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La protection des produits artisanaux et industriels par le système des indications géographiques. Par Delphine Bastien, Avocat.
Parution : mercredi 23 juillet 2014
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La Loi n° 2014-344 en date du 17 mars 2014 relative à la consommation dite loi « Hamon » créée une indication géographique spécifique destinée à protéger des produits artisanaux et industriels.

Avant d’aborder les apports de cette nouvelle loi, il est utile de revenir un instant sur le contexte international et communautaire dans lequel celle-ci intervient.

1. La protection des produits artisanaux et industriels au plan international et communautaire

Si au plan international, la protection des indications géographiques (IG) des produits artisanaux et industriels a été reconnue, telle n’a pas été encore le cas au plan communautaire.

Ainsi, au plan international, la notion d’IG a été reconnue et définie à l’article 22 de l’accord ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce) conclu dans le cadre du GATT (General Agreement Tariffs and Trade) devenu (OMC) Organisation Mondiale du Commerce.

Cette définition de l’IG vise « des produits » sans exclure les produits artisanaux ou industriels et met l’accent sur le lien étroit entre l’origine géographique (territoire d’un Membre, ou d’une région ou localité de ce territoire) et la qualité, la réputation ou une autre caractéristique déterminée dudit produit.

Au plan européen, il est mis en place, depuis 1992, un système de protection, mais uniquement pour les produits alimentaires, et qui reconnaît deux types de signes de qualité : les Appellations d’Origine Protégées (AOP) et les Indications Géographiques Protégées (IGP).

Dans les deux cas, ces signes de qualités désignent le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou dans des cas exceptionnels, d’un pays, et sert à désigner un produit agroalimentaire qui en est originaire et dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et les facteurs humains.

Mais dans le cas de l’AOP, toutes les étapes de fabrication (production, transformation et élaboration) ont lieu dans l’aire géographique délimitée alors que dans l’IGP, seulement l’une de ces étapes peut avoir lieu dans cette aire géographique. Le lien avec le terroir est donc moins fort.

Enfin, l’attribution d’une AOP ou d’une IGP se fait non seulement au regard de ces critères géographiques, mais également sur des critères qualitatifs qui figurent dans un cahier des charges, contrôlés par un organisme tiers indépendant.

S’il existe actuellement une volonté de l’Union Européenne d’harmoniser les protections des produits non agricoles, aucun texte n’est encore en préparation.

2. La protection des produits artisanaux et industriels au plan national

Comment étaient protégés produits artisanaux et industriels avant la Loi « Hamon » ?

Historiquement, les produits manufacturés étaient protégés par les appellations d’origine simple visées par la loi du 6 mai 1919 dont les dispositions sont reprises aux articles L. 115-1 et suivants du Code de la consommation et L. 721-1 du Code de la propriété intellectuelle. C’est sous l’empire de cette loi qu’ont été enregistrés quatre appellations d’origine de produits manufacturés : « Poterie de Vallauris », « Dentelle du Puy », « Email de Limoges » et « Mouchoirs et toiles de Cholets ».

Mais cette loi ne semble plus adaptée du fait de que les matières premières servant à fabriquer les produits manufacturés ne sont plus issue du terroir protégé, mais proviennent de l’importation. L’appellation d’origine simple n’a pas vocation à ne protéger que le savoir-faire (facteur humain), mais aussi le facteur naturel (le terroir). C’est dans ce contexte que la protection de la dénomination « porcelaine de Limoges » n’a pas été acceptée, la matière première (terre à foulon, émail) n’étant pas locale. (Conseil d’État, 31 janvier 1973)

Qu’apporte la loi « Hamon » ?

Cette loi met en place une protection nationale d’indications géographiques dédiées spécifiquement aux produits artisanaux et industriels sous certaines conditions tenant à l’élaboration de zones géographiques limitées et spécifiques et la mise en valeur de qualités ou de caractéristiques du produit liées à cette localisation.

