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Comment faire admettre un document ou une information issus des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) à titre de preuve judiciaire ? Par Delphine Bastien, Avocat.
Parution : mardi 26 août 2014
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Cette étude met en exergue la recevabilité des informations et documents issus des TIC à titre de preuve devant les juridictions judiciaires soumises aux règles du Code de procédure civile. Il en ressort une application stricte des principes de légalité, de loyauté, du respect à la vie privée et de proportionnalité au but recherché. En comparaison, la question de l’admissibilité des preuves reçoit un traitement différent en matière pénale, lorsqu’ils sont constitués et produits par un particulier.

Dans les procédures judiciaires régies par le Code de procédure civile, si la charge de la preuve incombe aux parties à l’instance, il appartient au juge de contrôler le mode d’obtention de ces preuves et de vérifier que les procédés employés sont loyaux.

« La loyauté dans l’administration de la preuve trouve son fondement, en matière civile, dans l’article 9 du Code de procédure civile, aux termes duquel « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », ainsi que dans l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à un procès équitable ». (Rapport 2012 de la Cour de cassation sur « la preuve »)

Autrement dit, toute preuve empreinte de déloyauté la rend irrecevable dans les procédures régies par le Code de procédure civile.

Or, les documents destinés à être produits comme preuve judiciaire sont de plus en plus recueillis aux moyens des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), définies dans le dictionnaire Larousse comme « l’ensemble des techniques et des équipements informatiques permettant de communiquer à distance par voie électronique ».

Concrètement, les TIC permettent aux utilisateurs de communiquer, d’accéder aux sources d’information, de stocker, de créer et de diffuser de l’information sous toutes les formes : textes et/ou son et/ou image et/ou vidéo.

Mais compte tenu du fait que l’accès à ces informations est parfois illicite (détournement des restrictions d’accès ou des mesures de sécurité), ou que ces informations peuvent aussi être manipulées ou modifiées, les Tribunaux, sans les écarter, sont très stricts sur leur mode d’obtention, de conservation et de protection.

En particulier, pour accepter ou non un document provenant des TIC à titre de preuve, les Tribunaux vont rechercher si les modes d’obtention du document ont été légaux, loyaux et proportionnés à l’objectif recherché.

C’est pourquoi, s’il est possible de recourir librement au TIC pour obtenir des informations et des documents de nature à pouvoir justifier un fait, il est parfois plus stratégique d’être autorisé par un magistrat à mandater un huissier de justice qui pourra procéder à des opérations de constat et/ou de saisie qui sont également très encadrées.

1. Du libre usage des TIC …

Selon la technologie utilisée, nous disposons aujourd’hui d’un nombre important de décisions judiciaires rappelant constamment le respect au principe de loyauté des preuves.

a. La preuve au sein de l’entreprise

La preuve par vidéo surveillance :

Le pouvoir de direction de l’employeur est limité d’une part, par le respect des libertés individuelles et du droit à la vie privée du salarié, posé par l’article L. 1121-1 du Code du travail et l’article 9 du Code civil et d’autre part par le principe de la loyauté des preuves, posé par l’article 9 du Code civil et notamment mis en œuvre par les articles L. 2323-32 alinéa 3 et 1221-9 du Code du travail.

C’est ainsi que la chambre sociale a jugé très tôt que, « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés durant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés » (Soc., 22 mai 1995, pourvoi n° 93-44.078, Bull. 1995, V, n° 164 ; voir aussi Soc., 20 novembre 1991, pourvoi n° 88-43.120, Bull. 1991, V, n° 519, le premier arrêt cité reprenant les termes des articles L. 121-8 et L. 432-2-1 introduits par le législateur en 1992, le second étant fondé sur l’article 9 du code de procédure civile).

