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Annulation du permis de construire de La Samaritaine (rue de Rivoli). Par Catherine Taurand, Avocat.
Parution : vendredi 23 mai 2014
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Par jugement du 13 mai 2014, le Tribunal administratif de Paris a, en formation de section et sous la présidence de M. Merlin-Desmartis, annulé le permis de construire du 17 décembre 2012 par lequel le maire de Paris avait autorisé la SA Grands Magasins de la Samaritaine Maison Ernest Cognacq (groupe LVMH) à restructurer l’ensemble de bâtiments dit « Îlot Rivoli » du site de la Samaritaine, inscrit aux monuments historiques depuis juillet 1990 (TA Paris, 7e section, 13 mai 2014, n° 1302162, Association SPPEF et Association SOS Paris).

Le permis contesté autorisait la construction d’un ensemble de bâtiments de sept étages sur trois niveaux de sous-sol à usage de commerce (6 893 m2) et de bureaux (8 648 m2) complété par la création de quarante et un logements sociaux. L’édifice de 25 mètres projeté s’inscrivait dans un rectangle de 73 mètres sur 48.

Le moyen qui a emporté la conviction du juge est celui tiré de la méconnaissance de l’article UG.11.1.3 du plan local d’urbanisme, alors même que les conclusions de son rapporteur public allaient plutôt dans le sens inverse.

L’article UG11.1. du PLU parisien prévoit que :
« Les interventions sur les bâtiments existants comme sur les bâtiments à construire, permettant d’exprimer une création architecturale, peuvent être autorisées. / L’autorisation de travaux peut être refusée ou n’être accordée que sous réserve de prescriptions si la construction, l’installation ou l’ouvrage, par sa situation, son volume, son aspect, son rythme ou sa coloration, est de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales  ».

L’article UG.11.1.3 du même règlement relatif aux constructions nouvelles précise que :
« Les constructions nouvelles doivent s’intégrer au tissu existant, en prenant en compte les particularités morphologiques et typologiques des quartiers (rythmes verticaux, largeurs des parcelles en façade sur voies, reliefs...) ainsi que celles des façades existantes (rythmes, échelles, ornementations, matériaux, couleurs...) et des couvertures (toitures, terrasses, retraits...). / L’objectif recherché ci-dessus ne doit pas pour autant aboutir à un mimétisme architectural pouvant être qualifié esthétiquement de pastiche. Ainsi l’architecture contemporaine peut prendre place dans l’histoire de l’architecture parisienne./ Les bâtiments sur rue se présentent en général sous la forme de différents registres(soubassement, façade, couronnement), qui participent à leur composition architecturale, en particulier en bordure des voies et des espaces publics. Les traitements architecturaux contemporains peuvent ne pas traduire le marquage de ces registres, qui peuvent toutefois être imposés dans certaines configurations (...) »

En d’autres termes, les constructions nouvelles s’intègrent au tissu urbain existant, lequel prend en compte le caractère du quartier, les façades et les couvertures.

Le paragraphe 2 (façades sur rues) de cet article prévoit expressément que :
« 2°- Façades sur rues : / Le plan de la façade donne la lecture urbaine de l’implantation et de la volumétrie des constructions : il présente donc une importance particulière./ La bonne transition volumétrique et architecturale de la construction projetée nécessite que soient prises en compte les caractéristiques des bâtiments voisins (nus de façades, hauteurs des niveaux, modénatures ...) » .

A cet égard, le tribunal administratif de Paris a relevé que la réalisation de l’objectif précité d’intégration au tissu urbain « n’implique pas le mimétisme des façades et que l’architecture contemporaine a sa place à Paris ».

Cependant, il relève que « le tempérament ainsi apporté, qui permet au maire de Paris d’accorder des permis pour des projets s’écartant en tout ou partie des registres existants, n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de priver de portée concrète les dispositions précédentes qui prescrivent la bonne insertion des édifices nouveaux, fussent-ils résolument contemporains, dans leur environnement ».

