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Peut-on utiliser, dans la vie des affaires, la marque d’un tiers sans autorisation ? Par Delphine Bastien, Avocat.
Parution : vendredi 1er août 2014
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Selon les dispositions des articles L. 713-1, L. 713-2, L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire d’un droit de marque a le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou l’imitation de sa marque pour désigner les produits et/ou les services pour lesquels elle est protégée.

Mais ce droit de propriété ou encore ce monopole exclusif d’exploitation sur sa marque trouve des limites liées au principe de l’épuisement des droits (1) ou encore au principe de la référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service (2).

1. La règle de l’épuisement des droits

La libre circulation des produits et des services au sein de l’Union Européenne est un principe fondamental pour la réalisation d’un marché unique qui se heurte à un autre principe qui est celui du monopole exclusif d’exploitation du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle en l’occurrence d’un droit de marque.

Cette règle de l’épuisement des droits est le fruit d’un compromis dont l’objectif est de permettre la libre circulation des produits et des services au sein de l’Union Européenne sans pour autant annihiler totalement l’exercice des droits de propriété intellectuelle.

Cette règle consiste donc à reconnaitre au titulaire d’un droit de marque le droit exclusif d’exploiter lui-même ou d’autoriser à un tiers l’exploitation de sa marque pour la première mise en circulation d’un produit (commercialisation) au sein de l’Espace Economique Européen (EEE).

Mais après cette première mise en circulation du produit sur le territoire européen, avec son consentement, le titulaire de la marque ne pourra pas invoquer son droit sur le signe pour s’opposer à la libre circulation des produits marqués à l’intérieur de la Communauté.

En pratique, le titulaire de marque ne pourra pas interdire à un importateur de commercialiser sous sa marque des produits authentiques qui ont été mis en circulation dans un autre État membre par lui-même ou avec son consentement.

Néanmoins, le titulaire d’un droit de marque peut à nouveau exercer son droit postérieurement à cette première mise en circulation du produit au sein de l’EEE s’il peut faire valoir des motifs légitimes comme la modification ou l’altération de l’état des produits, l’atteinte à la renommée à l’image d’un produit provenant d’une présentation inadéquate des produits reconditionnés : emballage défectueux, de mauvaise qualité ou de caractère « brouillon », etc.

Bien évidemment, c’est à la personne qui invoque un motif légitime de nature à interrompre l’épuisement des droits d’en rapporter la preuve.

2. Le principe de la référence nécessaire

Selon ce principe prévu à l’article L. 713-6 du Code de la propriété intellectuelle, le titulaire d’une marque ne peut s’opposer à l’utilisation par un opérateur économique (distributeur, garagiste, réparateur, etc.) d’un signe identique ou similaire à sa marque dès lors que sa marque constitue une référence nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée.

En pratique, cette référence doit être « le seul moyen » pour fournir au public « une information compréhensible et complète » sur la destination du produit ou du service commercialisé par le tiers. (CJCE, 17 mars 2005, aff. C-228/03, The Gillette Company)

Également, le recours à cette référence ne doit pas avoir pour effet de créer une confusion dans l’origine des produits ni avoir pour objectif inavoué de violer les usages honnêtes du commerce.

Il sera rappelé à cet égard que « La fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final, l’identité du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service, de ceux qui ont une autre provenance  ». (CJCE 22 juin 1976, aff. 119/75 Terrapin c/ Terranova : Rec CJCE 1976 I, p. 3711) Autrement dit, la marque a une fonction de garantie d’identité d’origine.

La Cour de Justice a établi une liste, non exhaustive, d’usages déloyaux consistant notamment à laisser penser qu’il existerait un lien commercial entre le tiers et le titulaire de la marque ou tenter de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque citée ou encore tenter d’entrainer le discrédit sur la marque citée, etc. (CJCE, 17 mars 2005, aff. C-228/03, The Gillette Company, préc.)

3. Illustration avec l’affaire « Oscaro.com » c/ Bosch - Cour d’appel Paris 18 juin 2014

Dans cette affaire, la société Robert Bosch Gmbh (société de droit allemand) titulaire de 4 marques « Bosch » protégées notamment sur le territoire français et la société Robert Bosch France, chargée de la distribution en France des produits des marques « Bosch », apprenaient « courant décembre 2010, que la société Oscaro.com, spécialisée dans la vente en ligne de pièces et accessoires automobiles à prix discount, se livrait à une campagne publicitaire dans le cadre de laquelle était diffusée plusieurs fois par jour, sur les ondes radiophoniques, l’accroche « en ce moment sur Oscaro.com, tout Bosch est en promo » et faisait par ailleurs un usage massif et selon elle abusif des marques « Bosch » sur son site internet ».

L’action judiciaire des sociétés Robert Bosch pour actes de contrefaçon de marques et de concurrence déloyale sera rejetée.

La Cour motive sa décision en estimant que la marque a été utilisée conformément à sa fonction essentielle d’indication d’origine et la société Robert Bosch Gmbh est mal fondée à reprocher à la société Oscaro.com un usage excédant les limites d’un usage nécessaire de la marque dans le cadre de sa communication publicitaire sur des produits dont elle assure légitimement la distribution au regard de la règle de l’épuisement des droits. Elle confirme que le droit de revendre des produits marqués et acquis de façon licite implique également le droit pour le revendeur de faire la promotion des produits marqués et d’utiliser la marque pour les besoins de cette promotion.

