères de ces accords sont tous remplis, il faudra prendre soin de respecter les droit moraux en « sourçant » l’œuvre utilisée de manière rigoureuse.

Enfin, pour les manuels scolaires ou universitaires (ou tout contenu à finalité directement pédagogique), les livres numériques, partitions et plus généralement toutes les œuvres non visées dans le répertoire couvert par les conventions avec les ministères, il n’existe aucune exception applicable. Faut-il d’ailleurs rappeler que l’exception de (courte) citation ne vaut que pour les textes écrits, à certaines conditions et, en tout cas, surtout pas pour tout autre média. Quant aux exceptions à des fins d’information, de revues de presse ou de parodie et caricature, elles ne trouvent pas à s’appliquer (ou alors de manière marginale) dans un établissement scolaire ou universitaire.

Pour ne pas freiner inutilement la diffusion du savoir, on peut saluer l’initiative de certains auteurs, éditeurs ou producteurs qui n’hésitent pas à placer d’eux même une oeuvre sous un régime de licence libre (« creative commons ») ou sous exception pédagogique (voir par exemple, le cas de France télévision).

En conclusion, à l’approche des prochaines vacances, pour la diffusion d’un film pour ses élèves et plus généralement pour l’utilisation de toute œuvre protégée, l’enseignant aura donc tout intérêt à travailler de concert avec son documentaliste pour s’assurer qu’il dispose bien d’une copie pouvant être librement diffusée. [2]

Eric Le Quellenec, Avocat spécialiste en droit des nouvelles technologies, de l'informatique et de la communication.

[1pour droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information

[2Pour mémoire, en France, la contrefaçon est réprimée par les articles L331-1-3 et L335-2s du code de la propriété intellectuelle d’une peine de 3 ans de prison et de 300 000 € d’amende outre les dommages et intérêts dus à l’auteur et/ou éditeurs-producteurs.