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Quand un site participatif n’est pas une oeuvre collective... ni même une oeuvre tout court ! Par Quentin Renaud, Avocat.
Parution : jeudi 26 juin 2014
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Quel statut juridique pour les sites participatifs et les contenus qui y sont publiés par les utilisateurs ? La protection de ces sites et de leur contenus par le droit d’auteur est loin d’être une évidence, comme l’illustre une décision récente du Tribunal de grande instance de Paris, à propos du site viedemerde.fr.

Aujourd’hui Facebook, Twitter, Tumblr, Instagram, d’autres encore demain… Les possibilités offertes aux internautes de partager des contenus de toutes sortes semblent devenues illimitées. De même, rares sont aujourd’hui les sites d’informations qui n’offrent pas à leurs visiteurs, abonnés ou non, la faculté de rédiger des commentaires, voire de publier eux-mêmes des tribunes ou des articles. A l’heure où le web participatif et les sites diffusant du « user generated content » poursuivent leur développement exponentiel, il n’est pas inutile de s’interroger sur le statut de ces sites et des contenus qu’ils diffusent, au regard du droit de la propriété intellectuelle.

Concrètement, peut-on considérer qu’un site, dont les contenus écrits sont pour leur très grande majorité réalisés et mis en ligne par les utilisateurs, peut être protégé par le droit d’auteur ?

Par ailleurs, les contributions écrites des utilisateurs, prises isolément, sont-elles également susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur ? Si oui, qui serait le titulaire de ce droit ? Le site diffusant les messages ? Ou les auteurs de ces messages ?

Et à défaut de protection de ces contenus par le droit d’auteur, quels autres outils les exploitants d’un site participatif peuvent-ils utiliser pour se prémunir contre une imitation illicite de leur média ?

Le jugement rendu le 22 mai 2014 par la 3ème chambre, 1ère section du Tribunal de grande instance de Paris, à propos du fameux site viedemerde.fr, a apporté quelques éléments de réponse intéressants à ces questions.

Ce site contient des anecdotes issues de la vie quotidienne des internautes. Ces histoires, longues au maximum de 300 mots, sont généralement proposées par les utilisateurs du site. Elles commencent toutes par le mot « aujourd’hui » et sont toujours conclues par les initiales « VDM ».
Dans cette affaire, une agence de publicité avait diffusé, pour le compte d’un annonceur, deux spots télévisés présentant des ressemblances avec certaines anecdotes figurant sur le site viedemerde.fr. La société éditrice du site, qui estimait être titulaire de droits d’auteur sur concept du site et son contenu, a alors assigné l’agence en vue, notamment, de faire reconnaître que le contenu du site viedemerde.fr constitue une œuvre collective, et que l’agence a commis des actes de contrefaçon. Subsidiairement, dans l’hypothèse où la contrefaçon n’aurait pas été reconnue par le Tribunal, la société éditrice réclamait la condamnation de l’agence sur le fondement du parasitisme.

On retiendra, en premier lieu, que le Tribunal a rejeté la qualification d’œuvre collective réclamée pour le site viedemerde.fr.

Pour mémoire, l’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle pose deux conditions pour définir la notion d’œuvre collective : (i) qu’elle soit créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et (ii) que la contribution personnelle des divers auteurs participant à l’élaboration de l’œuvre se fonde dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé.

En l’espèce, la condition relative au nom « n’est pas remplie puisque le site s’intitule VDM », alors que la société qui l’édite porte un nom différent.

L’autre condition, relative au fait que les contributions personnelles se fondent dans l’ensemble n’est pas davantage remplie, car chaque contribution peut être publiée sous le nom ou le pseudonyme d’un utilisateur, ce qui permet d’en individualiser l’auteur. Le Tribunal en déduit que les différentes contributions ne se confondent pas. Ce raisonnement s’inscrit dans le sillage de précédentes décisions sur le sujet [1], bien qu’il ait parfois été jugé que le caractère anonyme ou non des apports des contributeurs était indifférent à la caractérisation de l’œuvre collective [2].

En outre, aux termes de ce jugement, le fait que chaque contribution ait une structure précise et similaire, du fait du respect des instructions du format, ne peut, à lui seul, être considéré comme une instruction donnée aux auteurs, au sens de l’article L113-2 précité. Or, les contributeurs du site ne peuvent s’affranchir de ce format, et on pourrait donc soutenir que l’éditeur du site exerce un contrôle strict sur la rédaction des anecdotes. A cet égard, la qualification d’œuvre collective aurait également pu se soutenir.

Pour autant, les magistrats ont rejeté ce raisonnement, et ont donc considéré que les éditeurs de viedemerde.fr ne pouvaient invoquer la violation de droits d’auteur : le site, pris dans son ensemble, n’est donc pas une œuvre collective. Mais qu’en est-il des anecdotes postées par chacun des contributeurs ?

