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L’erreur de la médiation familiale en matière judiciaire, un nouveau fourvoiement législatif en perspective. Par Jean-Louis Lascoux.
Parution : mercredi 28 mai 2014
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Avant les élections municipales de 2014, la famille était au centre des débats politiques. Il devait y avoir une grande réforme. Après le mariage, ça devait être le tour à la conception des enfants d’être discutée et, dans la logique des choses, venait celui de l’autorité parentale. Il n’en sera probablement rien.

La discussion est encore une fois reportée, laissant croire que les réfractaires à la liberté d’autrui l’emporte avec une surcharge de 700 amendements rédigés pour polluer l’adoption des nouvelles dispositions. Il est légitime de se questionner sur la maturité politique qui accompagne ces textes. Parallèlement, l’obstacle principal réside dans le fait que l’évolution des sciences et des techniques a du mal à rencontrer celui des mentalités.
Dans ces rapports à l’évolution, l’inculture y est pour beaucoup et c’est sur elle que s’affalent les extrémismes qui se font le plus entendre en ce moment.

La médiation des relations, otage de débats idéologiques

Quoi qu’il en soit, les tiraillements idéologiques ont eu raison des engagements politiques. Dans les nouvelles propositions débattues à l’assemblée, il reste quelques bribes de cette réflexion dont une vague question de recours à la médiation lors de séparation soumise à l’autorité judiciaire. Au lieu d’être le reflet d’un engagement sur la voie d’une transformation des mentalités, le discours est devenu complaisant. Et pour s’en tenir à la médiation judiciaire, elle n’est guère discutée, alors que le sujet est en constante évolution. La médiation reste encadrée, voire enfermée menottée dans la représentation d’une discussion au service d’un asservissement à une représentation sociale. Non, avec ces textes, les personnes ne pourront pas choisir. Il en va clairement de deux approches : se soumettre à une conception de la médiation dite familiale telle qu’elle est pratiquée par les titulaires du « diplôme d’État de médiation familiale », un diplôme d’Etat qui impose l’idéologie de la psychologie et du droit, une préférence culturelle à connotation religieuse, ou d’une conception professionnelle, laïque, rationnelle, liée à la liberté de réflexion et au libre arbitre. La médiation qui est prévue par les textes est vouée à l’échec. Les rapporteurs l’ont observé : cette médiation ne repose pas sur la confiance. Elle n’est d’ailleurs conçue que comme une tentative. Son échec est anticipé, voire programmé. Selon un rapport de janvier 2014, plus de 65% des personnes qui sont allées jusqu’au bout d’une médiation familiale en font le constat. Cette médiation s’enlise dans une volonté de conformer les personnes à des représentations dogmatiques de la sortie d’un conflit, de l’équité et du droit.

La médiation familiale, en échec permanent parce qu’inadaptée

Reprécisons les choses. Le vocabulaire est aussi déterminant dans l’intention, où les positionnements idéologiques transparaissent, que dans la loi, où les droits risquent de s’embourber.
On parle de « médiation familiale », alors qu’en réalité, il s’agit de situations conjugales. Je répète ce point depuis des années. La mise de l’enfant au cœur de la médiation est une aberration. C’est une affaire de projet entre adultes. Lorsque les adultes définissent leur projet, l’enfant rentre dedans. C’est à ce travail que le médiateur doit s’atteler : aider les adultes à définir leur projet. On fait cela pour les entreprises lorsque les difficultés se présentent, on travaille sur le projet, avec les décisionnaires. Vivre en couple, créer une famille est un projet de même nature. Le cas échéant, l’intelligence sociale ne devrait-elle pas se substituer à une carence ? Ici, simplement, c’est la parentalité qui est en cause.

Dépsychologiser la médiation

Ainsi, la question des conditions d’exercice de la parentalité est en lien avec la capacité et la volonté des parties à l’exercer. Dans tous les cas, c’est une erreur que de mettre l’enfant au centre des préoccupations et de positionner le médiateur sur le même plan que le juge qui, dans l’arbitrage, est tenu à préserver l’intérêt de l’enfant. Le médiateur doit rester neutre et impartial, tout autant qu’indépendant. Avec le concept de « médiation familiale » il en est loin. Très loin. Cette erreur est bien enracinée. Elle provient de plusieurs idées. La conception développée par le courant psychologique avec l’enfant-roi de Françoise Dolto est l’une des racines. Elle est associée aussi à la représentation héroïque de la protection de la veuve et de l’orphelin. Le médiateur aurait cette posture chevaleresque. L’erreur provient aussi d’une transposition abusive de l’expérience juridico-judiciaire sur ce qui fait la garantie des libertés, la capacité de décider et le libre consentement. C’est une représentation idéologique qui n’a rien de laïque. Elle est soutenue par les mêmes courants religieux qui ont manifesté leur opposition à l’égalité des droits.

