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La reprise du personnel en marchés publics - contenu du cahier des charges et précisions sur l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail. Par Mathilde Peraldi, Avocat.
Parution : mardi 22 juillet 2014
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La reprise du personnel et le transfert des contrats de travail interviennent soit lorsque les conditions imposées par l’article L. 1224-1 du code du travail sont réunies, soit lorsqu’une convention collective le prévoit, soit encore en cas d’application volontaire.

Lorsqu’une convention collective prévoit la reprise du personnel, le pouvoir adjudicateur est tenu en cas de renouvellement d’un marché public à certaines obligations. En effet, lorsque, dans le cadre du renouvellement d’un marché public, le nouvel attributaire est susceptible de reprendre une partie du personnel en application d’une convention collective, il appartient au pouvoir adjudicateur de communiquer aux candidats le coût de la masse salariale (CE, 19 juin 2011, n°340773) et ce, quand bien même certains candidats ne seraient pas soumis à cette obligation conventionnelle.
La Cour administrative d’appel de Douai rappelle cette jurisprudence devenue constante sur ce point, et l’applique aux marchés à bon de commandes (CAA Douai, 6 mars 2014, n° 13DA00173).
Et la Cour de rappeler que le fait pour les candidats de détenir l’information selon laquelle le personnel devrait être repris par un autre biais est sans influence sur l’obligation qui pèse sur le pouvoir adjudicateur d’informer « les candidats éventuels de la masse salariale des personnels à reprendre ainsi que du coût correspondant ».

A défaut, l’égalité de traitement des candidats est menacée et la validité du marché remise en cause.
Si cette jurisprudence se place dans l’hypothèse d’une reprise du personnel prévue par convention collective, qu’en est-il de la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’opter pour l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail ?
Si l’application volontaire pose peu de difficultés au sein des structures de droit privé, cette possibilité en marchés publics doit être maniée dans le respect des grands principes de la commande publique.
L’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail résulte d’un accord entre l’entreprise anciennement prestataire et celle nouvellement attributaire. En outre, l’accord des salariés est obligatoire et doit être exprès :

« Attendu cependant que lorsque les conditions de l’article L. 122-12, alinéa 2, du code du travail ne sont pas réunies, le transfert du contrat de travail d’un salarié d’une entreprise à une autre constitue une modification de ce contrat qui ne peut intervenir sans son accord exprès, lequel ne peut résulter de la seule poursuite du travail » (Cass. Soc. 10 octobre 2006, n°04-46134) ».

En matière d’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail, les décisions se révèlent rares et circonstanciées.

Si les deux ordres de juridiction ont déjà jugé de la légalité de l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail en matière de marchés publics, cette option doit toutefois répondre aux exigences des grands principes de la commande publique et en particulier à l’égalité de traitement des candidats.

Les juridictions sociales considèrent que lorsque le pouvoir adjudicateur insère une clause de reprise de personnel dans le cahier des charges et que celui-ci est signé par le candidat, ce dernier doit être regardé comme ayant accepté de faire une application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail :
« Mais attendu que la cour d’appel a relevé que l’article 20 du cahier des charges signé par le nouveau concessionnaire l’obligeait à reprendre le personnel ;
que, par ce seul motif duquel il résulte que le nouveau concessionnaire avait accepté de faire une application volontaire de l’article L. 122-12 du Code du travail, la cour d’appel a légalement justifié sa décision » (Cass. Soc. 22 mars 1995, n°93-44158).
Cette position a été confirmée dans un arrêt sur renvoi plus récent (CA, Amiens, 3 mars 2011, n°09-01786).

Les juridictions administratives, pour autoriser le recours à l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail, semblent tenir une grande importance au contexte :

« Considérant que les cahiers des charges du contrat conclu entre la COMMUNE DE SAINT-PAUL et la Compagnie réunionnaise de services publics prévoyaient que pour l’exécution du service qu’elle assurait au titre de ce contrat, la Compagnie reprendrait vingt-quatre agents du personnel communal affectés à l’enlèvement des déchets ménagers ; qu’il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier et qu’il n’est d’ailleurs pas soutenu que le contrat ait prévu, entre la commune et la Compagnie, un transfert d’activité au sens de l’article L. 122-12 du code du travail ; que, dès lors, la somme forfaitaire due par la Compagnie réunionnaise de services publics à la COMMUNE DE SAINT-PAUL pour chaque agent communal non repris, en vertu des stipulations du contrat, doit être regardée comme une pénalité financière sanctionnant éventuellement la faute dans l’exécution du contrat en cas d’inexécution par cette société de l’obligation contractuelle d’embaucher les agents de la commune ; que, si aucun agent communal n’a accepté de conclure un contrat de travail avec cette société, il résulte de l’instruction que la Compagnie réunionnaise de services publics a fait aux agents de la COMMUNE DE SAINT-PAUL à plusieurs reprises des offres d’embauche dont le contenu correspondait aux conditions de rémunération et de reprise d’ancienneté offertes par le marché du travail local ; que, par suite, la Compagnie réunionnaise de services publics n’a pas commis de faute contractuelle en n’embauchant aucun agent communal » (CE, 1er juillet 2005, n°269342).

En effet, cette décision s’inscrit dans un contexte local particulier où le chômage est très présent et dans lequel les prestations confiées au nouvel attributaire, étaient auparavant exercées par la commune.
Cette appréciation du contexte se retrouve également dans une affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 30 juillet 2007, n°07BX00362).

Mais alors pourquoi une telle appréciation du contexte ? A en croire ces décisions, les juridictions administratives mettent en balance d’une part, la préservation de l’emploi et d’autres part l’égalité de traitement des candidats.
En effet, la volonté des parties et donc l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail ne saurait s’affranchir des grands principes de la commande publique.
En pratique, l’obligation de reprendre le personnel pourrait le cas échéant exclure les petites entreprises du marché qui, en raison de l’obligation de reprendre le personnel, décideraient ne pas postuler aux marchés publics.
Du reste, il ne faudrait pas oublier l’ancien titulaire du marché qui, dans une telle hypothèse n’a pas son mot à dire. En effet, l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail se joue entre le pouvoir adjudicateur et le nouveau titulaire sans que l’ancien titulaire, qui perdra une partie de sa masse salariale, n’intervienne à l’accord.
Or, l’ancien titulaire pourrait se trouver privé d’une partie de son personnel au profit de l’un de ses concurrents ; un tel transfert de la masse salariale pourrait être regardé, selon les domaines d’activité concernés, comme un élément portant atteinte à la libre concurrence.
Aussi, le respect du droit de la concurrence et plus largement des grands principes de la commande publique ne serait-il pas mieux assuré si l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail résultait d’un accord tripartite entre le pouvoir adjudicateur, l’ancien titulaire et le nouveau titulaire ?
En tout état de cause, l’application volontaire de l’article L. 1224-1 du code du travail ne saurait faire abstraction de l’obligation faite au pouvoir adjudicateur de faire figurer dans les documents de la consultation l’ensemble des informations liées à la masse salariale et à son coût comme l’a récemment jugé la Cour d’appel de Douai dans un cas de reprise conventionnelle (CAA Douai, 6 mars 2014, n° 13DA00173).

Mathilde PERALDI, Avocat au Barreau de Clermont-Ferrand