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Réseaux sociaux vs. boulot, doit-on choisir ? Par Bérengère Peyrat, Elève-Avocate.
Parution : vendredi 4 juillet 2014
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La question des rapports entre vie privée et vie professionnelle des salariés n’est pas nouvelle. Mais il y a eu de nombreux changements en peu de temps. Indéniablement les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont constitué un incroyable accélérateur de l’introduction de la vie privée du salarié dans l’entreprise. Hier, le citoyen ne souhaitait pas que sa vie privée soit étalée au grand jour.
Aujourd’hui, l’engouement pour les réseaux sociaux a changé le monde du travail et l’internaute se dévoile délibérément, l’essentiel étant d’être populaire, a tout prix. La France compte 72% d’internautes dont 86% ont déjà visité, au moins une fois, un réseau social et 46% le font chaque jour. Selon une étude d’avril 2014, les salariés français utilisent Internet pendant leur temps de travail en moyenne 108 minutes par jour dont 63 minutes à des fins personnelles et seulement 45 petites minutes à des fins professionnelles…

Mais alors, les salariés peuvent-ils s’exprimer librement, via les réseaux sociaux, avec leurs collègues de travail, chez eux, le week-end sans avoir à rendre des comptes à leur employeur sur la teneur de leur propos ? Non, semble décider la jurisprudence, depuis l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon du 15 novembre 2011 selon lequel Facebook « doit être nécessairement considéré, au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public » [1]. Théorie confirmée par l’arrêt de la Cour d’appel de Reims du 12 février 2014 : « le caractère totalement privé d’une conversation engagée sur un compte Facebook peut être discuté dès lors qu’elle peut être partagée » [2]. Cela est renforcé par la politique des réseaux sociaux qui considère que toute information est publique par défaut. En effet, la Charte d’utilisation de Facebook précise « En règle générale, vous devez partir du principe que si vous ne voyez aucune icône d’audience, cela signifie que l’information sera publique ».

La confidentialité du propos tient alors au paramétrage que l’internaute fait de son compte. Paramétrages plus ou moins incertains lorsque l’on sait que, Marc Zuckerberg, le fondateur de Facebook, lui-même, a vu des photos privées partagées sur le réseau lors d’un bug en décembre 2011… C’est ainsi qu’un propos injurieux à l’encontre de son employeur va être visible, non seulement par les « amis » du salarié, mais également par ses « amis d’amis », ce qui peut rapidement faire augmenter le nombre de personnes ayant accès à ce message. Aussi, proclamer sur Facebook, que la représentation caricaturale du roi, impotent avec des béquilles, rappelle sa propre directrice s’analyse comme de la moquerie attentatoire à la personne et justifie le licenciement du salarié [3].
Par conséquent, des propos tenus sur Facebook ou encore Twitter ne relèvent pas forcément de la vie privée, même lorsque cela est fait en dehors du temps de travail. C’est ce qu’a jugé le Conseil de prud’hommes de Boulogne Billancourt dans son arrêt du 19 novembre 2010 où il valide le licenciement de salariés, pour faute grave, à la suite de propos tenus sur Facebook qui mettaient en cause leur supérieur hiérarchique [4]. Ainsi, la jurisprudence admet, depuis plusieurs années, qu’un fait de vie privée se rattachant à la vie de l’entreprise peut légitimer un licenciement disciplinaire. C’est le cas d’un salarié licencié pour l’utilisation intempestive du matériel informatique de l’entreprise à des fins personnelles. Selon la Cour, ce n’est pas parce que, l’usage intensif de l’Internet de l’entreprise, par un salarié, pendant le temps de travail, n’a pas eu de graves conséquences pour l’entreprise que cela ne constitue pas une faute justifiant un licenciement. [5].

La vie privée du salarié devient alors vulnérable. Aussi, pour éviter les conflits avec la vie de l’entreprise, le salarié doit respecter le devoir de loyauté dans l’usage des réseaux sociaux au sein de l’entreprise. Il doit donc s’abstenir de propos injurieux, d’accusations mensongères, de propos insultants ou calomnieux envers son employeur ou son entreprise.
Cette obligation de loyauté, qui résulte du contrat de travail, persiste en dehors de l’entreprise, comme l’a rappelé le Conseil de Prud’hommes dans une affaire du 30 mars 2011, « cette obligation consiste de façon générale à ne pas nuire à la réputation et au bon fonctionnement de son employeur, notamment par des actes de dénigrement contraires à l’intérêt de l’entreprise. En application de ce principe, le salarié qui blogue en dehors de ses heures de travail ne doit pas évoquer de façon négative son entreprise ».
Par ailleurs, il convient de rappeler que faire suivre son propos tenu sur un réseau social de smileys ou d’onomatopées ne permet pas d’éviter un licenciement. En effet, selon les juges « l’utilisation d’onomatopées et de smileys ne peut permettre de qualifier les propos échangés d’humoristiques » [6].

Alors les salariés doivent proscrire insultes, diffamations de leur employeur ou dénigrements de leur entreprise de leur « mur » Facebook ou de leur Twitter. Cela pourrait leur coûter très cher. Aujourd’hui, avoir un « QI numérique minimum » (selon l’expression de Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit social) est la seule solution pour éviter un licenciement pour des propos tenus sur les réseaux sociaux.

En bref, le comportement de l’internaute lui-même doit changer et comme le dit un passionné des nouvelles technologies, Barack Obama « Attention à ce que vous postez sur Facebook ! Tout cela pourra se retourner contre vous tôt ou tard  ».

Bérengère PEYRAT Elève-Avocate

[1Cour d’appel de Besançon, 15 novembre 2011, n°10/02642

[2Cour d’appel de Reims, 12 février 2014, n°12/02936

[3Cour d’appel d’Orléans, 28 février 2013, n°12/01717

[4Conseil de Prud’hommes Boulogne Billancourt, 19 novembre 2010, n°10-C853

[5Cass. Soc., 18 décembre 2013, n°12-17.832

[6Conseil de Prud’hommes Boulogne Billancourt, 19 novembre 2010, n°10-C853

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