Laïciser la médiation

Pour les personnes qui, pourtant laïques, soutiennent cette conception, c’est dû à un amalgame. C’est le mélange préjudiciable de l’appellation « juge aux affaires familiales » avec le rôle du tiers qui intervient en tant que facilitateur de définition de projet, le médiateur. Ce mélange est le résultat de confier à des juristes le soin de définir quelque chose qui leur est totalement étranger. Le résultat de cette confusion a donné le pseudo-titre de « médiateur familial » et Marc Juston, président du groupe de travail sur « médiation familiale et contrats de coparentalité », a bien soutenu que ce médiateur est « au service du juge aux affaires familiales ». En 2009, lorsqu’il avait participé aux premières rencontres scientifiques de la médiation que j’avais organisées à l’assemblée nationale, il avait pourfendu l’idée de la médiation obligatoire. Depuis, il s’est inspiré de mes publications. Il a lu mes réflexions sur le droit à la médiation, dont il reprend l’observation que la médiation obligatoire revient à protéger les personnes contre elles-mêmes, tout comme le port de la ceinture de sécurité. En effet, la médiation obligatoire, n’est pas une mesure autoritariste, c’est une mesure visant à élargir l’exercice de la liberté. Encore faut-il que cette médiation soit conduite dans cet esprit, ce qui n’est pas le cas dans la démarche engagée. Nous en sommes encore à de l’amateurisme consternant. La médiation obligatoire doit être conçue comme l’exercice d’un droit, celui de l’exercice du libre arbitre, non d’une mesure d’allégeance à un paradigme sociétal. Le rapport de Marc Juston témoigne de ce que son auteur, même s’il pioche à la va vite ses arguments dans le creuset qui fait avancer depuis plus de quinze ans la conception de la médiation, reste empêtré dans le discours de sa profession de juge qui ne conçoit la médiation que comme « une tentative », non comme un service où les professionnels s’engagent. Parle-t-on de tentative d’enseignement ? Parle-t-on de tentative d’éducation ? Parle-t-on de tentative de jugement ?

Déjudiciariser la médiation

Tant qu’on combinera et mélangera la médiation au système judiciaire, on aura des difficultés à bien concevoir les intérêts d’un tel processus. Cette confusion est entretenue par des juristes qui voient dans la médiation un bon moyen de suppléer aux carences du système judiciaire, lequel ne parvient pas à remplir une fonction, qu’ils imaginent lui revenir, soit de « protéger la partie la plus faible » et de « préserver l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette représentation contraignante contribue pourtant à nuire aux objectifs assignés. Son manque de crédibilité explique certainement que, malgré les efforts de promotion et les insistances diverses, le recours à la médiation dite familiale depuis 2002, année de l’entrée de la « médiation familiale » dans les textes (cf. loi n° 2002-305, sur l’autorité parentale du 4 mars 2002), plafonne à 4%. La réalité est moins complaisante que la présentation avantageuse des chiffres ne le laisse supposer. Renforcer un système dans lequel les prescripteurs ne croient pas, c’est poursuivre une stratégie d’échec. Il faut changer quelque chose dans tout cela. Il est nécessaire d’intervenir à plusieurs niveaux. Il faut repenser les processus de médiation familiale, reconsidérer les objectifs assignés, changer le principe des juristes prescripteurs, revoir la formation des intervenants trop engagés dans des idéologies d’autant plus inadaptées qu’elles se heurtent à la mondialisation culturelle.

Repenser l’autorité parentale en terme de compétences

N’empêche, aujourd’hui, une nouvelle discussion est lancée. L’autorité parentale est à nouveau mise sur le métier de la loi. Il faut bien constater ici que les évolutions culturelles poussent à reconsidérer régulièrement cette question. Et si en fait, là aussi, une question plus profonde restait dans les abysses de la réflexion ? A qui confier l’éducation d’un enfant ? Quelles sont les compétences qu’un parent devrait avoir pour exercer son autorité parentale ? Voilà de vraies questions que le système judiciaire ne saurait débattre, et qui reviennent à une approche de formation tout au long de la vie, à laquelle correspond la médiation professionnelle. Sachant qu’aucune formation n’est obligatoire pour être parent, qu’il suffit d’un désir affirmé des femmes, la réponse à la question de l’autorité parentale reste affective. De ce fait, le juge ne peut rendre une décision dénuée d’arbitraire. Et la loi aura beau apporter une réponse d’apparence équitable, l’équivoque restera. Probablement qu’un jour, dans une civilisation avancée, être parent nécessitera d’abord de passer une sorte de permis ? Il reste qu’aujourd’hui, l’incompétence prévaut dans l’éducation des enfants comme un principe naturel. La question de l’autorité parentale n’est donc pas réglée. Cette observation ne vaut pas que pour les familles dont les conjoints se séparent, mais évidemment pour toutes. S’engager sur les débats de la coparentalité sans avoir approfondi ces sujets relève d’une gageure.