Ainsi, cette loi définit l’indication géographique comme la dénomination d’une zone géographique ou d’un lieu déterminé.

Elle est destinée à désigner un produit, autre qu’agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, ce qui sous-entend les produits industriels ou artisanaux dès lors :
- qu’il en est originaire et qu’il possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique ;
- que les conditions de production ou de transformation de ce produit, telles que la découpe, l’extraction ou la fabrication, respectent un cahier des charges homologué.

Cette définition reprend les mêmes dispositions que celles adoptées par l’Union Européenne dans sa définition de l’IGP destinée aux produits agroalimentaires.

Dans la mesure où le législateur européen a pour projet d’instituer une protection européenne des IG des produits non agricoles, il est préférable que la réglementation nationale soit le plus proche de ce que pourrait être la réglementation européenne de demain en la matière.

Les demandes d’homologation et de modification du cahier des charges sont déposées par un organisme de défense et de gestion (ODG) auprès de l’INPI et non pas l’INAO qui pourtant est devenu le seul organe compétent pour les signes officiels d’identification de l’origine et de la qualité.

Dans le cadre de son examen, l’INPI doit s’assurer que les opérations de production ou de transformation décrites dans le cahier des charges, ainsi que le périmètre de la zone ou du lieu, permettent de garantir que le produit concerné présente effectivement une qualité, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être essentiellement attribuées à la zone géographique ou au lieu déterminé associés à l’indication géographique.

Certaines demandes d’homologation s’annoncent compliquées notamment entre les couteliers de Laguiole et ceux de Thiers. Le syndicat des couteliers de Laguiole se préparerait à devenir ODG, et souhaiterait voir reconnaître par l’INPI une IG « coutellerie de Laguiole ». Au contraire, à Thiers, souhaiterait créer une association pour une IG « Couteau de Laguiole Aubrac / Auvergne » qui préfigurait une future ODG et une zone géographique qui engloberait Thiers et Laguiole.

Également, cette loi permettra aux organismes de défense et de gestion dont une indication géographique a été homologuée ou dont la demande d’homologation est en cours d’instruction par l’institut de s’opposer à la demande d’enregistrement d’une marque. Cette procédure permet d’agir en amont et d’obtenir dans le cadre d’une procédure administrative initiée en première instance devant l’INPI, le rejet total ou partiel de cette demande d’enregistrement de marque.

À défaut d’avoir agi au cours de la procédure d’enregistrement de la marque, il est encore possible d’agir dans le cadre d’une procédure contentieuse en contrefaçon.

Par conséquent, non seulement au cours de l’enregistrement d’une marque, mais aussi a posteriori au cours de son exploitation il est possible de protéger son indication géographique contre toute atteinte.

Ne pouvait-on pas protéger ces produits artisanaux et manufacturés par un droit de marque ?

La marque est un signe distinctif destiné à désigner des produits et/ou des services d’une entreprise en vue de les distinguer de ceux de ses concurrents.

La marque peut être française, communautaire ou internationale c’est-à-dire visant des pays de par le monde, sélectionnés par le déposant. La protection de la marque a donc notamment une portée territoriale.

À partir de 1976, la CJUE reconnait expressément à la marque une fonction de garantie d’identité d’origine : « La fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final, l’identité du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service, de ceux qui ont une autre provenance ». (CJCE, 22 juin 1976, aff. 119/75, Terrapin c/ Terranova : Rec. CJCE 1976, I, p. 3711. ; CJCE, 12 nov. 2002, aff. C-206/01, Arsenal : Rec. CJCE 2002, I, p. 10273 ; Prop. Intell. 2003, n° 7, p. 200, obs. Bonet ; D. 2003, p. 755, note de Cande ; RTDE 2004, p. 104, obs. Bonet.)

