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Les mutations des fonctionnaires de police sont-elles toujours fondées sur des critères objectifs et impartiaux ? Par Jean-Yves Trennec, Avocat.
Parution : mardi 27 mai 2014
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Dans la police, les mutations sont un sujet sensible. La pénibilité des affectations en région parisienne, l’éloignement de la région d’origine, expliquent que beaucoup de fonctionnaires de police entendent obtenir leur mutation après avoir accompli ce qu’ils considèrent comme un sacerdoce ou un temps d’épreuve. Ces décisions de mutation doivent être irréprochables.

Un jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 21 novembre 2013 laisse planer le doute et tend à remettre sérieusement en cause cette objectivité [1].

Au cas particulier, le requérant était un fonctionnaire de la police des airs et des frontières affecté en région parisienne et recherchant depuis longtemps un point de chute dans la région de Toulouse ou d’Albi. En dépit de ses excellentes notations, de son ancienneté, de sa manière de servir, il constatait avec dépit que ses demandes étaient toujours rejetées alors même que des collègues moins bien classés obtenaient sans peine leur affectation dans les circonscriptions qu’il convoitait. Plus paradoxal encore, certaines mutations étaient obtenues sur des circonscriptions non ouvertes aux mouvements de mutations.

En mai 2010, sa demande de mutation étant une nouvelle fois restée lettre morte, Monsieur X a décidé de porter l’affaire devant le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise en vue d’obtenir l’annulation de son refus de mutation et l’annulation des arrêtés de mutation des collègues irrégulièrement avantagés.

Bien lui en a pris. Dans le jugement qui lui donne gain de cause, le Tribunal commence tout d’abord par critiquer la composition de la commission administrative paritaire nationale qui examine les candidatures à la mutation.
Le Tribunal constate que la composition de cet organe est irrégulière dès lors qu’ont pu siéger dans la commission des personnels qui appartenaient à un grade non immédiatement supérieur à celui du requérant.

La règle de droit telle qu’elle est formulée par l’article 34 du décret n°82-451 du 28 mai 1982 est pourtant claire : «  Lorsque les commissions administratives paritaires siègent en formation restreinte, seuls les membres titulaires et éventuellement leurs suppléants représentant le grade auquel appartient le fonctionnaire intéressé et les membres titulaires ou suppléants représentant le grade immédiatement supérieur sont appelés à délibérer ».

Dans cette affaire, le fonctionnaire de police candidat à la mutation ayant le grade de gardien de la paix, sa candidature ne pouvait être examinée que par des membres ayant le même grade ou titulaire du grade immédiatement supérieur, à savoir : brigadier de police.

Le Tribunal constate pourtant qu’il n’en a pas été ainsi ; « Lors de l’examen du mouvement des mutations étaient présents (...) des représentants du personnel du grade de Monsieur X et du grade immédiatement supérieur, soit brigadier de police mais également des représentants du grade de brigadier-chef de police et de major de police »

Le Tribunal en tire immédiatement la conséquence, la composition de la commission nationale étant irrégulière, la décision de refus de mutation doit être annulée.

Le Tribunal administratif examine ensuite si la valeur des autres candidats à la mutation permettait à l’administration de les favoriser par rapport au requérant : Monsieur X.

La réponse est cinglante pour le Ministère de l’Intérieur puisque le tribunal constate que celui-ci s’est trouvé dans l’incapacité de justifier le choix des autres candidats de préférence au requérant : « En l’espèce, le ministre de l’intérieur n’a produit aucune justification précise de nature à établir l’existence de motifs tirés de l’intérêt du service pour justifier son choix et retenir à la place de la candidature de Monsieur X, les candidatures de (...) » suivent les noms de onze fonctionnaires.

Le Tribunal tire alors la conséquence de l’absence d’existence de motifs tirés de l’intérêt du service pour justifier les mutations contestées en annulant purement et simplement les arrêtés de nomination des onze fonctionnaires indûment avantagés.

Cette lourde sanction infligée par le tribunal ne peut par ailleurs que susciter la réflexion.

On est en droit de s’interroger sur les critères qui sont mis en œuvre au Ministère de l’Intérieur pour justifier les mutations. Car si les profils correspondant à l’intérêt du service ne sont pas retenus, quelles sont alors les qualités que doivent présenter les candidats pour avoir une chance d’être mutés ?

Certains murmurent que l’appartenance syndicale pourrait être déterminante, mais nous n’en croyons pas un mot.

Jean-Yves Trennec, Avocat, Barreau de Seine-Saint-Denis [->contact@scp-arents-trennec.com]

[1TA de Cergy-Pontoise, 21 novembre 2013 Monsieur Guillaume X, req.n°1107811 et 1101417

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