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Les copies d’écrans ainsi que les copies dans le cache du disque dur peuvent être réalisées sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur. Par Mareva Desbois, Avocat.
Parution : jeudi 3 juillet 2014
Adresse de l'article original :
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Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les dispositions de l’article 5, paragraphes 1 et 5 de la Directive 2001/29 CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information prévoient :

«  1. Les actes de reproduction provisoires visés à l’article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre :

a) Une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou

b) Une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé, et qui n’ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l’article 2.
[…]
5. Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit.
 »

La Cour de Justice de l’Union Européenne, interrogée par la Cour Suprême du Royaume-Uni sur l’interprétation de l’article 5 de la Directive précitée, énonce dans son arrêt du 8 juin 2014, que ledit article doit être interprété en ce sens que :

« les copies sur l’écran d’ordinateur de l’utilisateur et les copies dans le cache du disque dur de cet ordinateur, effectuées par un utilisateur final au cours de la consultation d’un site internet satisfont aux conditions selon lesquelles ces copies doivent être provisoires, présenter un caractère transitoire ou accessoire et constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, ainsi qu’aux conditions fixées à l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, et peuvent dès lors être réalisées sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur. »

Dans les faits, une association regroupant des professionnels des relations publiques (PRCA), avait recours au service de suivi de média, proposé par la société MELTWATER, mettant à disposition en ligne des rapports de suivis d’articles de presse publiés sur internet.

La société MELTWATER souscrivait, dans le cadre de cette activité, une licence de base de données internet.

La NLA, organisme mis en place par les éditeurs de journaux du Royaume-Uni afin de fournir des licences collectives concernant le contenu de journaux, considérait que la société MELTWATER, ainsi que ses clients devaient obtenir une autorisation des titulaires de droits d’auteur pour fournir et recevoir le service de suivi des médias.

La NLA soutenait à ce titre, que la consultation du site internet de la société MELTWATER, par les clients de celle-ci, qui impliquait la réalisation de copies sur l’écran d’ordinateur de l’utilisateur ainsi que de copies dans le « cache » internet du disque dur de l’ordinateur, constituait un acte de « reproduction » au sens de l’article 2 de la directive 2001/29, ne relevant pas de l’exemption prévue à l’article 5 paragraphe 1 de cette directive.

La Cour Suprême du Royaume-Uni s’est alors adressée à la CJUE pour savoir si les internautes qui consultent des sites internet sur leur ordinateur, sans les télécharger ou les imprimer, portent atteinte au droit d’auteur, du fait de la réalisation de copies « sur écrans » et de copies "en cache", à moins qu’ils n’aient l’autorisation des titulaires de droits d’effectuer de telles copies.

La CJUE a donc procédé à l’analyse du respect de chacune des conditions posées par les dispositions de l’article 5, paragraphes 1 et 5 de la directive précitée, pour les copies sur écrans, ainsi que pour les copies en « cache ».

• Sur le caractère provisoire

A ce titre, la CJUE, a considéré, qu’à la fois les copies « sur écrans » et les copies « en cache » sont toutes deux provisoires au sens des dispositions de l’article 5 §1 de la directive 2001/29, les premières étant supprimées dès lors que l’internaute quitte le site internet, les secondes étant « normalement remplacées automatiquement par d’autres contenus après un certain temps, lequel dépend de la contenance du cache, ainsi que de l’ampleur et de la fréquence d’utilisation d’internet par l’internaute concerné. »

• Sur la condition selon laquelle la reproduction doit constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique

La CJUE a considéré que les copies « écran » ainsi que les copies « en cache » font toutes deux parties intégrante du procédé technique, dès lors qu’elles sont « toutes deux créées et supprimées par le procédé technique utilisé pour la consultation des sites internet, de sorte qu’elles sont entièrement effectuées dans le cadre de celui-ci ».

La CJUE a également considéré que la condition d’une partie « essentielle » du procédé technique était satisfaite, les copies « écran » étant rendues nécessaires pour visualiser correctement un site internet, les copies « en cache » facilitant considérablement la navigation sur internet.

• Concernant la condition alternative du caractère accessoire ou transitoire de l’acte de reproduction

La CJUE a considéré que les copies « écran » sont bien transitoires du fait que leur durée de vie est limitée à ce qui est nécessaire pour le fonctionnement du procédé technique utilisé pour la consultation du site internet concerné.

Par ailleurs, et concernant les copies « cache », la CJUE a considéré que si le caractère transitoire n’était pas établi, le caractère accessoire de celles-ci résulte du fait qu’elles « n’ont ni d’existence ni de qualité autonome par rapport au procédé technique en cause ».

• Sur le respect de la condition posée par l’article 5§5 de la directive 2001/29

La CJUE a établi le caractère « spécial » de la copie « écran » ainsi que de la copie « en cache », du fait qu’elles ne sont réalisées que dans le but de consulter un site internet.

Par ailleurs, et concernant l’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et le préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires de droits, la CJUE a considéré, que dans la mesure où les œuvres sont mises en ligne par des éditeurs de sites internet qui eux, doivent obtenir l’autorisation des titulaires de droits d’auteur concernés, conformément aux dispositions de l’article 3§1 de la directive 2001/29, les intérêts légitimes des titulaires sont respectés et qu’il n’est pas justifié qu’une autorisation supplémentaire de la part des titulaires soit sollicitée par les utilisateurs du site.

Outre la pertinence de cette décision d’un point de vue technique, celle-ci semble pour le moins salutaire, dans la mesure où la position contraire viendrait à remettre en cause la finalité même de l’autorisation donnée, par les titulaires de droits, aux éditeurs de sites internet, mettant à disposition des contenus protégés par le droit d’auteur, ainsi qu’à instaurer un double degré d’autorisation.

Mareva DESBOIS