C’est en application de cette jurisprudence que la preuve par vidéosurveillance a été admise à l’encontre d’un salarié pour des faits commis en dehors de ses heures de travail, car celui-ci était informé de l’existence de ce dispositif de surveillance dans son entreprise, et cela alors même que ce dispositif avait pour principale destination la surveillance et non le contrôle des salariés (Cass. soc., 26 juin 2013 ; http://www.legalis.net/spip.php?page=breves-article&id_article=3850)

En revanche, des images enregistrées par des caméras non destinées à la surveillance des salariés, dans des locaux où en principe les salariés n’ont pas d’activité et sans que ceux-ci aient été informés de la présence de ces caméras, peuvent servir de preuve contre eux. (Cass. soc., 19 avr. 2005 : JCP G 2005, I, 183, obs. Sérinet)

La preuve issue des fichiers informatiques ou des mails d’un salarié :

Dans le cadre de son pouvoir de contrôle de l’activité de ses salariés, l’employeur doit pouvoir prendre connaissance des fichiers informatiques et mails contenus dans les outils informatiques mis à la disposition de ses salariés, mais il doit aussi respecter les droits de ses salariés et notamment le droit au respect de l’intimité de leur vie privée visé à l’article L. 1121-1 du Code du travail.

Pour concilier le pouvoir de contrôle de l’employeur et le respect à la vie privée des salariés, il a été jugé que « les dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumés, sauf si le salarié les identifie comme étant personnels, avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut y avoir accès hors sa présence ». (Soc., 18 octobre 2006, pourvoi n° 04-48.025, Bull. 2006, V, n° 308 ; Soc., 16 mai 2007, pourvoi n° 05-43.455)

Également, « les connexions établies par un salarié sur des sites internet pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, hors de sa présence ». (Soc., 9 juillet 2008, pourvoi n° 06-45.800, Bull. 2008, V, n° 150 ; Soc., 9 février 2010, pourvoi n ° 08-45.253)

Enfin, « les courriers adressés par le salarié à l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l’intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels ». (Soc., 15 décembre 2010, pourvoi n° 08-42.486 ; Soc., 18 octobre 2011, pourvoi n° 10-26.782 ; Soc., 26 juin 2012, pourvoi n° 11-14.022).

Notons toutefois que le règlement intérieur peut poser des règles de consultation de la messagerie électronique des salariés plus contraignantes (présence obligatoire du salarié concerné) que l’employeur doit alors respecter, sauf à se voir opposer le caractère illicite de la preuve obtenue en infraction avec ses propres dispositions (Soc., 26 juin 2012, pourvoi n° 11-15.310, Bull. 2012, V, n° 196).

Enfin, il a été jugé que l’identification par le salarié d’un fichier comme personnel devait résulter de son intitulé et non de son contenu (Soc., 15 décembre 2009, pourvoi n° 07-44.264, Bull. 2009, V, n° 284), précisant que les initiales (Soc., 21 octobre 2009, pourvoi n° 07-43.877, Bull. 2009, V, n° 226) ou le prénom du salarié (Soc., 8 décembre 2009, pourvoi n° 08-44.840) n’identifiaient pas un fichier comme personnel, pas plus que la dénomination « données personnelles » donnée au disque dur ne peut conférer un caractère personnel à l’intégralité des données qu’il contient (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11- 12.502).

En revanche, si l’appareil utilisé par le salarié, même aux temps et lieu du travail, lui est personnel, l’employeur ne peut procéder à l’écoute des enregistrements réalisés en l’absence de l’intéressé ou sans qu’il ait été dûment appelé (Soc., 23 mai 2012, pourvoi n° 10-23.521, Bull. 2012, V, n° 156 : il s’agissait Dun dictaphone).

b. La preuve par enregistrement

Toujours en application au principe de loyauté des preuves, il a été jugé que l’enregistrement de conversations avec la personne contre laquelle des preuves d’agissements répréhensibles sont recherchées, sans l’autorisation de celle-ci et à son insu ne sont pas recevables à titre de preuve faute de « loyauté » dans son obtention. (Cas soc. 23 mai 2007 ; http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=1921).

c. La preuve par SMS

Également, il a été jugé que « l’enregistrement d’un SMS n’est pas déloyal, et donc est recevable comme mode de preuve, puisque l’auteur de ces messages écrits adressés téléphoniquement « ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur » (.) (Cas. soc. Arrêt du 23 mai 2007, http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=1935)

d. La preuve audiovisuelle obtenue à partir de drones civils

Il n’est pas inutile de s’intéresser un instant aux drones [sortes d’aéronefs sans pilote, télécommandés ou autonomes] dont l’usage civil se développe considérablement. Ainsi, la SNCF envisagerait par exemple de remplacer les avions et hélicoptères utilisés pour la surveillance des voies par des drones.

