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Le Mentorat, quelle tendance pour le monde du droit ?
Parution : mercredi 10 août 2022
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En France, chacun connaît le terme de mentor, pourtant les programmes de mentorat ne sont pas très visibles dans le milieu du Droit, ou à tout le moins ils ne sont pas (encore) institutionnalisés.
Cependant, la situation évolue sensiblement, notamment en ce qui concerne les avocats, les juristes d’entreprise et bien sûr les étudiants en Droit.

Cet article est actualisé régulièrement par les soins de la Rédaction du Village de la Justice.

Le mentorat est une relation solidaire et majoritairement bénévole entre un « mentor » expérimenté et un « mentoré » en demande d’écoute, de soutien ou d’évolution. Cette relation en « binôme » est fondée sur des transferts d’expérience, de savoir-faire, de savoir-être et de la spontanéité [1].
Le mentorat peut être « informel » pour favoriser l’accomplissement personnel mais il peut aussi être « organisé » entre pairs (pour des étudiants, enseignants, entrepreneurs…), ou « formalisé », à l’intérieur d’une entreprise ou d’un secteur professionnel (on parle alors de programmes de mentorat) pour contribuer à la productivité des organisations.
Souvent le mentor est une personne bien avancée dans sa carrière et qui souhaite transmettre l’expérience qu’elle a acquise à une personne plus jeune. Mais depuis quelques années se développe en parallèle le mentorat inversé, c’est-à-dire que c’est une personne jeune qui accompagne des employés plus âgés pour leur transmettre les nouveaux usages professionnels numériques ou techniques.

I. La place du mentorat en France de façon générale.

Au niveau national, le mentorat existe principalement au sein des écoles de commerces et des grandes écoles comme par exemple HEC qui par le biais d’ HEC Alumini [2] (association de tous les diplômés d’HEC) propose un programme de mentorat.

L’Etat reconnaissant les avantages engendrés par les programmes de mentorat au sein des entreprise a mis en place en 2013 une charte nationale du mentorat entrepreneurial afin que cette notion se généralise à l’ensemble des entreprises françaises [3].
Des programmes de mentorat sont mis en place par certaines Chambres de Commerce et de l’Industrie (CCI) et depuis décembre 2019, il un collectif s’est créé pour développer le mentorat en France : le collectif mentorat [4].
Depuis 2021, l’Etat met en place une politique publique du mentorat notamment avec le plan "1 jeune, 1 mentor"->https://www.jeunes.gouv.fr/le-mentorat-310].

II. Le mentorat dédié aux professionnels du Droit.

Contrairement à nos "cousins" Québécois où le mentorat fait partie intégrante de la vie des avocats et des juristes, sur l’ Hexagone, cette forme d’entre-aide professionnelle est peu développée ou alors elle l’est mais n’est pas mise en lumière, mais cet état de fait est en train de changer.

Plusieurs actions sont menées au sein de la communauté des avocats, des juristes d’entreprise... pour développer cet accompagnement professionnel plus humain et collaboratif. 

Pour illustrer cette tendance la rédaction du Village de la Justice a recueilli le témoignage de Valérie Duez-Ruff, avocate aux barreaux de Paris et Madrid, coach, ancienne membre du Conseil de l’Ordre de Paris et du CNB. Elle pratique le mentor at que ce soit auprès des professionnels du droit, étudiants en droit ou encore auprès de jeunes lycéens issus de la diversité.

Me Duez-Ruff, pour quelles raisons vous êtes-vous lancée dans le mentorat ?
"En réalité, je n’ai pas cherché à être mentor, considérant que d’autres personnes étaient bien plus légitimes que moi pour ce faire. Mais lorsque Women Tomorrow m’a sollicitée, j’ai été ravie de participer à l’aventure, ce d’autant que je mettais moi-même en place des conventions de mentorat au sein de l’association Femmes & Droit depuis fin 2012. La possibilité de partager et de transmettre mon expérience afin d’aider d’autres personnes à concrétiser et réussir leurs projets a été un véritable moteur."