À aucun moment, la Cour ne constatera un risque de confusion de nature à laisser croire à l’Internaute un quelconque rattachement au plan économique ou au plan commercial entre les sociétés Oscaro.com et Robert Bosch.

De même, à aucun moment, la Cour ne constatera une pratique déloyale consistant à utiliser la marque dans le but de promouvoir des produits d’une autre marque et, de manière générale, ses propres activités. En effet, l’opération de communication a bien permis d’augmenter le volume des ventes des produits « Bosch » et n’a pas profité aux produits des marques concurrentes.

Enfin, les sociétés Robert Bosch ne rapporteraient pas la preuve que la société Oscaro.com aurait eu recours à des pratiques trompeuses notamment sur l’étendue de la gamme des produits « Bosch » offerts à la vente ou encore sur le taux de réduction réellement accordé.

Si la procédure judiciaire engagée par les sociétés Robert Bosch n’a pas été considérée comme abusive celles-ci ayant pu légitimement se méprendre sur l’étendue de leurs droits, les sociétés Robert Bosch ont tout de même été condamnées à payer la somme de 30.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile c’est-à-dire pour dédommager la société Oscaro.com des frais de justice que celle-ci a du engager pour sa défense.

Conclusion

L’usage, dans la vie des affaires, de la marque d’un tiers, sans son autorisation, est donc très encadré et doit répondre à une légitimité dans le cadre de pratiques commerciales loyales.

Pour terminer, il convient de souligner que l’usage de la marque d’un tiers, sans son autorisation, dans le cadre d’une information critique, polémique ou humoristique ne doit pas non plus constituer un abus à la liberté d’expression, principe affirmé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme.

Lorsque celui qui cite la marque a pour but de participer au débat public, la citation de la marque est, en général, acceptée par les juridictions.

C’est ce qui ressort de deux affaires dans lesquelles l’association Greenpeace avait pris à partie tant la société Esso que la société Areva en dénonçant respectivement les méfaits de l’utilisation du plutonium et de l’essence au niveau écologique.

La Cour d’appel de Paris a jugé que « le principe à valeur constitutionnelle de la liberté d’expression implique que, conformément à son objet statutaire, l’Association Greenpeace puisse, dans ses écrits ou sur son site internet, dénoncer sous la forme qu’elle estime appropriée au but poursuivi, les atteintes à l’environnement et les risques causés à la santé humaine par certaines activités industrielles ; [...] ; [l’usage de la marque] ne vise pas à promouvoir la commercialisation de produits ou de services en faveur de Greenpeace, mais relève au contraire d’un usage polémique étranger à la vie des affaires ». (C.A. Paris, 26 févr. 2003)

De même, dans l’affaire Danone, deux sites web accessibles via les adresses « jeboycottedanone.com » « jeboycottedanone.net » ont critiqué et parodié la marque Danone pour dénoncer la fermeture de deux de ses usines en France la Cour d’appel de Paris a estimé que le créateur et le responsable des sites concernés n’avaient fait qu’inscrire leur action dans le cadre d’un strict exercice de leur liberté d’expression et dans le respect des droits des sociétés Danone dont les produits n’était pas dénigrés. En outre, il n’existait aucun risque de confusion dans l’esprit du public. (C.A. Paris 30 avril 2003)

En revanche, lorsque le but recherché est de jeter le discrédit sur des produits ou des services désignés par une marque en répandant des informations malveillantes, les Juridictions peuvent sanctionner ce comportement fautif notamment sur le fondement du dénigrement, peu importe que l’auteur de la faute soit ou non en situation de concurrence avec la victime. Ainsi, des consommateurs ou associations de consommateurs peuvent être sanctionnés pour actes de dénigrement.

Le dénigrement se distingue de la diffamation émanant d’un tiers, en situation de concurrence ou non, dont l’objet est de porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne physique ou morale. (Cass crim. 12-10-1976 n° 75-90.230 : Bull. crim. n° 287)

Le dénigrement se distingue aussi de la simple critique émanant d’un tiers, en situation de concurrence ou non, dont l’objet n’est pas de nuire et qui porte sur des considérations objectives, ce qui oblige à une investigation sérieuse, présentées de façon impartiale.

À ce titre, l’information critique sur les produits et les services, désignés ou non par des marques commerciales, est une pratique pour le moins délicate, encadrée par de très nombreuses conditions, donnant à l’exercice un caractère juridiquement risqué et dont les conséquences du fait du retentissement médiatique immédiat sont fortes en termes notamment d’image et de réputation pour les professionnels visés par la critique.

Sources
• Citation de marques sur Internet par Sandrine Bouvier-Ravon et François Coronne, légicom n° 21/22 – 2000/1 et 2
• Cour d’appel Paris, pole 5, chambre 1 – Arrêt du 18 juin 2014, www.legalis.net
• Liberté d’expression contre droit des marques par Jérôme Perlemuter, 23 juillet 2003, www.journaldunet.com
• CJCE 22 juin 1976, aff. 119/75 Terrapin c/ Terranova : Rec CJCE 1976 I, p. 3711
• CJCE, 17 mars 2005, aff. C-228/03, The Gillette Company, préc.)
• Cour d’appel Paris 18 juin 2014
• Cour d’appel Paris, 26 févr. 2003
• Cour d’appel Paris 30 avril 2003
• Cass crim. 12-10-1976 n° 75-90.230 : Bull. crim. n° 287

Me Delphine BASTIEN Avocat au barreau de Paris - Spécialisée en propriété intellectuelle
 Maître de conférences associé – Université Paris 13
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