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Foot et responsabilité civile : pas de grand retournement pour le retourné. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : lundi 19 mai 2014
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Le retournement irrigue l’essence profonde du monde.
C’était l’agent secret, démasqué, qui sera utilisé contre son camp, comme dans le roman de V. Volkoff.
C’est la solution de droit retroussée par la jurisprudence.
Parfois, le retournement, contre toute attente, se prophétise même en économie.

Dans le football, il s’appelle « le retourné ». Davantage qu’un vulgaire coup de pied dans le ballon, il est un sommet de l’art de la balle au pied, une sorte de pic esthétique, apte à propulser le projectile vers les hauteurs et son auteur vers les étoiles, qui veillent les plus grands.

A temps pour la coupe du monde, dans un parfait cadencement apte à noyer les vaines polémiques d’aérogares imparfaits et autres stades inachevés, la Cour d’appel de Nancy [1] apporte sa contribution à la théorie du retournement.

Durant le match d’entraînement, un joueur tente le fameux « retourné ».

Malheureusement, n’est pas Zlatan qui veut, et si la balle n’est guère touchée, en revanche, la poitrine d’un vaillant défenseur, elle, se trouve bien enfoncée. Bien malheureusement, celui-ci est gravement blessé, avec des séquelles lourdes et irrémédiables. Pour une part, les dommages proviennent également de dysfonctionnements dans la prise en charge médicale, qui ne sera pas, en l’espèce, vraiment inquiétée judiciairement.

Or, le ballon est le seul corps que le pied est autorisé à frapper, par la norme interne du terrain. Les coups de pieds sur les autres joueurs sont prohibés et sanctionnés, même ceux donnés par inadvertance (« loi 12 » du règlement international du football).

La victime est déboutée par le Tribunal de grande instance de sa demande d’indemnisation formulée contre l’auteur et contre le club, au visa des articles 1382, 1383 et 1384 alinéas 1, 4 et 7 du Code civil.

Car pour constater la présence d’une faute civile, encore faut-il que le dommage soit intentionnel. Les faits, à l’inverse, montrent que l’auteur du dommage n’a pas pu voir la victime, qui arrivait dans son dos. Pas de coup de pied visant délibérément un joueur, pas de faute.

Le dommage provient en fait de la concomitance d’actions des deux joueurs, cherchant le ballon, l’un ne voyant pas l’autre, et non de l’acte d’un joueur sur l’autre. La cause du dommage réside dans « la volonté de conquérir le ballon ». Il s’en déduit que le ballon n’est pas la cause du dommage et que la recherche de son gardien est vaine.

En l’absence de faute du joueur, la responsabilité civile du club ou de l’association sportive ne peut être actionnée [2].

Au final, la Cour juge que la faute interne au jeu, la faute sportive, n’est pas équipollente à la faute civile. Elle rappelle que les joueurs acceptent les risques du jeu quel que soit le type de match « l’implication des joueurs étant la même à l’entraînement qu’en compétition ».

L’acceptation des risques comme limite à la responsabilité du fait des choses ne peut, ici, s’appliquer (à l’inverse, dans un dommage différent : Cour de cassation, Civ. 2e 4 novembre 2010, n°09.65-947, 1988).

Le retourné, ou ciseau, s’il est dangereux, effectué sans précaution, peut être sanctionné sportivement, mais pas civilement. Le « fait de jeu » n’est pas une faute civile.

Attention donc au maniement du « retourné », au Brésil comme ailleurs : le football garde une place abritée civilement, pour la violence physique. Par définition, cette acrobatie dangereuse ne permet pas de voir un éventuel adversaire ou coéquipier de jeu arriver en direction du pied.

C’est peut-être également vrai en économie ou en politique, d’ailleurs.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires www.isfi.fr www.droit-distribution-bancaire.fr www.droit-distribution-bancaire.fr

[1Cour d’Appel de Nancy, 22 avril 2014, n°14/0153, n°12/001397 et n°12/01132

[2Cour de cassation Civ. 2e 22 mai 1995 n°92.21-871, dans le cas d’une bagarre

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