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Précisions sur l’arrêt LEONE du 17 juillet 2014. Par Pascal Six.
Parution : mardi 12 août 2014
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Cour de Justice Européenne et Code des pensions : avec l’arrêt LEONE du 17 juillet 2014, on revient à la situation de 2002 et l’arrêt GRIESMAR !

Dans son arrêt LEONE du 17 juillet 2014 (C-173/13), la CJUE a conclu que le Code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa version issue des réformes de 2003 et 2007, encourrait les mêmes reproches que ceux formulées à l’encontre de la version précédente dans l’arrêt GRIESMAR. Selon elle, la seule façon de remédier à cette infraction aux règles communautaires est d’accorder aux hommes les mêmes avantages qu’aux femmes, tant qu’une nouvelle réforme ne rétablit pas l’égalité. Cette égalité de traitement est donc due d’avant l’arrêt de 2002 jusqu’au moins la dernière loi de réforme (2010) sur laquelle la CJUE n’a pas pu se prononcer.
Toutefois, déjà suite à l’arrêt Griesmar de 2002, le Conseil d’État refusait la révision des pensions liquidées depuis plus d’un an (délai de l’article L55 CPCMR). S’il persiste, quoique la jurisprudence semble lui donner tort, il nous faudra passer par la mise en cause de la responsabilité de l’Etat, et voici, en ce qui me concerne, en quoi elle pourrait consister.

RESPONSABILITÉ DU MINISTRE DE L’ECONOMIE
(Fonction Publique -Service des Pensions)

1 – Pour avoir refusé d’appliquer la jurisprudence européenne.

Selon l’arrêt CE du 30/07/2003 n° 245076 : « il appartient aux ministres, dans l’hypothèse où des dispositions législatives se révéleraient incompatibles avec des règles communautaires, de donner instruction à leurs services de n’en point faire application ».

La responsabilité du Ministre est donc engagée pour ne pas avoir donné les instructions en ce sens à mon administration et au Service des Pensions. Au contraire il a donné ordre à ses services d’en refuser le bénéfice, pour décourager les candidats, de ne pas répondre aux mémoires adverses, pour retarder la clôture de l’instruction et permettre ainsi dans ce délai le vote de la loi de réforme.

Cette position a perduré au delà de la publication de la loi 2003-775 puisque que dans le guide de la Réforme, publié en avril 2004 par le Secrétariat à la Fonction Publique, on trouve :
« Procédures et règles de liquidation à appliquer :
1) Avant la publication du décret :
Il convient d’appliquer la règlementation antérieure à la réforme des retraites (décision du Conseil constitutionnel du 14/08/2003) c’est à dire :
- pour les fonctionnaires féminins : accord dans les conditions antérieures
- pour les fonctionnaires masculins : rejet puis accord si une décision de justice intervient favorablement.
2) A compter de la publication du décret (soit à compter du 1er janvier 2004) :
- les liquidations sont effectuées selon la règlementation nouvelle dans les mêmes conditions pour les fonctionnaires féminins ou masculins.
 »
Et d’ailleurs, dans son avis, la Commission européenne précise :
« Il est exact que la rétroactivité de la condition d’apparence neutre résultant de la loi adoptée suite aux arrêts Griesmar et Mouflin semble avoir été jugée conforme au droit communautaire par le Conseil d’État français dans sa décision D’Amato du 29 décembre 2004. La Commission estime toutefois que tel n’était juridiquement pas le cas. En effet, ainsi que la Cour l’a rappelé dans son arrêt Ruzius-Wilbrink, les victimes d’une discrimination doivent se voir octroyer le même régime que les personnes qui bénéficiaient de cette discrimination, a défaut d’exécution correcte du droit de l’Union. Or, la Commission considère que l’imposition d’une condition d’apparence neutre, mais que les fonctionnaires de sexe masculin ne peuvent plus, ni juridiquement ni en fait, remplir dix ans après l’introduction d’une telle imposition ne saurait passer pour une exécution correcte des arrêts de la Cour.
Une telle exécution correcte ne pouvait, selon la Commission, revêtir que la seule forme, jusqu’à la date d’adoption d’une nouvelle règlementation éventuelle, de l’octroi aux fonctionnaires de sexe masculin du régime applicable jusqu’à cette date aux fonctionnaires de sexe féminin. Dans le contexte du litige au principal, les autorités françaises ont, notamment, argué que "en l’absence de droits acquis au titre des périodes d’emplois accomplies, le législateur peut modifier les effets juridiques futurs correspondant aux naissances passées, sans que cette mesure revête un caractère rétroactif
 ».

