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Affaire des électeurs syriens résidant en France (Ord. CE, 23 mai 2014). Par Damien Viguier, Avocat.
Parution : lundi 2 juin 2014
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Au début du mois de mai 2014, la France a manifesté auprès du Gouvernement de la République arabe syrienne son opposition à la tenue sur son territoire, y compris à l’ambassade de Syrie, des élections présidentielles syriennes qui devaient avoir lieu, pour les électeurs syrien résidant à l’étranger, le 23 mai.

La France justifiait sa décision de deux manières, l’une politique, l’autre juridique.
Du point de vue politique le Ministre des affaires étrangères s’opposait à la tenue d’élections parce que, pour lui « seule (…) la mise en place d’un organe de transition doté des pleins pouvoirs exécutifs (…) permettra de mettre un terme au bain de sang ». Du point de vue juridique le Ministre des affaires étrangères invoquait la Convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires qui l’autoriserait, selon lui, à s’opposer à la tenue d’élections étrangères sur le territoire français.

Le 23 mai 2014 dix neufs syriens résidant en France ont alors saisis le Conseil d’Etat, selon la procédure du référé « liberté », afin que des mesures soient prises d’urgence pour aller à l’encontre de cette décision et permettre le vote. Leur liberté fondamentale, celle de voter, était atteinte ; et l’atteinte était manifestement illégale. La France, en effet, violait par deux fois la Convention de Vienne sur les relations consulaires. D’abord en ce que l’Etat de résidence ne peut pas s’opposer à l’organisation d’élections, qui relèvent des fonctions d’ordre administratif des consulats. Ensuite parce qu’un Etat ne peut pas être traité de manière discriminatoire. A ce titre, la décision du Ministre des affaires étrangères était donc sans fondement juridique.

Sans même faire mention de l’argument juridique tiré de la Convention de Vienne, le Conseil d’Etat invoque uniquement celui, politique, de la mise en place d’un « organe de transition ». Et c’est pour se déclarer incompétent pour juger d’une décision qui n’est pas détachable des relations internationales de la France. C’est la théorie de l’acte de gouvernement : échappe au juge administratif un acte qui a pour but la défense de la société contre ses ennemis (Dufour, Traité de droit administratif appliqué, p. 128).

Ce faisant, le Conseil d’Etat a fait tomber le fondement juridique de la décision, qui ne tenait déjà qu’à moitié. Plutôt que de chercher à distorde le droit pour sauver la décision française, il a choisi de décliner sa compétence. Mais les motifs, pour être de nature juridique, supposent, dans un Etat de Droit, de pouvoir faire l’objet d’un recours. Parce qu’il n’y a pas de Droit digne de ce nom sans discussion. L’acte politique, dans toute sa violence, est donc mis à nu : il ne s’agit pas d’une décision rationnelle juridiquement, il s’agit de la raison d’Etat, et, ici, de la cattiva ragione di stato. L’ordonnance du 23 mai 2014 a donc le mérite d’avoir éclairci la situation.

Damien VIGUIER Avocat - Docteur en droit www.avocats-viguier.com