Quant au paragraphe 4, il dispose que :
« La pierre calcaire et le plâtre sont dominants à Paris et donnent à la ville sa tonalité générale. Le respect de cette tonalité majoritairement présente ne doit pas cependant interdire l’emploi de matériaux et teintes pouvant s’insérer dans le tissu existant, en particulier dans des secteurs de constructions nouvelles (…) / Le choix et la teinte des matériaux peuvent être imposés lorsque la construction se trouve dans une séquence d’architecture homogène ».

En l’espèce, le projet attaqué prévoyait que la façade prévue sur la rue de Rivoli serait constituée d’un rideau de verre sérigraphié translucide qui, selon la notice architecturale, se présenterait comme «  une double peau de verre finement ciselée, à l’ondulation douce…aboli(ssant) la notion classique de façade au profit d’une fine membrane établissant une interface subtile entre l’intérieur et l’extérieur … et réfléchi(ssant) dans ses plis les immeubles alentours (tout en laissant) deviner les nouvelles activités de la Samaritaine à travers un jeu subtil d’ondulations irrégulières et maîtrisées ».

Le Tribunal a été peu sensible à ce parti pris architectural en relevant que « le tissu urbain du quartier entourant la Samaritaine, dans lequel s’insèrent de nombreux monuments, certains exceptionnels ou emblématiques, est surtout constitué d’immeubles de pierre construits au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle pour les constructions bordant la rue de Rivoli, et au dix-huitième siècle pour les immeubles des rues adjacentes » et que « si les ornementations et les rythmes de ces immeubles peuvent avoir varié suivant l’époque de construction, l’homogénéité de l’ensemble est assurée par l’emploi de la pierre de taille en façade, par un même traitement des toitures, en pente, en ardoise ou en zinc, par une unité des registres décoratifs notamment ceux des fenêtres et des balcons, et par une relative régularité des volumes ».

Il a convenu que « des façades d’immeubles voisins de la Samaritaine comportent des éléments disparates, voire peu heureux  » mais considère que « la cohérence d’ensemble du tissu urbain de la section commerciale et populaire de la rue de Rivoli a cependant été globalement préservée ».

Selon le Tribunal, la juxtaposition de cette façade, de 73 mètres de long et 25 mètres de hauteur, d’une part, et d’immeubles parisiens en pierre, variés mais traditionnels, d’autre part, « apparaît dissonante ».

Il en a conclu que « eu égard notamment à la nature et à la destination de cet immeuble, et en dépit de ses qualités architecturales intrinsèques, les requérants sont fondés à soutenir que le projet, sur l’artère où il est implanté, ne satisfait pas aux prescriptions de l’article UG.11.1.3 » et a, par conséquent, annulé le permis par lequel le maire de Paris avait autorisé la restructuration de l’ensemble de bâtiments « Îlot Rivoli » du site de la Samaritaine.

Les travaux sont donc désormais stoppés rue de Rivoli, alors que la Samaritaine est déjà fermée depuis 2005 et que trois immeubles sur quatre ont déjà été détruits.

Soit LVMH interjette appel de ce jugement mais cet appel n’est pas suspensif, soit il choisit de modifier le projet pour répondre aux exigences décrites par le jugement, ce qui implique de revoir totalement le parti pris architectural du projet.

Il semblerait que LVMH comme la Ville de Paris se dirigent vers un appel, ce qui est légitime, compte tenu du fait que le jugement a été rendu sur les conclusions contraires du rapporteur public.

L’enjeu est colossal (450 millions d’euros entièrement financés par le groupe LVMH) et l’issue de cette affaire en appel est particulièrement aléatoire.

En effet, considérer que la juxtaposition du nouveau bâtiment, et plus particulièrement sa façade ondulante, exclusivement réalisée en verre, avec des immeubles parisiens en pierre, « variés mais traditionnels », apparaît « dissonante, relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Catherine Taurand Avocat à la Cour cabinet@taurand-avocats.fr https://taurand-avocats.fr/