Or, un drone peut prendre une photographie, filmer, capter des sons ou géolocaliser une personne. Cette nouvelle technique de surveillance, particulièrement intrusive, a toutes les chances d’être considérée, par les juridictions civiles, commerciales ou prud’homales, comme portant atteinte notamment à la vie privée des personnes qui, à aucun moment, n’auront donné leur consentement.

Pour l’instant, nous ne disposons pas de décision judiciaire en la matière et la réglementation française sur l’utilisation des drones civils - à savoir les deux arrêtés en date du 11 avril 2012 relatif d’une part à la conception des aéronefs civils et d’autre part à l’utilisation de l’espace aérien par les aéronefs - n’aborde pas cette question du respect à la vie privée des personnes ou encore de la protection des données à caractère personnel ou encore plus largement de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle lorsque l’objet photographié, filmé, etc. est protégé par un droit de propriété intellectuelle.

e. La preuve par mail

L’écrit, sous forme électronique est souvent utilisé, mais, en pratique, ces écrits posent de réelles difficultés de recevabilité à titre de preuve.

L’article 1316-1 du Code civil dispose que « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ».

Certains plaideurs ont cru pouvoir se fonder sur les dispositions de cet article pour tenter de faire rejeter à titre de preuve des mails dès lors que rien en démontrait que le courrier électronique avait été établi et conservé dans des conditions susceptibles d’en garantir l’intégrité.

Mais il a été jugé que les dispositions de l’article 1316-1 du Code civil « ne sont pas applicables au courrier électronique produit pour faire la preuve d’un fait, dont l’existence peut être établie par tous moyens de preuve, lesquels sont appréciés souverainement par les juges du fond ». (Cass. sociale 25 septembre 2013, Cass. civil 2ème, 13 février 2014 n° 12-16839)

Ce faisant, la Cour de cassation précise que le juge apprécie librement la valeur probante d’un mail sans devoir vérifier automatiquement l’identité de la personne dont émane le mail ni vérifier que le mail a été établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. De cette façon, l’argument de l’absence d’intégrité du mail n’aura pas un effet systématique de nature à pouvoir faire écarter automatiquement un mail du débat judiciaire.

f. La preuve par impression-écran de pages de sites Internet et la preuve par achat en ligne de produits litigieux

Depuis 2010, un courant de jurisprudence dominant considère qu’aucun caractère probant ne peut être attaché à des impressions d’écran réalisées dans des conditions ignorées, ce qui implique concrètement le recours à un tiers assermenté comme un huissier de justice.

Une norme AFNOR n° NF Z67-147 de septembre 2010 sur le « Mode opératoire de procès verbal de constat sur Internet effectué par Huissier de justice » a même été élaborée.

Mais la Cour d’appel de Paris a néanmoins précisé que cette norme « n’a aucun caractère obligatoire et ne constitue qu’un recueil de recommandations de bonnes pratiques ». Il est vrai que « la preuve est libre en matière de propriété intellectuelle et un constat effectué sur internet par une société y ayant le statut de tiers de confiance, dans le parfait respect des conditions techniques préalables à toute constatation rigoureuse en ligne, peut être retenu à titre de simple renseignement. ». En définitive, la Cour a admis des constatations qui respectaient l’ensemble des diligences nécessaires et suffisantes à la validité et à la force probante d’un constat. (C. A. Paris 27 février 2013)

Pour autant, depuis la loi 2010-1609, dite « Beteille », du 22 décembre 2010, modifiant l’ordonnance 45-2592 du 2 novembre 1945 portant statut des huissiers de Justice, on reconnaît aux constats d’huissier une force probante certaine, dans les procédures judiciaires gouvernées par le Code de procédure civile, puisque ceux-ci font foi jusqu’à preuve contraire à la différence par exemple du rapport d’expertise qui a la valeur probante d’un simple renseignement.

Toutefois, sous peine de nullité de ces procès-verbaux, les huissiers de justice doivent respecter, lors de leurs opérations de constat ou d’achat sur Internet, un certain nombre d’obligations en application du principe de loyauté des preuves notamment.

