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Diffamation et exercice du droit de critique ou la difficulté de délimiter la frontière entre les deux notions. Par Mareva Desbois, Avocate.
Parution : lundi 16 juin 2014
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Par un arrêt du 13 février 2014, la 17ème chambre correctionnelle du TGI de Paris a relaxé le prévenu qui avait laissé libre court à son mécontentement quant à la qualité des prestations fournies par la société Européenne de Protection Juridique, dans un article publié sur le site internet ciao.fr , dans la rubrique « Generali protection juridique » sous le titre « Arnaque et escroquerie : EPJ (Européenne de Protection Juridique) », ainsi que sur les sites internet lesarnaques.com et droit-finances.net.

Dans le cadre de cette affaire, l’individu manifestement insatisfait par le manque de réactivité de la société GENERALI dans la prise en charge de sa demande, publiait notamment sur le site internet droit-finances.net, les propos suivants :

«  C’est une bande d’arnaqueurs et d’escrocs, très peu enclins à faire leur travail comme défini dans le contrat qui vous liera à eux… »

Par ailleurs, il publiait sur le site internet ciao.fr :

« Européenne de protection juridique est un partenaire médiocre et malhonnête à fuir comme la peste. Je me suis fait arnaqué et escroqué…. »

La société Européenne de Protection Juridique EPJ, après avoir pris connaissance des propos précités, portait plainte avec constitution de partie civile sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définissant la diffamation comme « toute allégation d’un fait ou imputation qui porte atteinte à l’honneur ou la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. »

Le Tribunal, avant de rendre son jugement rappelait que la diffamation doit porter :

« sur un fait précis, susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la diffamation, d’une part, de l’injure (…), et d’autre part, de l’expression d’une opinion ou d’un jugement de valeur autorisés par le libre droit de critique … ;

L’honneur et la considération de la personne ne doivent pas s’apprécier selon les conceptions personnelles de celle-ci mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraires aux règles morales communément admises  »

Finalement, et compte de ces éléments, le Tribunal considérait :

« Quand il estime qu’il s’est fait arnaqué et escroqué, le prévenu fait référence de manière subjective au manque de diligence et d’efficacité de celui-ci et non à des infractions pénales qui auraient pu être commises par la personne morale. Ces propos ne contiennent donc que la critique, particulièrement vive, des prestations fournies par EPJ.

Lorsque Julien A. emploie les termes « partenaire médiocre et malhonnête » « arnaqueurs » et « lamentable », il n’impute à la société aucun fait précis….  »

Au terme de cette analyse, le Tribunal relaxait le prévenu pour absence de propos diffamatoires.

Si effectivement, les critiques formulées ne sauraient être rattachées à des faits susceptibles de tomber sous le coup des dispositions de l’article L.313-1 du Code pénal relatifs à l’escroquerie, le Tribunal a pris soin de préciser que la considération de la personne doit s’apprécier notamment en fonction « de la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse ». Or, il y a fort à parier que les propos du prévenu, quant à la malhonnêteté de la société EPJ, ne seront pas sans conséquence en termes de réputation auprès du public, de sorte que « la réprobation générale provoquée par l’allégation litigieuse » est réelle.

Par ailleurs, les propos énoncés par le prévenu, quant à la prétendue « malhonnêteté » de la société EPJ, pourraient tout à fait être envisagés comme se rapportant à un « fait précis susceptible de faire l’objet d’un débat contradictoire quant à leur vérité », de sorte qu’il n’est pas évident d’écarter d’emblée la qualification de propos diffamatoire.

En tout état de cause, le fait pour le prévenu d’avoir énoncé avoir fait l’objet d’une arnaque et d’une escroquerie pour illustrer « de manière subjective, le manque de diligence et d’efficacité de la société EPJ », ne pourrait-il pas raisonnablement être constitutif d’un abus du droit de critique ?

A cet égard, un arrêt de la Cour d’Appel d’Angers du 27 avril 2012 a jugé comme diffamatoires et constitutifs d’un abus du droit de critique, les propos tenus par un critique littéraire à l’égard de la qualité du travail d’un auteur. Il est cependant légitime de penser que le droit de critique est apprécié de manière plus souple lorsqu’il est exercé par un critique littéraire, dont la fonction même est d’apprécier la qualité du travail des auteurs, et précisément de le critiquer.

Le jugement de Tribunal de grande instance de Paris illustre ici la difficulté dans certains cas, à apprécier la frontière entre exercice du droit de critique et énonciation de propos diffamatoire.

Mareva DESBOIS, Avocate
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