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Retour sur l’affaire d’Outreau : un plaidoyer public en vue du procès de Daniel Legrand. Par Jacques Cuvillier.
Parution : lundi 16 juin 2014
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Patrice Reviron est l’avocat de Jonathan Delay, l’un des fils de Myriam Badaoui dont on se souvient dans le cadre de l’affaire d’Outreau. Il sera l’une des parties civiles en mai 2015 au procès de Daniel Legrand fils, mis en cause pour des faits qui remontent au temps où il était mineur et qui n’ont pas encore été jugés.

Dans un plaidoyer rendu public le 18 mai 2014 – une date qui ne doit rien au hasard [1]- l’avocat démonte certains des arguments dont se sont servis les avocats de la défense pour en arriver à discréditer l’instruction lors des procès de l’affaire d’Outreau.

Sans se perdre en conjectures, sa démonstration s’appuie sur les pièces du dossier. On peut se reporter à la version compète du texte que je commente ci-dessous.

En introduction, il fait état de son sentiment sur l’affaire avant et après avoir étudié le dossier. En tant que professionnel plongé dans les affaires judiciaires, il s’était initialement forgé une conviction conforme à celle de nombreuses personnes qui communiquent sur ce sujet, qu’elles soient issues de mondes aussi différents que la justice, la presse, la politique et même l’éducation. « Je pensais tout savoir et avoir tout compris sur l’innocence de Daniel Legrand ». Cela n’a en fait rien d’exceptionnel, et comment s’en étonner quand on se souvient de l’apparente cohérence d’ensemble des médias qui chacun à leur manière traitaient de ce feuilleton judiciaire en donnant les mêmes informations et comment ils entretiennent encore envers et contre tout une histoire qui a en réalité été adroitement instillée par les avocats de la défense au moment des procès ? Mais comment a-t-on pu ne pas remarquer que le contradictoire avait disparu ?

Mais cet homme a conservé son ouverture d’esprit, et loin d’ériger en dogme – comme d’autres le font – les conclusions que l’on croit pouvoir tirer de l’affaire, il a étudié le dossier d’instruction, et cette étude lui a démontré qu’il s’était trompé. Son attention se porte maintenant sur Jonathan, l’une des vraies victimes pour qui on peut parler de désastre. La justice les a pourtant reconnus victimes d’agressions sexuelles, viols, corruption de mineurs, proxénétisme, mais qui le sait [2] ? Pour le public, il y a encore et toujours – quoique la vérité se fasse jour petit à petit – des innocents accusés à tort et des enfants affabulateurs.

Ce qu’il y a de plus étonnant au vu de sa démonstration, c’est que le public ait pu aussi facilement adhérer à l’ensemble des invraisemblances qui ont servi de point d’appui à tous les détracteurs de l’instruction.

Le revirement de Myriam Badaoui
Imaginer que ce revirement soudain mettait à plat de dossier de l’accusation laisserait à penser que celui-ci ne reposait que sur ses seules dénonciations. Dans la mesure où aucun chroniqueur un tant soit peu sérieux [3] ne pouvait l’imaginer, la communication de cette idée a été la première marque de la désinvolture avec laquelle l’information a été intentionnellement véhiculée. Parler à ce propos de « l’instant où le procès bascule » [4] donne à cet épisode une allure de feuilleton.

C’est donc de façon téméraire et prématurée, un mois et demi avant que les jurés ne délibèrent, que la presse a choisi son parti. Le 19 mai 2004 au journal télévisé de 13 heures, France 2 annonce un « coup de théâtre » dans le procès, que les débats « ont innocenté treize accusés désignés dont la vie est brisée ». Le même jour, les larmes publiques d’Alain Marécaux produisent leur effet. Les avocats de la défense, Me Dupond-Moretti, Berton, Delarue, Lejeune.... ont accès à toutes les rédactions, la cause est entendue. Avec un remarquable parallélisme, l’ensemble des médias prend fait et cause.

Pour se faire une idée de la consistance que conserve le dossier sans tenir compte des dires de Myriam Badaoui - qui pour beaucoup de gens crédules serait au cœur de l’accusation - le journaliste d’investigation Jacques Thomet, auteur du livre « Retour à Outreau, contre-enquête sur une manipulation pédocriminelle » a intentionnellement laissé de côté les déclarations de cette femme. Et en définitive, cela ne change pas beaucoup de choses aux charges qui sont à examiner. Il est d’ailleurs curieux que Myriam Badaoui ne soit jugée crédible que lors de ce revirement et mythomane partout ailleurs, alors que c’est dans la tourmente du procès et à la vue du calvaire de ses enfants que l’effet d’un affolement soudain était bien plus vraisemblable. Le fait d’être revenu sur ce coup de panique quelques jours plus tard n’a pas été pris en considération. Il est également curieux de n’entendre parler de revirement qu’à propos de Myriam Badaoui, parce que les changements de position ont été pratiquement le fait de tous les accusés, et en particulier Daniel Legrand fils.

La piste de Daniel Legrand fils
L’avocat revient sur la mise en examen de Daniel Legrand fils qui d’après la légende serait dû à une simple erreur de transcription du dire d’un enfant en passant de la désignation d’un « grand » au patronyme Legrand. Lui-même s’y était laissé prendre : « ...je fais partie de ceux qui ont ressenti une énorme compassion pour ce jeune homme, victime de son nom, car on l’avait confondu avec un simple adjectif... » [5].