Vous-même avez-vous bénéficié d’un mentor ?
"Pendant ma campagne pour les élections au Conseil de l’Ordre de Paris, j’ai pu compter sur l’appui de Madame Geneviève Augendre et surtout de Madame Véronique Tuffal-Nerson, dont les avis et conseils ont toujours été précieux et m’ont confortés sur l’utilité voire la nécessité de développer les conventions de mentorat."

Pouvez-vous décrire votre expérience du mentorat ?

"La convention de mentorat que j’ai mis en place est fondée sur trois particularités : en premier lieu d’être basée sur l’accomplissement d’un projet (par ex. : création d’un cabinet, rédaction d’un ouvrage, campagne aux élections au Conseil de l’Ordre) plus que sur une durée. En second lieu, elle doit reposer sur un échange entre la mentor et la mentorée, considérant que l’apport peut être mutuel et réciproque entre les connaissances de chacune. Pour qu’une liberté totale s’instaure entre les parties, il convient qu’aucune relation de dépendance (financière ou hiérarchique) n’existe. Enfin la mentorée doit prendre l’engagement qu’une fois la convention terminée, elle devienne à son tour mentor.
J’ai également expérimenté le mentorat auprès des jeunes générations. J’ai été mentor pour la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur pour accompagner des jeunes lycéens issus de la diversité. Et plus récemment, j’ai été mentor au sein du programme de mentorat, initié par l’Ordre des Avocats de Paris, venu répondre à l’isolement que connaissent les étudiants en droit du fait de la crise sanitaire actuelle et participer à la lutte contre le décrochage universitaire."

Quel regard portez-vous sur le mentorat en France ? Doit-il, peut-il se développer au sein des barreaux français comme c’est le cas au Québec ?
"Je suis convaincue de l’utilité du mentorat, particulièrement pour les grands barreaux, comme Paris ou Lyon dans lesquels l’anonymat et l’isolement rendent plus difficile le recours à une aide ou à des conseils bienveillants. Ils sont pourtant nécessaires à chaque étape de la vie professionnelle : lorsqu’on commence son activité, qu’on cherche à s’installer, à s’associer ou pour une multitude d’autres motifs. A plus forte raison que nous savons que le contexte économique actuel pousse les avocats à consacrer moins de temps aux collaborateurs pour les former et les accompagner vers l’installation. D’une certaine façon, le mentor se substitue à l’ancien maître de stage."

Autre action à souligner, celle de l’Association Avocats Conseils d’ Entreprise (ACE), qui en 2014 a mis en place un programme de mentorat de l’ACE afin de développer un accompagnement professionnel sur mesure des jeunes avocats ou futurs avocats, en mobilisant les compétences d’avocats expérimentés. Il sera basé sur la création de binômes.

Autre forme d’entre-aide professionnelle mise en place par certains cabinets d’avocats qui peut se rapprocher du mentorat, le "parrainage d’étudiant". Le principe : un membre du cabinet conseille un étudiant sur une durée déterminée, en quelque sorte devient son mentor.

Au regard de ces actions et du témoignage de Me Valérie Duez-Ruff, il semble important que le mentorat se développe dans le monde du droit afin de rompre l’isolement que peuvent rencontrer certains professionnels. Il représente un gain de temps, de qualité et donc d’efficacité dans la création d’un cabinet, la construction d’une carrière professionnelle. Le mentorat génère bien une amélioration de sa vie professionnelle.

