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L’actualité de la direction juridique du groupe Orange - Interview de Nicolas Guérin (suite).
Parution : mercredi 9 juillet 2014
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Dans une interview parue dans Le Journal du management juridique n°40, Nicolas Guérin, Directeur juridique du Groupe Orange, revient sur la nouvelle organisation de son service mais aussi sur les sujets en cours de réflexion qui portent sur les indicateurs de performance et sur le juriste du futur.

Quel a été le dernier fait marquant pour la direction juridique d’Orange ?

Nous avons mis en place une organisation de la direction juridique beaucoup plus internationale. Le groupe Orange n’est pas à l’origine un groupe international mais est surtout un groupe multinational. Nous exerçons nos métiers de manière très adhérente à des pays, nous sommes soumis à des autorisations et à une régulation, selon les législations de chaque Etat même si des efforts d’harmonisation sont fait depuis des années.

Nos juristes sont présents dans 39 pays. Sur la totalité des 738 personnes constituant la fonction juridique du groupe, 400 sont hiérarchiquement rattachés au directeur juridique et 338 aux patrons de filiales dans les pays, donc sous contrats locaux.

L’idée était d’anticiper les besoins de nos pays et de mieux organiser une direction juridique multinationale comme la nôtre.

L’interface entre ces derniers et le groupe était bonne mais elle n’était sans doute pas assez institutionnalisée. C’est pourquoi, nous avons créé une direction juridique internationale business qui est chargée d’être en interface permanente avec les directions juridiques de pays pour savoir quels sont leur besoin et sur quel projet nous pouvons travailler en commun.

Cette nouvelle organisation a réorienté plus de 80 de nos juristes vers le soutien à l’International. Aujourd’hui plus de 50% du chiffre d’affaires du groupe est fait à l’international et cela a vocation à augmenter. L’idée était d’anticiper les besoins de nos pays et de mieux organiser une direction juridique multinationale comme la nôtre, de mieux la mettre au service des directions juridiques de pays.

Nous ne nous sommes pas contentés de changer l’organisation, nous avons également fait évolué nos méthodes de travail avec les pays. Nous sommes à l’écoute de leurs besoins, qu’ils soient techniques ou humains. Notre programme de Talent Sharing est d’ailleurs un moyen de leur envoyer des ressources et surtout de renforcer la coopération entre les pays.

Votre direction juridique travaille-t-elle sur une « nouvelle » innovation ?

Toutes les données qui existent seront agrégées. L’idée n’est pas de trouver le bon indicateur, l’unique indicateur commun à tous mais d’avoir un référentiel.

Oui. Nous avons constaté que les juristes ont un problème qui est celui des indicateurs de performance. Aujourd’hui, quand vous établissez un budget de direction juridique, dans la plupart des entreprises, les frais d’avocats et le nombre de juristes sont les seuls indicateurs retenus. C’était le cas chez Orange.

Evidemment ce n’est pas suffisant, et en premier lieu parce qu’il y a un risque d’établir un lien entre les deux. Si vous augmentez vos frais d’avocats, vous diminuez le nombre de juristes et vice-versa. Ce sont des indicateurs qui se neutralisent comme indicateur de performance. Si vous baissez les deux, vous baissez la qualité. Dans tous les cas ils ne permettent pas d’évaluer la qualité du travail de la direction juridique.

Nicolas Guérin, Directeur juridique du Groupe Orange

Nous avons donc mis en place un programme qui vise à définir des indicateurs de performance collectifs pour nous permettre de vérifier que nous employons nos ressources utilement. Nous sommes en train de nous doter d’un outils intranet qui nous permettra dès septembre, d’aller directement chercher dans nos outils actuels de reporting ces indicateurs. Ce sont des indicateurs complexes et multiples qui reflèteront la richesse de l’activité des juristes : le nombre de contrat, le temps passé sur le contrat, le nombre de provision, le nombre de contentieux, les valeurs de demande, le nombre de formations…

Toutes les données qui existent seront agrégées. L’idée n’est pas de trouver le bon indicateur, l’unique indicateur commun à tous mais d’avoir un référentiel. Imaginez une photo à l’instant T, puis vous regardez son évolution, ce qui vous permet ensuite en jouant sur les indicateurs d’améliorer la photo.

L’idée n’est pas de multiplier les saisines par les juristes c’est bien pourquoi nous avons utilisé les outils déjà existants de reporting. Ces indicateurs vont nous permettre d’avoir un outil de discussion des budgets plus fin mais ils vont nous permettre également de voir si collectivement nos ressources sont bien employées. Et ainsi peut être nous permettre d’améliorer notre politique de mobilité. Nous entrons ainsi dans la gestion de carrière. Grâce à ces indicateurs et à nos programmes de formation, de Talent Sharing, d’aide à la mobilité nous disposons d’une photo toujours en amélioration.

C’est une vraie innovation même si nombreux sont les directeurs juridiques à mettre en place des indicateurs de performance. Cela se fait partout en dehors du monde juridique mais c’était assez peu développé dans les directions juridiques.
Je tiens beaucoup à ce programme qui est un peu l’aboutissement des 4 ans de programme dont faisait partie le talent Sharing présenté lors du prix de l’innovation en management juridique 2013.

Nous travaillons également beaucoup sur la digitalisation, question très importante, et encore plus pour une entreprise de télécom comme la notre. Nous avons donc lancé un programme qui s’appelle « Le juriste du futur » qui comporte 2 volets :

-  Un sur la gestion prévisionnelle de l’emploi c’est-à-dire sur les qualités essentielles et la formation du juriste de demain ;

Le programme "Le juriste du futur" comporte 2 volets...

-  Un volet sur les outils et la façon de travailler du juriste de demain. Le télétravail en fait clairement partie. L’utilisation des tablettes est aussi en question. Faut-il avoir un ordinateur sur un bureau ? Une tablette avec un clavier et une offre de cloud n’est-il pas suffisant ? Nous souhaitons expérimenter l’utilisation de tablettes auprès d’une trentaine de juristes pour voir comment ces nouveaux outils doivent et peuvent être utilisés.. Pour finir, nous avons également lancé une réflexion sur l’usage par les juristes des réseaux sociaux comme outils de travail ou de communications. Nous avons un réseau social d’entreprise qui s’appelle Plazza où des communautés de juristes se sont créées. Mais quel est le rôle de ce réseau social au sein de la population juridique ? Est ce que c’est un véritable outil de travail qui est amené à remplacer les intranets ou bien un outil supplémentaire de communication d’échanges entre juristes ?

Je crois véritablement à la capacité d’innovation des juristes, notre profession est en train de vivre de profondes mutations mais je reste persuadé que les juristes sont à même de les accompagner et que la profession va prendre encore plus d’importance dans l’avenir.

Biographie :
Après avoir obtenu un diplôme de l’Institut de droit des affaires et un DESS de droit des affaires et fiscalité (Paris II Panthéon Assas), Nicolas Guérin a occupé différents postes avant de devenir Directeur juridique de TDR, filiale de SFR .
En 1998 il rejoint France Télécom en tant que Directeur juridique concurrence et réglementation. En 2009, il est nommé Directeur juridique Groupe France Télécom devenu Orange.
Nicolas Guérin est également Administrateur du Cercle Montesquieu et Président du Comité d’évaluation et d’orientation de la Chaire Internationale de droit de l’espace et des télécommunications de l’Université de Paris XI.

Propos recueillis par Laurine Tavitian