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La CEDH ouvre la porte à la GPA. Par Grégor Puppinck, Docteur en droit.
Parution : vendredi 27 juin 2014
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La Cour européenne des droits de l’homme a rendu le 26 juin 2014, deux arrêts très attendus concernant deux affaires de mères porteuses impliquant des couples français. Les faits sont similaires et le raisonnement de la Cour identique dans les deux cas .

En 2000 et 2001, les époux Mennesson d’une part, Labessee d’autre part, ont obtenu des enfants nés de mère porteuse après don d’ovocyte aux Etats-Unis – où gestation pour autrui et don d’ovocytes sont rémunérés – les épouses étant âgées de 45 et 49 ans respectivement. Sur les actes de naissance américains, les requérants furent indiqués comme pères et mères des enfants mais ils n’obtinrent pas la transcription sur les registres d’état-civil français. Dans ses arrêts du 6 avril 2011, la Cour de cassation affirma qu’il est «  contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui » ou d’invoquer la possession d’état pour l’établissement de la filiation, en précisant que le refus de transcription, « qui ne prive pas les enfants de la filiation maternelle et paternelle que le droit californien leur reconnaît ni ne les empêche de vivre avec les époux Mennesson en France, ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale de ces enfants au sens de l’article 8 de la Convention (...), non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 § 1 de la convention internationale des droits de l’enfant ».

Dans les deux affaires, les requérants se plaignaient à la Cour européenne d’une part du fait qu’au détriment de l’intérêt supérieur de l’enfant, ils n’avaient pas la possibilité d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie à l’étranger [1] et d’autre part de ce que leurs enfants subissaient, dans l’exercice de leur droit au respect de leur vie familiale, une situation juridique discriminatoire par rapport aux autres enfants [2].

La Cour ne s’oppose pas à la GPA, sans exiger sa légalisation

Dans cette affaire, la Cour ne se prononce pas directement sur l’interdiction de la GPA au regard de la Convention : ce n’était pas la question. Néanmoins, elle note la diversité des législations en Europe et admet « le fait que le recours à la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d’ordre éthique » (§ 79). Selon la Cour, les États ont «  une ample marge d’appréciation, s’agissant de la décision non seulement d’autoriser ou non ce mode de procréation mais également de reconnaître ou non un lien de filiation entre les enfants légalement conçus par gestation pour autrui à l’étranger et les parents d’intention. » (§79). Cependant, cette liberté de principe est « atténuée » par la nécessité concrète de «  prendre en compte la circonstance qu’un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation. » (§ 80).

A l’égard de la législation française, la Cour admet « que le refus de la France de reconnaître un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention » poursuit un but légitime puisqu’il « procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors du territoire national à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire dans le but, selon sa perception de la problématique, de préserver les enfants et (…) la mère porteuse » (§ 62).

Elle estime donc que la France peut prohiber cette « méthode de procréation » et elle n’entend pas « mettre en cause en tant que tel[le] » (§ 84) le « choix d’éthique du législateur français d’interdire la gestation pour autrui » (§ 83). La Cour prétend ainsi épargner le principe de l’interdiction de la GPA tout en portant un jugement sur les conséquences pratiques de cette interdiction en l’espèce. En d’autres termes, elle juge la sanction de l’interdiction, mais non l’interdiction elle-même, laissant chaque pays libre d’interdire ou non. Pour la Cour, ce choix n’est qu’une question de « perception de la problématique ».

Le jugement de la Cour porte sur les conséquences, en l’espèce, de la position française

Passant outre la question du principe de l’interdiction de la GPA, la Cour fait porter son jugement, in concreto, sur les conséquences de la prohibition, à savoir en l’espèce les conséquences du refus de transcription de l’état civil à l’égard des adultes et des enfants.

