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L’arrêt Bettencourt / Mediapart du 2 juillet 2014 pose la question de ce que recouvre la notion de vie privée. Par Mareva Desbois, Avocat.
Parution : mardi 22 juillet 2014
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La première chambre civile de la Cour de cassation a, le 2 juillet dernier, rejeté le pourvoi formé par la société MEDIAPART à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 4 juillet 2013 donnant injonction à la société MEDIAPART de retirer du site www.mediapart.fr, toute publication de toute ou partie de la retranscription des enregistrements réalisés par le majordome de Madame Liliane BETTENCOURT, à son domicile et à son insu, ainsi qu’injonction de ne plus publier tout ou partie des enregistrements précités "sur tous supports, électronique, papier ou autre, édités par elle et/ou avec son assistance directe ou indirecte », sur le fondement de l’article 226-2 du Code pénal.

Les enregistrements litigieux avaient effectivement été réalisés au domicile de l’intéressée et à son insu, de sorte que les faits incriminés par les dispositions de l’article 226-1 du Code pénal étaient constitués et imputables à leur auteur, de même que les faits incriminés par l’article 226-2 du Code pénal, soit «  le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1 », étaient constitués et imputables à la société MEDIAPART.

Concernant le contenu des propos captés, et leur mise à disposition du public par la société MEDIAPART sur son site internet d’informations, on rappellera que ceux-ci portaient notamment, tel qu’il ressort de l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles précité, sur « l’existence d’une possible fraude fiscale sur des avoirs détenus à l’étranger, un possible conflit d’intérêt résultant de l’embauche, par la société gérant une partie du patrimoine de Liliane BETTENCOURT, de l’épouse du Ministre du Budget en exercice, et sur le financement de partis et de personnalités politiques », de sorte que la notion de propos relevant de la vie privée pouvait tout à fait faire l’objet d’un débat, de même que le principe de la protection de la vie privée devait être mis en balance avec la notion de contribution à un débat d’intérêt général, tel qu’elle est traditionnellement prise en compte par la Cour Européenne des droits de l’Homme, argument qui a d’ailleurs été invoqué par la société MEDIAPART.

Or, si la Cour de cassation s’est bien astreinte à mettre en balance les deux notions précitées, pour en déduire que le principe de la protection de la vie privée ne pouvait être écarté au prix "d’une contribution alléguée au débat d’intérêt général", elle a clairement fait primer l’impératif de protection de la vie privée, en se fondant exclusivement sur les moyens de captation des propos et non pas sur leur contenu en tant que tel.

Un tel raisonnement suscite l’interrogation, d’une part au regard de la notion de vie privée et ce qu’elle recouvre, et d’autre part au regard du principe de la liberté d’obtention des modes de preuve en matière pénale, qui contraste fortement avec la solution de l’arrêt commenté.

Mareva DESBOIS, Avocat
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