Ainsi, les huissiers doivent effectuer des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de faits ou de droits qui pourraient en résulter.

S’agissant plus spécifiquement des constats sur Internet, ils doivent :

- respecter les préalables techniques aux fins d’apporter des précisions :
sur le matériel, l’adresse IP, le mode de navigation et le réseau de connexion utilisés,
sur le fait que la mémoire cache et l’historique du disque dur ont été vidés,
sur l’absence d’interférence dans le cheminement d’affichage. (CA Paris, 2 juill, 2010, n° 09/12757)
- jouer un rôle totalement passif
- et décliner son identité et sa qualité d’huissier de justice lorsqu’il procède à un achat de produits sur un site Internet.
Les conditions dans lesquelles ces opérations de constat et/ou d’achat sur Internet sont effectuées sont contrôlées de façon extrêmement stricte par les Tribunaux qui parfois rendent des décisions contradictoires renforçant encore l’aléa judiciaire.

Ainsi, dans le cadre d’un constat d’achat de produit sur Internet, il a été jugé que l’huissier de justice ne s’était pas borné à des constatations purement matérielles et avait outrepassé ses pouvoirs de simple constatant, car il s’était engagé activement dans une démarche matérialisée par l’ouverture d’un compte client et par l’acquisition du produit litigieux pour en obtenir la livraison et qu’il n’avait été satisfait à sa demande qu’à la faveur d’un traitement automatisé, étant précisé tout de même que l’huissier avait mentionné sa qualité d’huissier de justice. (Cass. civ. 20 mars 2014 n° 12-18518)

Mais le 26 avril 2013, il a été jugé que selon les dispositions de l’article 1 § 2 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, un huissier de justice a le droit de procéder à des constatations à la requête de particuliers et qu’il était habilité à le faire sans autorisation préalable du Tribunal dès lors qu’il a procédé à un achat à domicile, mais sans pénétrer dans la propriété d’un tiers et qu’il a dûment décliné son identité avant de procéder à l’achat litigieux sur le site marchand de la société concerné. Dans cet arrêt, la Cour d’appel considère alors qu’il n’existe aucun excès de pouvoir de la part de l’huissier instrumentaire qui n’a fait qu’effectuer des constatations matérielles portant sur l’offre à la vente sur un site marchand ayant opté pour une gestion automatisée des commandes ainsi que sur la réception des objets commandés qu’il a placés sous scellés. (Cour d’appel de Paris Pôle 5, chambre 2, Arrêt du 26 avril 2013, Core Distribution, Miral Conseil / Castorama France et autres)

L’arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2014 reste une décision pour le moins surprenante qui rend l’exercice d’un achat « test » sur Internet risqué au plan judiciaire …

2. … à un usage autorisé et encadré.

Les Codes de procédure civile et de propriété intellectuelle prévoient des procédures de nature à permettre de recueillir des éléments de preuve avant d’initier une procédure judiciaire.

a. La procédure fondée sur les dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile

L’article 145 du Code de procédure civile dispose que « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ».

Concrètement, cet article du Code de procédure civile, bien connu des praticiens, permet de demander au juge compétent, de façon non contradictoire, c’est-à-dire sans que son futur adversaire n’en ait connaissance, de désigner un huissier de justice pour que celui-ci procède à des opérations de constats et de collectes de documents de nature à établir des preuves d’actes illicites.

Lorsque cette demande est acceptée, le juge rend une ordonnance sur requête visant de façon très précise la mission de l’Huissier instrumentaire qui ne pourra en aucune manière s’en écarter.

À l’issue de ces opérations, l’Huissier rendra un procès verbal de constat et annexera les photographies prises au cours des opérations ainsi que les documents recueillis. Cette procédure est applicable à tous litiges autres que les litiges à caractère pénal ou les litiges en contrefaçon.

b. Les procédures de saisie-contrefaçon fondées sur les dispositions du Code de la propriété intellectuelle

De façon assez proche, le Code de la propriété intellectuelle prévoit la possibilité de démontrer les actes de contrefaçon portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle, quel qu’il soit, par une procédure dite de « saisie contrefaçon ».