La Commission ne peut à l’évidence partager ce point de vue. En effet, ce que ce législateur français a fait, c’est changer, y compris pour le passé, les règles permettant la constitution/l’ouverture du droit. Le point de départ de la portée des dispositions de la nouvelle législation a donc forcément été fixé à une date antérieure à son entrée en vigueur. Le principe de sécurité juridique, et corrélativement le principe de confiance légitime, sont donc violés. »

2 – Pour avoir inexactement tiré les conséquences de l’annulation de la décision de rejet

La décision d’avril 2003, me refusant à la fois le départ au 01/09/2004 et les majorations pour enfants, étant reconnue illégale par l’Ordonnance du TA, le Service des Pensions devait me remettre dans la position légale.
Or, en avril 2003, le ministre aurait non seulement m’accorder le départ au 1er septembre 2004 mais également établir un titre de pension à jouissance différée, avec les bonifications pour enfants, conformément à la jurisprudence CJCE, puisqu’en avril 2003 la réforme de la loi 2003-775 n’était pas encore applicable.

En effet c’est l’article 42 de la loi qui a supprimé la liquidation à jouissance différée pour établir la liquidation selon la règle applicable à la date de droit à perception. Dans le guide de la Réforme, publié en avril 2004 par le Secrétariat à la Fonction Publique, on trouve :
« Article 42 de la loi modifiant l’article L.3 du code des pensions.
La possibilité de liquider une pension avec certificat à jouissance différée disparait à compter du 1er janvier 2004. Les agents radiés sans possibilité de faire valoir leur droit à pension dans le cadre de l’article L. 24 devront attendre de remplir les conditions définies à l’article L. 25 pour obtenir la liquidation de leur pension.
Ainsi, à titre d’exemple, lorsque la personne a démissionné et qu’elle occupait un emploi sédentaire, elle ne pourra obtenir la liquidation de sa pension avant d’avoir atteint l’âge de 60 ans. En conséquence, ces personnes se verront appliquer les droits en vigueur au moment où ils remplissent la condition d’âge ; les paramètres de calcul de la pension (durée de cotisation exigée, taux de décote, etc.) seront ceux en vigueur au moment de la mise en paiement de la pension et non à la date de radiation des cadres.
 »

Dans une situation similaire (demande avant la loi du 23 aout 2003 et même avant le 28 mai 2003, jouissance en 2008), le Conseil d’État a jugé [1] que la date de liquidation de la pension s’entend comme la date à laquelle les droits à pension ont été appréciés ; c’est-à dire dans mon cas avant le 16 avril 2003.
La commission vise également cette modification des conditions d’ouverture des droits en le contestant : « En effet, ce que ce législateur français a fait, c’est changer, y compris pour le passé, les règles permettant la constitution/l’ouverture du droit. Le point de départ de la portée des dispositions de la nouvelle législation a donc forcément été fixé à une date antérieure à son entrée en vigueur. Le principe de sécurité juridique, et corrélativement le principe de confiance légitime, sont donc violés. »

3 – Enfin pour m’avoir induit en erreur par des mentions inexactes.

