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Utilisation abusive de backlinks : pas de contrefaçon mais un acte de concurrence déloyale…Par Michaël Malka, Avocat.
Parution : jeudi 15 mai 2014
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Dans un arrêt en date du 28 mars 2014, la Cour d’appel de Paris a jugé que l’utilisation de façon intense de la marque et dénomination sociale d’un concurrent, sous la forme d’un mot clé dans le cadre de la création de backlinks, caractérisait un acte de concurrence déloyale et parasitaire et non une contrefaçon..

En l’espèce, la société Sofrigam, titulaire de la marque semi-figurative éponyme, s’est aperçue que, dans le moteur de recherche Google.com, une recherche basée sur le mot-clé Sofrigam faisait apparaître le site édité par l’un des ses concurrents en troisième position et, sur le moteur de recherche Google.fr, en cinquième position, après le sien.

Il a été établi que ce positionnement résultait d’une « attaque SEO » du concurrent, lequel avait utilisé le terme Sofrigam pour créer des backlinks pointant vers son propre site.

Rappelons qu’un « backlink » ou « lien retour » est un lien hypertexte redirigeant vers un site ou une page web à partir d’un mot clé également dénommé ancre.

Un nombre élevé de backlinks permet d’améliorer le référencement naturel du site internet qui en est la cible dans la mesure où il représente, pour les moteurs de recherche, une indication de la réputation dudit site.

Dans cette affaire, la société Sofrigam avait relevé l’existence de 775 backlinks ayant pour ancre sa dénomination sociale et marque redirigeant vers le site de la société Softbox Systems, son concurrent indélicat.

Elle a donc assigné la société Softbox Systems devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de sa marque, concurrence déloyale et parasitaire et publicité de nature à induire en erreur.

Dans un jugement en date du 1er février 2013, le Tribunal de grande instance a rejeté l’intégralité de ses demandes.

C’est cette décision que la Cour d’appel de Paris a réformé partiellement dans son arrêt du 28 mars 2014.

La Cour a, tout d’abord, confirmé la décision attaquée en ce qu’elle avait débouté la société Sofrigam de sa demande formulée au titre de la contrefaçon de marque.

En l’espèce, l’usage de la marque Sofrigam à titre de mot clé lié n’était pas contesté.

La Cour d’appel précise même dans son arrêt qu’en «  choisissant le mot-clé de la marque de sa concurrente à des fins de référencement internet et donc sa promotion » la société Softbox Systems a « fait usage de celle-ci dans la vie des affaires et en a tiré un avantage économique ».

Cependant, poursuit la Cour, l’usage de ce signe n’est pas exercé pour des produits ou services mais pour faire apparaître son lien promotionnel dans les résultats qui n’est qu’un site de présentation de sa société et qui ne permet pas la vente en ligne.

Les liens associés au mot Sofrigam étant pour l’essentiel invisibles, ils ne sont pas, selon la juridiction d’appel, « susceptibles de générer une confusion dans l’esprit de l’internaute qui cherche à acquérir des produits Sofrigam et qui trouvera, à l’issue de sa requête naturelle, le site de la société Sofrigam ».

Cette motivation n’est pas sans rappeler les termes de l’arrêt de la Cour de cassation du 25 septembre 2012 [1] , rendu à la suite des trois décisions « Google » de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 23 mars 2010.

Si la matière est différente puisque, dans cette dernière affaire, il était question d’un usage de marque dans des liens commerciaux, le raisonnement juridique est le même : l’absence de risque de confusion dans l’esprit du (cyber)public est exclusif de toute contrefaçon. En l’espèce commentée, c’est le caractère invisible du backlink qui fait obstacle à ce risque.

En revanche, la Cour d’appel réforme la décision de première instance sur le terrain de la concurrence déloyale et parasitaire, en estimant « qu’en utilisant la dénomination sociale et le nom de domaine d’une société concurrente sous la forme d’un mot clé, utilisé de façon intense dans le cadre de création de backlinks, lors de requête de recherches naturelles, à l’effet de tromper les moteurs de recherche, a, provoqué de ce seul fait, un détournement déloyal de clientèle qui risque d’être moins visité, ainsi qu’une utilisation parasitaire de l’investissement effectué par la société Sofrigam créée antérieurement largement connue dans le marché considéré, en augmentant de façon détournée, ainsi sa visibilité. »

Ainsi, c’est à la fois le but poursuivi et la méthode utilisée par la société Softbox qui sont condamnés par la Cour d’appel de Paris.

Il avait déjà été jugé que la pratique visant à « tromper les moteurs de recherche » dite aussi « spamdexing » était constitutive de concurrence déloyale [2] .

Il est vrai que la notion de tromperie induit nécessairement l’existence d’un comportement fautif susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur.

A cet égard, force est de rappeler que la Cour de cassation exige que les juges du fond caractérisent l’acte déloyal sans lequel le démarchage de la clientèle d’autrui par l’utilisation de l’un de ses signes distinctifs dans un lien hypertexte, fût-il commercial, doit être considéré comme licite [3] .

En l’espèce, c’est l’intensité de l’utilisation du signe distinctif de la société Sofigram aux fins de duper les algorithmes des moteurs de recherche qui caractérise cette déloyauté.

Le préjudice subi par la société Sofrigam résulte, selon la Cour, « d’une perte de chance d’être plus amplement visitée au profit de cette concurrente. »

Cette pratique qui était déjà lourdement sanctionnée par les moteurs de recherche tels que Google se voit donc désormais proscrite par la jurisprudence.

Il faut d’ailleurs s’attendre, eu égard au raisonnement suivi par la Cour d’appel de Paris, à ce que les techniques de SEO « black hat », comme celle utilisée dans cette affaire, entrainent de plus en plus souvent des condamnations au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.

A bon entendeur…

Michaël Malka-Sebban Avocat à la Cour https://www.malka-avocats.com

[1Cass. com 25 septembre 2012 n°11-18110

[2CA Douai 5 octobre 2011 affaire « saveur bière » : stratégie SEO sur des sites satellites sans contenu

[3Cass. com 29 janvier 2013 n°11-21011 et 11-24713