A l’égard des adultes, la Cour note que les requérants « ne démontrent pas que l’impossibilité d’obtenir en droit français la reconnaissance d’un lien de filiation les empêche de bénéficier en France de leur droit au respect de leur vie familiale » (§92). En d’autres termes, la non-reconnaissance des enfants n’a pas eu de conséquences de nature à emporter violation des droits des adultes.

A l’égard des enfants, la Cour estime que les conséquences du refus de transcription ont été disproportionnées, eu égard en particulier au fait que l’intérêt des enfants doit prévaloir sur les autres considérations.
La Cour voit une « contradiction » dans le fait que « la France, sans ignorer que |les enfants] ont été identifié()s ailleurs comme étant les enfants des premiers requérants, leur nie néanmoins cette qualité dans son ordre juridique » et estime que «  pareille contradiction porte atteinte à leur identité au sein de la société française. » (§ 96).
La Cour a estimé que les enfants étaient en outre, en France, dans une situation de « troublante incertitude » juridique quant à leur possibilité d’acquérir la nationalité française. Dans les faits, cette incertitude résulte des dernières observations du gouvernement soutenant que les enfants auraient pu obtenir la nationalité française, et en particulier de la circulaire du 25 janvier 2013 dite Taubira (§74). De fait, cette circulaire a rendu la règlementation française incohérente, alimentant l’incertitude juridique des enfants nés par GPA. La Cour note en outre que le refus des autorités porte atteinte à leurs droits successoraux

La Cour en a conclu que les effets de la non reconnaissance en droit français du lien de filiation affectent les droits des enfants, en particulier le droit au respect de la vie privée, « qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation » (§ 99). Les droits des enfants doivent être appréciés en tenant compte du principe de respect de l’intérêt supérieur des enfants, « dont le respect doit guider toute décision les concernant » (§99), ce qui leur donne un poids particulièrement important.

La distinction selon l’existence d’un lien biologique

Il convient de souligner que la Cour étudie la situation des enfants, dans un premier temps, sans tenir compte de leur lien biologique avec le père. Ce n’est que dans un second temps, et de façon quasi surabondante bien que déterminante, que la Cour note que « [c]ette analyse prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant » (§ 100).
La Cour, constatant l’existence d’un tel lien biologique avec le père, souligne « l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun  » et affirme qu’il est contraire « à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. » (§100). Des lors, la possibilité d’établir la filiation paternelle suffit à conclure que la France est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation, et a donc violé le respect dû à la vie privée des enfants.

Ainsi, cet arrêt est applicable même à des cas de GPA hétérologue, c’est-à-dire sans aucun lien biologique avec des adultes commanditaires. La Cour ne condamne pas cette pratique.
Elle estime que dès lors qu’une filiation est établie régulièrement dans un pays, même en violation de l’ordre public international français, l’enfant doit bénéficier d’une sécurité juridique, la France devant éviter la contradiction consistant à accepter en pratique de donner effet à des actes d’état civil régulièrement établis à l’étranger, tout en refusant en droit de reconnaître la filiation que ces actes établissent.
Ainsi s’agissant de la GPA hétérologue, les Etats ont avant tout le devoir de préserver l’intérêt de l’enfant en évitant la confusion juridique. Cette exigence prend un relief particulier eu égard à « l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun » reconnue par la Cour. En ce sens, reconnaître une filiation artificielle et biologiquement fausse porte atteinte aux droits des enfants. L’arrêt de la Cour peut donc aussi est interprété contre la GPA hétérologue, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En revanche, lorsqu’un lien de filiation biologique existe entre l’enfant et un ou les deux parents commanditaires, la Cour énonce clairement que ce lien doit pouvoir être reconnu et établi légalement. La Cour ne dit pas qu’une telle filiation doit également être établie à l’égard du conjoint du parent biologique, en l’espèce l’épouse, si celui-ci n’a pas de lien biologique avec l’enfant. On peut même estimer que la Cour ne censurerait pas nécessairement le choix d’un pays de n’établir la filiation qu’avec le seul parent biologique, à l’exclusion même de son conjoint.