Désectoriser la médiation pour la professionnaliser

En matière de séparation, ce qui pêche dans la mise en place de la « médiation familiale » est d’abord cette spécialisation absurde dans l’idée qu’il s’agit d’une problématique « familiale ». C’est d’abord une affaire de couple. Mais faire une spécialité de la « médiation conjugale » est tout aussi aberrant, puisque prioriser un conflit entre deux conjoints qui seraient par ailleurs associés dans une entreprise, ne permettrait pas de résoudre leur différend. Les problématiques relationnelles doivent être abordées simultanément, d’autant plus qu’elles sont souvent étroitement liées. Il faut bien comprendre ici que le modèle juridique n’est pas transposable à la médiation sans porter préjudice à son efficacité. La médiation ne doit pas être considérée comme un moyen au service d’une idéologie ou d’une autorité, telle l’autorité judiciaire, pas plus que le médiateur ne doit être lié à l’Etat, par un diplôme, ou qu’il doit être rattaché comme auxiliaire de justice.

La justice doit être dessaisie de la mise en place de la médiation

La réforme actuelle, si elle passe, n’apportera rien de nouveau, si ce n’est qu’un nouvel enlisement. Dans les prochaines années, il faudra revenir sur cet énième fourvoiement législatif. La médiation devra être sortie de l’embrigadement qui la maintient dans les chapelles idéologico-religieuses. Elle devra être affirmée comme un moyen au service des personnes et non comme une instrumentation du système judiciaire. Le juge ne peut pas savoir ce qu’il faut faire de la médiation, ni quand elle doit être mise en place. Il est formé au droit, et sa mission est de juger. Il est un recours social indispensable dans certaines affaires, mais il n’a pas à être consulté pour ce qui ne relève pas de sa compétence. Il convient de mettre un terme à cette erreur d’avoir placé la médiation sous le joug de la judiciarisation. La logique est de créer une instance de médiation, avec un ministère spécifique.

Autrement dit, la médiation des relations ne doit plus être amalgamée avec les modes « gestionnaires » des litiges, mais doit reposer sur une recherche de la « qualité relationnelle ». Elle doit être affirmée comme une discipline à part entière et un champ d’activité spécifique qui ne relèvent pas d’un amateurisme bien-pensant.
En revanche, si la loi peut faire quelque chose relativement aux médiateurs, c’est garantir leur posture, de sorte que les citoyens puissent avoir pleinement confiance dans leurs prestations. Autrement dit, il en va de la reconnaissance des médiateurs professionnels, avec une éthique et une déontologie à part, garantissant leur indépendance, leur impartialité et leur neutralité.

Enfin, la médiation des relations doit s’inscrire dans un droit protecteur de l’exercice du libre arbitre. Ce n’est pas aux juges d’en décider, il ne peut qu’être embarrassé pour dire ce qui relève de la discussion et ce qui n’en relèverait pas. C’est sa propre intime conviction qui dans tous les cas fait sa décision sur ce genre de questionnement. Les limites des uns ne sont pas celles des autres. Autrement dit, la loi doit préconiser le recours systématique à la médiation, une médiation exercée par des professionnels formés à la rationalité du démontage des conflits, dans la perspective de la qualité relationnelle et de la libre décision.
Comme le prévoit la constitution, la loi doit protéger chacun contre les heurts de l’existence et apporter à tous la garantie de pouvoir étendre au plus loin l’exercice des libertés fondamentales.

1) rapport sur les réflexions du groupe de travail sur la coparentalité, comment assurer le respect de la coparentalité entre parents séparés http://www.justice.gouv.fr/publication/rap-coparentalite-20140701.pdf
2) Rapport du groupe de travail « Médiation familiale et contrats de co-parentalité » mis en place par Mme Dominique Bertinotti le 21 octobre 2013 http://oned.gouv.fr/ressources/mediation-familiale-et-contrats-co-parentalite
3) Marc Juston en 2009, opposé à la médiation obligatoire, http://fr.wikimediation.org/index.php?title=WikiMediation:Videoth%C3%A8que/20_mars_2009,_Intervention_de_Jean-Fran%C3%A7ois_Cop%C3%A9
4) Manifeste pour le droit à la médiation http://www.mediateurs.pro/
5) Discours introductif au droit à la médiation, bibliothèque nationale 2013 https://www.youtube.com/watch?v=G4ebo6f20js

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF) ; Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF) ; Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr
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