Cette procédure commence par une requête, à nouveau non contradictoire, dans laquelle le requérant en premier lieu démontre être titulaire d’un droit de propriété intellectuelle, en second lieu montre le caractère très vraisemblable d’une atteinte à ses droits de Propriété Intellectuelle et en dernier lieu demande l’intervention d’un huissier de justice qui interviendra aux fins de collecter des documents, prendre des photographies et saisir de façon réelle le stock ou un échantillon de produits argués de contrefaçon.

À l’issue de ces opérations, l’Huissier rendra un procès-verbal de saisie contrefaçon et annexera les photographies prises au cours des opérations ainsi que les documents recueillis et les produits argués de contrefaçon.

Cette procédure est applicable uniquement aux litiges portant sur des faits de contrefaçon et devra être suivie, dans un délai légal, d’une procédure au fond en contrefaçon.

c. Comment motiver une requête aux fins de constats et/ou de saisie contrefaçon ?

Dans le cadre de ces deux procédures non contradictoires, il est essentiel de convaincre le juge de la réalité des faits litigieux et potentiellement illicite pour obtenir l’autorisation de faire intervenir un huissier de justice, pouvant, le cas échéant, se faire accompagner d’experts en toute matière.

À cet égard, il est possible de présenter un rapport d’enquête privée, mais celui-ci doit avoir été établi de façon loyale et avec des moyens d’investigations licites et proportionnés au but recherché.

À cet égard, il est important de retenir que même si l’article L. 621-1 du Code de la sécurité intérieure dispose que « L’agent de recherches recueille, même sans faire état de sa qualité ni révéler l’objet de sa mission, des informations ou renseignements destinés à des tiers, en vue de la défense de leurs intérêts », l’agent de recherche est soumis au droit commun dans le cadre de ses recherches et il ne bénéficie d’aucune des prérogatives de la police judiciaire ou de la gendarmerie.

La preuve rapportée par un agent de recherche privée doit donc être loyale, proportionnée et légale sous peine de porter atteinte notamment à la vie privée (C. civ., art. 9. - Conv. EDH, art. 8), ou encore à l’exigence d’un procès équitable. (Conv. EDH, art. 6. - Cass. 2e civ., 7 oct. 2004 : Juris-Data n° 2004-025068 ; Bull. civ. 2004, II, 447 ; D. 2005, p. 122, note P. Bonfils).

Ainsi, s’il n’est pas exigé de l’agent de recherche privée d’énoncer sa qualité lorsqu’il enquête, il peut être condamné pour usurpation de titre s’il se fait passer pour un fonctionnaire par exemple ou usurpation de fonctions si, par exemple, en accompagnant un huissier justice il a laissé croire qu’il était commissaire de police ou qu’il était un confrère de l’Huissier (Cass. crim 9 avr. 2002 : Bull. crim. 2002 n° 83 ; Dr pén. 2002, 109, obs. M. Véron)

Quant au respect de la vie privée de la personne sujette de l’enquête, il est indéniable que ce principe se heurte, par nature, à l’activité même de l’enquêteur consistant à rechercher des informations et des renseignements sur des personnes. Un compromis a donc été établi par les juridictions civiles qui admettent les atteintes à la vie privée dès lors qu’elles sont peu intrusives et proportionnées au but recherché. Cette règle de la proportionnalité semble inspirée de la jurisprudence conciliant d’une part les principes de vie privée et le droit des personnes sur leur image avec d’autre part la liberté d’expression. (Cass. 1er civ. 3 av. 2002 : bull. civ. 2002, I, n° 110 ; D. 2002, p. 3164).

S’agissant ainsi de la filature, si elle n’est pas interdite, la Cour de cassation exprime sa défiance et son souhait de voir les enquêteurs recourir à d’autres techniques précisant que le recours à une police privée n’est un moyen de recueillir des preuves admissibles que s’il est impossible d’obtenir ces renseignements par d’autres moyens, sans violation de la vie privée, en interrogeant les voisins, le concierge... . (Cass. crim., 9 avr. 2002 susvisé)

Egalement, si l’enquêteur recours aux TIC, il devra également les utiliser de façon loyale comme cela a été précédemment évoqué.