Cet arrêt a donné à la Cour l’occasion paradoxale de réaffirmer un attachement à la filiation biologique, pourtant relativisée par ailleurs. La Cour est très claire à ce sujet, elle indique notamment que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation », lequel est « un aspect essentiel de l’identité des individus » (§ 96) Le paradoxe de cet arrêt réside dans le fait que, in fine, la France a violé le droit de l’enfant au respect de son identité parce qu’elle a précisément refusé de reconnaître une fausse filiation différente de l’identité biologique de l’enfant.

Les conséquences de l’arrêt

Il s’agit ici d’identifier seulement les conséquences minimales, juridiquement requises, de cet arrêt, et non pas l’utilisation politique qui peut en être faite par le gouvernement.

Cet arrêt n’a pas pour effet d’exiger que la France légalise la GPA, mais il indique implicitement que cette pratique n’est pas nécessairement contraire aux droits de l’homme et plus encore aux droits des femmes et des enfants. La Cour, avec toute son autorité morale, accepte le principe même de cette pratique controversée.

Ce que cet arrêt exige, c’est que la France mette fin à la contradiction et à l’incertitude juridiques dans laquelle sont placés les enfants conçus à l’étranger par GPA, et qu’elle accepte de reconnaître légalement la filiation biologique liant l’enfant et l’un ou les deux parents commanditaires.

Cette jurisprudence est transposable aux cas d’enfants conçus par GPA à la demande de couples de même sexe, en particulier lorsque l’un des membres du couple à un lien biologique avec l’enfant. De même, en cas de GPA hétérologue le même régime s’applique sans distinction selon la composition sexuelle des couples.

Concrètement, cet arrêt condamne le dispositif actuel de dissuasion du tourisme procréatif par GPA et oblige la France à l’abandonner. Néanmoins, il ne fait pas obstacle à ce qu’un autre dispositif de dissuasion et de sanction soit institué, pour autant qu’il ne porte pas atteinte lui aussi au respect de la vie familiale… De fait, on conçoit mal quel dispositif pourrait être à la fois respectueux d’une vie familiale déjà existante et réellement dissuasif. Car, en la matière, les gouvernements sont placés devant le fait accompli d’une vie familiale déjà existante.

Les difficultés rencontrées par les enfants nés de GPA sont réelles, et la Cour en a tenu compte. En revanche, à aucun moment, la Cour n’a évoqué la situation de la mère biologique des enfants, ni celle de la mère porteuse. Leurs situations sont totalement ignorées par la Cour, elles sont purement instrumentales. Or, le plus souvent, la GPA est réalisée au prix de l’exploitation de femmes, parfois au prix de leur vie, en Ukraine, en Russie ou en Inde. La GPA provoque aussi des violations des droits des enfants, comme en l’espèce.

La Cour n’a pas réussi, ou voulu, appréhender la problématique de la GPA dans son ensemble. Elle a considéré l’affaire du seul point de vue des couples occidentaux en mal d’enfants. Il faut espérer que d’autres affaires à venir, concernant notamment des enfants obtenus en Ukraine et en Russie sans aucun lien biologique avec les couples âgés commanditaires (Paradisio c Italie) lui ouvriront les yeux sur l’ensemble de la problématique de la GPA. La GPA ne peut pas être réduite, comme le fait la Cour, à une simple « méthode de procréation » parmi d’autres.

Finalement, d’un point de vue politique, on peut s’interroger sur la proportionnalité de cet arrêt : il fera probablement plus de mal que de bien, en encourageant une pratique contraire aux droits des enfants et des mères. Pour revenir sur cette tendance, il faudra probablement attendre une génération, que les enfants nés par GPA soient en âge de s’exprimer, et viennent poursuivre en justice ceux qui les ont achetés en les privant volontairement de tout ou partie de leur filiation.

La solution est politique.

Grégor Puppinck, docteur en droit.

[1art. 8 CEDH et art. 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant

[2art. 8+14 CEDH