Mais si une marque à bien cette fonction de garantie d’identité d’origine, elle n’a pas vocation à garantir une qualité aux produits / services qu’elle désigne que ce soit en termes de savoir-faire ou en termes de rattachement à un terroir.

En outre, pour être valable juridique, une marque doit respecter des conditions juridiques et notamment être distinctive, c’est-à-dire ne pas faire référence à une caractéristique du produit, telles sa composition, ses qualités, sa quantité, destination, valeur, provenance, ou encore époque de production. Elle ne doit pas non plus être la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service. Enfin elle doit être disponible.

Or, contrairement à la marque, l’IG a vocation à valoriser les qualités ou les caractéristiques du produit liées à une zone géographique déterminée et ne peut pas être l’appropriation d’un seul producteur, mais bénéficie à tous les producteurs de l’aire géographique délimitée qui respectent le cahier des charges associé à l’IG.

Ce débat marque / IG n’est pas nouveau. Déjà, dans le secteur des vins et spiritueux, certains pays, issus du « nouveau monde », auraient aimé qu’il soit fait application du régime de la marque collective plutôt que de celui des appellations d’origine et des indications géographiques.

La particularité de la marque collective est d’être utilisée simultanément par différentes entreprises (producteurs et/ou distributeurs) et de servir à distinguer une ou plusieurs caractéristiques communes de leurs produits ou services. Elle est la propriété d’un collectif (association de producteurs, organisme de standardisation ou encore organisme de contrôle de qualité) qui accordera ensuite des licences d’utilisation de la marque aux producteurs répondant aux conditions requises.

Outre les difficultés liées aux conditions juridiques propres au droit des marques (distinctivité, disponibilité), la difficulté liée à ce type de marque collective provient du fait que les caractéristiques puissent autant porter sur les méthodes de production ou la provenance que sur le simple fait d’appartenir à une association professionnelle sans autre considération liée au facteur naturel (terroir) qu’au facteur humain (savoir faire).

Bien évidemment il serait possible d’envisager quelques modifications aux droits des marques pour créer une marque collective destinée à protéger spécifiquement les qualités ou les caractéristiques de certains produits liées à une zone géographique déterminée.

Mais la logique économique, derrière la protection par le droit de marque et la protection par le système des IG semble profondément différente : d’un côté, une logique marchande (vision privatiste du droit) et de l’autre, une logique non marchande, certains diront protectionnistes, dans un monde ultra-concurrentiel, l’IG étant incessible, inaliénable imprescriptible (vision publiciste du droit).

Sources
• Étude d’impact du 30 avril 2013 sur le projet de loi relatif à la consommation ;
• Loi « Hamon » n° 2014-344 en date du 17 mars 2014 relative à la consommation ;
• « La consécration d’un nouveau droit de propriété industrielle – Embouteillages à l’INPI », Jérôme FERRANDO, RLDI n° 102, mars 2014 ;
• Observations de l’APRAM (Association des praticiens du droit des marques et des modèles), sur le projet de loi relatif à la consommation, 3 juin 2013 ;
• « En route vers un couteau Laguiole IGP ? » www.aveyron.com ;
• une extension attendue de l’indication géographique protégée aux produits manufacturés, Laurence Bineau, Contrats Concurrence Consommation, n° 2, février 2013, étude 3 ;
• « Le renouveau des indications géographiques, l’évolution corrélative du droit des marques », Communication Commerce Electronique n° 5, mai 2014, alerte 34 ;
• « Les appellations d’origine, nouvel outil d’intelligence économique ? », Anaïs FERRADOU, www.portail-ie.fr ;
• « L’artisanat français : vers une meilleure protection de nos savoir-faire ? », Anaïs FERRADOU, www.portail-ie.fr ;

Me Delphine BASTIEN Avocat au barreau de Paris-Spécialisée en propriété intellectuelle
 Maitre de conférences associé – Université Paris 13
 contact@cabinetbastien.fr - www.cabinetbastien.fr
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