Les associations ou programmes de mentorat orientés professionnels :

Le mentorat mis en place par les institutions représentatives des professions :
- Avo’Mentor : L’association a pour objet de mettre en place et proposer un programme de mentorat pour et par les avocats, où des avocats expérimentés dit “Mentors” accompagnent sur la base du volontariat de jeunes avocats dit “Mentorés” dans le début de leur activité. Programme de mentorat mené au sein du Barreau de Paris ;
- Entr’Avocat : service d’entraide à l’attention des jeunes Avocats (moins de 5 ans d’exercice) mis en place en mars 2022 par la CNA Paris et qui a vocation à se développer dans toute la France. Pour les contacter c’est ici.
- Le programme de mentorat de l’ACE ;
- Cercle Montesquieu : Commission "DJ au féminin" (créé en 2013) ;
- Le programme mentorat de l’UIA : UIAMentor met en relation, parmi les membres de l’UIA, des profils d’avocats juniors avec des profils d’avocats plus expérimentés.

Le mentorat issu initiatives privées :
- Elles et Droit : réseau féminin interprofessionnel indépendant et non revendiquant, espace d’échange et de réflexion pour les femmes du droit souhaitant dynamiser leurs carrières et participer à l’évolution de leurs métiers.
- Cap mentorat existe depuis 2012, c’est une association qui tend à développer les actions de mentorat en France.
- Expertes.fr est un annuaire gratuit, 100 % numérique, de toutes les femmes expertes françaises et francophones, ce site propose également des formations (médiatraining) visant à renforcer leurs qualifications et à contourner l’auto-censure.
- Femmes AAA+ : cette association a pour mission de promouvoir les femmes avocats et/ou juristes comme administrateurs dans les conseils d’administration de sociétés. Elle met en place un programme de mentorat croisé.
- Femmes de Justice : l’association créée en 2014 a pour objet de favoriser, promouvoir et consolider la parité entre les femmes et les hommes au sein du ministère de la Justice, pour se faire elle propose des actions de mentorat.
- Alga : créé en 2005, cette structure met en place des programmes de mentorat.

III. Le mentorat pour les étudiants en Droit.

Il est important pour un étudiant de pouvoir être guidé et de bénéficier de l’expérience de ses aînés, c’est pourquoi depuis quelques années se développent des actions de mentorat qui leur sont dédiées.

En voici un exemple avec le témoignage de Laurent Gamet, Professeur des Universités, Doyen de la Faculté de droit Paris XII qui en septembre 2021 a lancé un appel à mentorat pour les étudiants de sa faculté auprès de professionnels du Droit.

Le mentorat auprès des étudiant en France est-il très développé ? Sinon, quels en sont les freins ?

Laurent Gamet : Peu d’universités se sont engagées dans la promotion du mentorat. Pourtant, il permet de nouer un lien entre professionnels et étudiants, en parallèle des stages.
C’est l’occasion d’un échange d’expérience et d’aider l’étudiant à répondre à certaines questions, principalement concernant son orientation future.
La difficulté est alors de rapprocher les étudiants du monde professionnel, faire le lien entre la demande et l’offre.

Quels sont les avantages du mentorat pour un étudiant ?
« Il peut avoir les conseils d’une personne plus âgée, qui a de l’expérience, qui a vu d’autres parcours que le sien, et bénéficier de précieux conseils, qui lui permettront les bons choix et d’éviter des erreurs ! »

Quels sont les avantages pour un professionnel du droit d’être mentor ?
« Beaucoup souhaitent partager leur expérience. Par pur altruisme. C’est aussi gratifiant que de chaperonner un jeune, qui a son tour transmettra. »

Les associations ou programmes de mentorat orientés étudiants :

Marie Depay, Rédaction du Village de la justice.

[1Définition européenne du mentorat : Le mentorat désigne une relation interpersonnelle d’accompagnement et de soutien basée sur l’apprentissage mutuel (Source : site internet jeune.gouv.fr)

[3Selon un article des Echos de janvier 2014, 71% des dirigeants d’entreprise ayant mis en place un programme de mentorat au sein de leur société disent avoir amélioré les performances de leur groupe (source).

[5Liste des universités concernées par ce programme de mentorat : Universités Paris I Panthéon Sorbonne, Paris II Panthéon Assas, Paris-Saclay et Versailles-Saint Quentin-en Yvelines.