Celle consistant à m’induire en erreur dans la notification de l’arrêté du 20/06/2006 sur le bénéfice des deux années 2004 2006, en faisant référence, à la note 776 qui précisait page trois, dernier paragraphe : « Pour éviter tout contentieux ultérieurs, notamment en indemnité, la période de service accomplie entre la date d’effet de l’admission à la retraite et la date de cessation effective des émoluments d’activité sera prise en compte dans la liquidation ». Cet élément a également pesé dans ma décision de ne pas saisir la CAA à l’encontre de l’ordonnance de 2006.
Or, ultérieurement, le Service des Pensions, a refusé l’application de cette note, indiquant quelle avait été rapportée avant la notification de l’arrêté.

RESPONSABILITÉ DE LA JUSTICE.

1 – présomption d’acquiescement de l’art R 612-6 CJA

La justice (TA de Nice Ordonnance du 06 juin 2006) est fautive pour n’avoir pas prix en compte la présomption d’acquiescement de l’art R 612-6 CJA, vu l’absence de mémoire après mise en demeure.
En effet, dans l’arrêt CE du 23/12/2011 n° 328070, le Conseil d’État précise :
« Considérant qu’aux termes de l’article R. 612-6 du code de justice administrative : Si, malgré une mise en demeure, la partie défenderesse n’a produit aucun mémoire, elle est réputée avoir acquiescé aux faits exposés dans les mémoires du requérant. …il doit, s’il y procède, en tirer toutes les conséquences de droit et qu’il lui appartient seulement, lorsque les dispositions précitées sont applicables, de vérifier que l’inexactitude des faits exposés dans les mémoires du requérant ne ressort d’aucune pièce du dossier »

Or, suite à la décision de rejet de ma demande de retraite, j’ai introduit le 19/06/2003 un recours en annulation devant le Tribunal Administratif de NICE. Il ressort de la consultation de l’état du dossier par le site SAGACE, que ma requête a été communiquée le 25/06/2003 avec un délai de réponse de 60 jours. Toutefois, ce n’est que huit mois et demi plus tard, le 12/05/2004 qu’il a adressé une mise en demeure (article R612-3) avec un nouveau délai d’un mois. Mais, à nouveau, le Tribunal Administratif n’a pas vérifié la production d’un mémoire en défense et n’a pas constaté, conformément à l’article R612-6 que la partie adverse était réputée avoir acquiescé.
En dépit de mon intervention le 23 mars 2006 en ce sens auprès de la Mission Permanente d’Inspection des Juridictions Administratives, l’ordonnance n’a pas retenu pas l’accord tacite, mais au contraire a rejeté la demande de bénéfice des majorations comme prématurée.

2 – la protection du droit de propriété

Celui-ci est protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme, en préambule de la Constitution et par l’article 1 du 1er protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Si ces articles autorisent l’atteinte au droit de propriété pour des motifs d’intérêt général, celle-ci ne peut se faire sans une juste indemnité.
En effet, l’article 17 précise : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité” .
Pour l’article 1 du premier protocole :
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États
de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour règlementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assumer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes.
 »

Mais la Cour Européenne a eu l’occasion de préciser dans l’arrêt LIHTGOW et autres du 8 juillet 1986  : « L’obligation d’indemniser découle implicitement de l’article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) pris dans son ensemble” (§ 109 et 120 de l’arrêt) et : “La Cour se range également à l’avis de la Commission quant au niveau de l’indemnisation : sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien, une privation de propriété constituerait normalement une atteinte excessive qui ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 (P1-1) » (§ 121).

Or les réformes successives du code des Pensions ont eu pour effet de réduire le régime de retraite des fonctionnaires et donc, pour ceux qui avaient acquis des droits sous l’ancien régime, de les priver d’une partie de ceux-ci sans qu’il soit prévu par la loi une quelconque indemnité.

Cette “expropriation“ sans indemnité aurait du être sanctionnée par le conseil Constitutionnel avant la publication de la loi ou au pire par le Conseil d’Etat, ainsi qu’il le fait en matière d’expropriation d’immeuble. 

Pascal Six

[1CE du 6 juin 2007 n° 289759

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