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La lettre du contrat à l’épreuve de la rupture brutale des relations commerciales établies. Par Chloé Fernström, Avocat.
Parution : mercredi 27 août 2014
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En matière de rupture brutale des relations établies, l’analyse éminement concrète opérée par les juges de la relation commerciale rompue met bien souvent à mal la force de la lettre du contrat.

Nul praticien n’ignore que l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce sanctionne la rupture brutale de relations commerciales, c’est-à-dire le fait de rompre un courant d’affaires établi sans préavis ou avec un préavis jugé insuffisant notamment au regard de l’ancienneté de cette relation.

Initialement élaboré pour protéger les fournisseurs de la grande distribution contre les pratiques de déréférencement brutal, ce texte à la rédaction particulièrement large couvre aujourd’hui la plupart des secteurs d’activité et connaît un succès considérable dans la pratique contentieuse.

Il ressort de l’analyse de la jurisprudence récente qu’avec le développement exponentiel du contentieux de la rupture brutale des relations établies est apparue une certaine insécurité juridique, les juges privilégiant généralement une approche concrète lors de l’examen des circonstances de la rupture et ce, bien souvent au détriment de la lettre du contrat.

Les arrêts de la Cour de cassation du 20 mai 2014 et de la Cour d’appel de Paris du 10 avril 2014 en sont symptomatiques et méritent en ce sens d’être soulignés.

Dans son arrêt du 20 mai 2014, la société Canal Plus était accusée par la société Starvision, gérant la carrière d’un boxeur professionnel, d’avoir rompu brutalement leurs relations commerciales à la suite de l’échec de la renégociation de leur contrat de cession de droits de retransmission, laquelle était intervenue conformément aux termes de leur contrat. La société Canal Plus avait contesté le caractère brutal de la cessation de ses relations avec Starvision en mettant en avant qu’elle avait respecté les dispositions contractuelles, lesquelles mettaient à la charge des parties une obligation de renégocier un nouveau contrat avant le terme du contrat à durée déterminée qui les liait et qu’en cas d’échec de cette négociation, il serait valablement mis fin à la relation à l’expiration de ce contrat. La société Canal Plus considérait que le respect de cette stipulation contractuelle était exclusif de toute brutalité de la relation commerciale établie.

La Cour de cassation en a jugé autrement en réaffirmant le principe selon lequel l’existence d’une stipulation contractuelle « ne dispense pas le juge, s’il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances. » Ce faisant, la Cour a confirmé avec force le principe établi de longue date selon lequel il appartient au juge d’apprécier souverainement, et indépendemment des stipulations contractuelles, le caractère suffisant du délai de préavis au regard de la durée de la relation commerciale et des circonstances entourant sa rupture (v. par exemple Cass. Com., 22 octobre 2013, n°12-19500).

La Cour de cassation a en outre retenu le caractère brutal de la rupture au motif que l’offre formulée par Canal Plus dans le cadre de la renégociation du contrat, outre qu’elle était tardive, comprenait selon elle des conditions modifiant substantiellement les accords antérieurement conclus entre les parties. Concrètement, la Cour a considéré que cette offre imposait à Starvision des charges qui, dans les faits, ne pesaient pas sur elle antérieurement, bien que celles-ci étaient conventionnellemnt à sa charge sous l’empire du précédet contrat. Là encore et sans surprise, la Cour a écarté les stipulations contractuelles au profit « des faits établissant la pratique contractuelle qui s’était instaurée entre les parties  » pour conclure à la brutalité de la cessation de la relation contractuelle.

Dans le même sens et toujours au visa de l’article L.442-6, I, 5° du Code de commerce, la Cour d’appel de Paris a, dans sa décision du 10 avril 2014, fait fi de stipulations contractuelles au nom du principe de tolérance pour sanctionner la rupture d’une relation entre un fournisseur et son distributeur.

Dans cette espèce, une société qui développait un réseau de distribution dans le domaine de la location de ski a exclu avec effet immédiat l’un de ses distributeurs, au motif que ce dernier, en créant sa propre marque et en développant son propre réseau commercial par l’intermédiaire d’une filiale, avait créé une situation de concurrence incompatible avec l’appartenance au réseau et contraire à son règlement intérieur. Selon l’auteur de la rupture, ce manquement justifiait la résolution sans préavis du contrat du distributeur indélicat, conformément aux termes de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce prévoyant que « les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations [...]. »

La Cour a toutefois écarté les stipulations du règlement intérieur en relevant que la société tête de réseau avait toléré dans le passé l’exploitation d’autres enseignes par ses adhérents et que ce motif ne pouvait donc justifier à lui seul une rupture sans préavis des relations commerciales.

Ces décisions témoignent avec force de la portée toute relative des stipulations contractuelles à l’épreuve de l’examen concret, par les juges, des circonstances entourant la rupture d’une relation contractuelle établie.

Chloé Fernström Avocat au Barreau de Paris