Or il se trouve que le « grand » dont parlait Dimitri, l’un des enfants Delay, c’est l’aîné des époux Marécaux, non-impliqué dans l’affaire - rien à voir donc - et que Dany Legrand est identifié clairement et séparément, et accusé d’avoir fait « des manières ».

Comment peut-on encore prétendre comme l’ont fait les journalistes Georges Huercano-Hidalgo et la journaliste Youki Vattier pour l’émission « Faites entrer l’accusé » que l’implication de Daniel Legrand était juste le résultat d’une erreur de transcription ! Quel journaliste pourrait agir de la sorte avec à la fois compétence et sincérité ?

De revirement en revirement, l’explication la plus invraisemblable est retenue.
Il est curieux de constater que parmi les personnes mises en cause dans le dossier, une seule soit qualifiée de mythomane et d’inconséquente. Le plaidoyer évoque les positions changeantes [6] de Daniel Legrand, son attitude inconstante, ses déclarations [7] - en particulier en ce qui concerne le meurtre d’une fillette [8] - ses revirements et et les raisons surprenantes qu’il donne pour les expliquer.

Pour surprenantes qu’elles soient, ces motifs sont évoqués dans le rapport parlementaire (p150) en ces termes : « De surcroît, Daniel Legrand fils indiqua très rapidement au juge d’instruction1 pour quelles raisons il avait inventé de toutes pièces cette histoire : d’une part, pour sortir de prison comme Mlle Aurélie Grenon qui avait reconnu les faits et qui était libre et d’autre part, pour « coincer » Mme Myriam Badaoui, en mettant au grand jour le caractère affabulatoire de ses déclarations et sa volonté de « mettre en prison des innocents pour rejeter sa responsabilité sur eux ». Autrement dit en en « rajoutant » pour battre Myriam Badaoui sur son propre terrain ».

C’est donc en définitive l’explication la plus invraisemblable qui a été retenue, qui est servie au public, et qui a éclipsé des aveux clairs et détaillés exprimés tant à l’expert psychologue Michel Emirzé qu’à la presse « pour dire la vérité et que cela se sache ».

Ceux qui n’étaient pas aux procès
L’un des arguments des défenseurs de la version « grand public » de l’affaire d’Outreau est de stigmatiser ceux qu’ils appellent les « révisionnistes ». Ainsi, le chroniqueur judiciaire Stéphane Durand-Souffland écrit dans le Figaro : « Ce procès donnera l’occasion aux révisionnistes judiciaires qui, bien qu’ils n’aient pas assisté aux procès de Saint-Omer et de Paris, sont persuadés que des innocents sont coupables... ».

Il n’est heureusement pas nécessaire d’avoir assisté à ce procès tumultueux pour être à même d’en parler, je dirai même au contraire. Qui parmi ceux et celles qui ont assisté aux procès étaient au fait des pièces qui composent ses quelque 30 000 pages ? Les jurés eux-mêmes ne le connaissaient pas, et Florence Aubenas qui prétend y avoir eu accès n’a pas eu le temps matériel de l’étudier en détail. Elle a plus vraisemblablement pris en compte les passages sélectionnés par les avocats de la défense et recueilli leurs commentaires. Il a fallu des mois au journaliste Jacques Thomet pour l’étudier en profondeur en vue d’écrire son livre.

Patrice Reviron, lui aussi est reparti de zéro pour se faire une idée objective. C’est en fait ce que devrait faire toute personne qui prend le risque de produire quelque chose de sensé sur le sujet. La vérité est à ce prix, car la répétition et le copié-collé d’informations erronées n’a jamais fait avancer la vérité.

Espérons que le procès de Daniel Legrand fils soit l’occasion non d’un nouveau jugement de ceux qui ont été acquittés de manière définitive, mais d’une remise en perspective de cette affaire qui a fait tant de mal à l’image de la justice et à la parole des victimes, mais aussi à l’institution du juge d’instruction et aux experts judiciaires. Faudra-t-il attendre cette échéance pour découvrir enfin que ces derniers avaient vu juste ?

Jacques Cuvillier

[1Le 18 mai 2004 est la date d’un fait dont les chroniqueurs se souviennent : Myriam Badaoui prend l’initiative de tenter d’innocenter dix de ses co-accusés.

[2A moins d’avoir lu le livre de l’expert témoin direct, MCGryson-Dejehansart qui a publié en 2009 « Outreau la vérité abusée, 12 enfants reconnus victimes » (Hugo et cie)

[3On sait que Florence Aubenas n’était pas spécialiste des questions judiciaires

[4S. Durand-Souffland dans « Frissons d’Assises »

[5Cité dans son plaidoyer.

[6Mis en examen en novembre 2001, il commence par nier les faits. Il est cependant mis en cause par les déclarations de trois des autres accusés. Ensuite, il reconnaît des faits, décrit le rôle des uns et des autres lorsqu’on lui présente des photos, reconnaît de nombreux enfants qu’il présente comme des victimes et donne des détails précis.

[7Le 4 janvier 2002, il adresse au juge une lettre dans laquelle il décrit le meurtre d’une fillette auquel il aurait assisté et donne ensuite de nombreux détails dans un récit que Myriam Badaoui confirme.

[8L’actualité récente nous a montré que malgré des recherches o combien plus vastes et opiniâtres, le corps de la petite Fiona n’a pas été retrouvé. On n’en tire pas pour autant la conclusion que le meurtre n’a pas eu lieu.

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