Le Tribunal a considéré que les contributions des utilisateurs ne présentent pas une originalité suffisante pour être protégées par le droit d’auteur : ainsi, le jugement énonce que l’anecdote reprise dans le premier spot « n’est pas originale dans sa forme, la concision du texte et la structure du récit ne révélant rien de la personnalité de l’auteur, seul l’événement relaté ayant un intérêt, et l’idée qu’elle véhicule peut librement être reprise sans commettre d’atteinte au droit d’auteur de celui qui l’a publié. » Il est vrai que la brièveté des contributions laisse peu de place aux utilisateurs pour dévoiler toute l’étendue de leurs talents. Certes, des titres, des slogans publicitaires ou de très courts poèmes peuvent constituer des œuvres de l’esprit : la faible longueur d’un texte n’empêche pas nécessairement sa protection par le droit d’auteur. Mais la reconnaissance de cette protection est soumise à l’appréciation souveraine des juges du fond, et, en l’espèce, on peut supposer que la banalité de la majorité des propos publiés sur le site ait fait obstacle à ce que les contributions des utilisateurs de viedemerde.fr soient considérées comme des œuvres originales.

De même, le format de chaque anecdote, imaginé par les créateurs du site, ne présente pas lui-même une originalité suffisante pour être considéré comme une œuvre de l’esprit : « le fait de commencer l’anecdote par aujourd’hui et de la terminer par VDM ne révèle aucunement la personnalité des auteurs  ».

Le sens de cette décision aurait peut-être été différent si les contributions des utilisateurs du site avaient été plus développées, ou moins « formatées », comme peuvent l’être par exemples les textes publiés sur Twitter, où la seule contrainte imposée aux utilisateurs est de rédiger des messages d’une longueur maximale de 140 caractères. Reste à savoir si ces messages pourraient constituer des œuvres protégées par le droit d’auteur. On se souvient par exemple que les éditions Larousse ont récemment suspendu la commercialisation d’un recueil de tweets publié sans l’autorisation de leurs auteurs, par crainte d’actions en contrefaçon et d’atteintes au droit moral. [3] Le statut des contributions des utilisateurs de sites participatifs est donc loin d’être tranché et pourrait bien varier fortement, selon le format et le fonctionnement de chaque site, ainsi que la nature des contributions, qui peuvent aussi être visuelles ou sonores…

S’agissant de viedemerde.fr, si l’éditeur ne peut s’appuyer sur le droit d’auteur pour combattre l’imitation de ses contenus par une campagne de publicité, peut-il invoquer d’autres arguments, tels que le parasitisme ? Sur ce point, la réponse apportée par les magistrats de la 3ème chambre est légèrement plus réjouissante pour les exploitants du site.

En effet, l’éditeur a fait valoir, à titre subsidiaire, que la notoriété acquise par le site était le fruit de ses efforts et de ses investissements. Du fait de sa notoriété, le site constitue donc une valeur économique, et ne peut être reproduit librement par des tiers. A cet égard, les juges ont tenu compte de l’existence d’une adaptation télévisuelle du site :

A défaut d’être une œuvre, le site viedemerde.fr constitue donc un « format », susceptible d’être protégé par le droit commun. L’imitation du site par une campagne de publicité est donc fautive, et porte préjudice à l’éditeur de ce site. Les magistrats ont donc non seulement tenu compte du succès du site viedemerde.fr, mais aussi de l’existence d’une exploitation dérivée de ce concept, sous forme de série télévisuelle, ayant donné lieu à un contrat à titre onéreux.

La prise en compte de cette adaptation télévisuelle est d’autant plus intéressante que l’existence de formats est souvent invoquée dans des litiges relatifs à des programmes audiovisuels : les producteurs de certaines émissions, dès lors que les formats sont de simples concepts, non protégeables par le droit d’auteur, tentent de faire sanctionner les imitateurs de ces concepts sur le terrain de la concurrence déloyale et du parasitisme.

On sait cependant qu’en matière audiovisuelle, le parasitisme et la concurrence déloyale sont plus difficiles à prouver que la contrefaçon de droits d’auteur, et que ces griefs sont généralement accueillis avec parcimonie par les tribunaux [4]. S’agissant du site viedemerde.fr, il semble que l’existence d’une exploitation dérivée du projet original ait contribué à caractériser non seulement l’existence d’un format, mais aussi à en prouver la valeur économique.

La distinction entre la contrefaçon d’une part, et la concurrence déloyale et le parasitisme d’autre part, pourra paraître exagérément subtile aux non-juristes. Mais elle n’est pas sans conséquences devant les tribunaux, loin s’en faut. Ainsi, dans la présente affaire, on a sanctionné le parasitisme, à défaut de reconnaître la contrefaçon. Mais le montant des dommages-intérêts accordés est loin d’être généreux : les éditeurs du site n’ont obtenu que 5.000 € d’indemnisation en réparation de leur préjudice, alors qu’ils en demandaient plus de 100.000... VDM ?

Quentin RENAUD Avocat à la Cour

[1Civ. 1ère, 22 octobre 1991, n° 90-16.356

[2voir par exemple Civ. 1ère, 17 mai 1978, n° 76-14.888

[4pour un exemple de rejet, voir l’affaire « Dilemme » : CA Paris, 12 septembre 2012, n° 11/05622, confirmé par Cass. Com., 26 novembre 2013, n°12-27.087