Conclusion

Cette étude met en exergue la recevabilité des informations et documents issus des TIC à titre de preuve devant les juridictions judiciaires soumises aux règles du Code de procédure civile. Il en ressort une application stricte des principes de légalité, de loyauté, du respect à la vie privée et de proportionnalité au but recherché.

En comparaison, la question de l’admissibilité des preuves reçoit un traitement différent en matière pénale, lorsqu’ils sont constitués et produits par un particulier.

En effet, se fondant sur l’article 427 du Code de procédure pénale, la chambre criminelle de la Cour de cassation décide, de manière constante, « qu’aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale. Il leur appartient seulement, en application de l’article 427 du code de procédure pénale, d’en apprécier la valeur probante » (Crim., 7 mars 2012, pourvoi n° 11-88.118, Bull. crim. 2012, n° 64).

Ainsi, par exemple, dans l’affaire HSBC relative à des fraudes au fisc de contribuables français, la Cour de cassation a dernièrement estimé que « d’une part, les fichiers informatiques contestés (fichier HSBC volé par un ancien salarié) ne constituent pas, au sens de l’article 170 du code de procédure pénale, des actes ou pièces de l’information susceptibles d’être annulés, mais des moyens de preuve soumis à discussion contradictoire, d’autre part, les juges ont, par des motifs pertinents, estimé que l’autorité publique n’était pas intervenue dans la confection ou l’obtention des pièces litigieuses, qui proviennent d’une perquisition régulièrement effectuée ». (Cass crim 27 novembre 2013)

Autrement dit, une personne peut se prévaloir d’une preuve obtenue de façon illicite dans la mesure où d’une part, elle peut être discutée de manière contradictoire pendant la procédure et d’autre part, elle n’émane pas de l’autorité publique qui aurait opérée dans des conditions irrégulières.

Mais il convient de garder à l’esprit que cette personne reste néanmoins susceptible de poursuites pénales pour l’obtention illégale de cet élément de preuve indépendamment de la procédure dans laquelle cet élément de preuve a, par ailleurs, été communiqué.

Enfin, cette recherche de preuve se heurte parfois au respect du secret des affaires et les mesures procédurales censées le protéger s’avèrent parfois d’une efficacité très relatives.

Sources

Définition de l’acronyme TIC dans le dictionnaire Larousse : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/TIC/10910450
Définition de l’acronyme TIC sur le site de wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Technologies_de_l’information_et_de_la_communication
« La Preuve », Rapport 2012 de la Cour de cassation
« Validité des constats sur Internet : la cour de Paris refuse de se référer à la norme AFNOR », Cour d’appel Paris, 27 février 2013, www.legalis.net, 11 mars 2013 ;
« Diffamation : une impression d’écran insuffisante pour établir la preuve d’une publication en ligne », Tribunal de grande instance Paris, 10 avril 2003 www.legalis.net, 19 avril 2013 ;
« Fichier HSBC volé : licéité de la preuve », Cass. crim 27 novembre 2013, www.legalis.net, 20 janvier 2014,
« La vidéosurveillance destinées aux intrusions ne peut service de preuve contre des salariés sans les informer de cette finalité », Cass. soc. 10 janvier 2012, www.legalis.net, 1er février 2012,
« Vidéo-surveillance : validité de la preuve d’un vol de salarié hors travail », Cass. soc. 26 juin 2013, www.legalis.net, 6 septembre 2013,
« Liberté de la preuve pour un courriel produit pour établir un fait », Cass. soc. 25 sept. 2013 www.legalis.net, 29 octobre 2013
« Constat d’achat en ligne et saisie contrefaçon : la Cour de Paris valide cette procédure en deux temps », Cour d’appel Paris, 26 avril 2013, www.legalis.net, 7 juin 2013
« La preuve par SMS admise dans une affaire de harcèlement sexuel » Cass. soc. 23 mai 2007
« Le courrier électronique et sa force en tant que preuve », cabinet Staub & associés, www. Staub-associes.com
« Une décision surprenante en matière de constat d’huissier sur Internet » Matthieu Berguig, Journal du net, www.journaldunet.com
« Les constats sur Internet » étude Leroy, Wald, Reynaud, Avache, www. huissierweb.com

Me Delphine BASTIEN Avocat au barreau de Paris Maître de conférences