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Droit des associés : l’exclusion d’un associé. Par Jean-Baptiste Rozès, Avocat.
Parution : lundi 1er septembre 2014
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Dans la plupart des Sociétés, un associé peut être tenu, dans des conditions qui doivent être prévues aux statuts, de céder ses actions et de quitter la société.

La loi laisse aux associés une grande liberté pour fixer dans leurs statuts les causes et les modalités de l’exclusion.

L’exclusion doit avoir un motif objectif prévu dans les statuts (perte de la qualité de salarié ou de dirigeant, diminution d’un pourcentage de détention de capital, accomplissement d’un acte de concurrence, …) et résulter d’une procédure contradictoire par laquelle l’associé objet de la procédure d’exclusion a la possibilité de se défendre.

1 Statuts : la nécessité de la clause d’exclusion

L’exclusion d’un associé doit impérativement être prévue dans les statuts.

Sans une clause d’exclusion, un associé ne peut pas être exclu et une situation de blocage peut alors apparaître. L’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion doit, en effet, être votée à l’unanimité des associés [1].

L’article 544 du Code civil, selon lequel la propriété est, en effet, le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, rend impossible l’exclusion d’un associé si cette dernière n’a pas été prévue par les statuts.

Seul le consentement de l’ensemble des associés, tel que retranscrit dans les statuts de la Société, peut, en effet, permettre l’exclusion d’un des associés par les associés ou par certains d’entre eux.

L’article 1134 du Code civil dispose :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

En application de cet article 1134 du Code civil, les règles d’un contrat ne peuvent donc être modifiées sans l’accord de l’ensemble des parties ou pour les causes que la loi autorise.

Or, la loi n’évoque l’exclusion d’un associé, d’une façon d’ailleurs très générale, que pour les seules Sociétés coopératives et les Sociétés par actions simplifiée (SAS).

L’article R. 522 du Code rural et de la pêche maritime dispose à propos des Sociétés coopératives :

« L’exclusion d’un associé coopérateur peut être prononcée par le conseil d’administration pour des raisons graves, notamment si l’associé coopérateur a été condamné à une peine criminelle, s’il a nui sérieusement ou tenté de nuire à la société par des actes injustifiés ou s’il a falsifié les produits qu’il a apportés à la coopérative.
Le conseil d’administration ne peut délibérer valablement sur cette exclusion qu’à la condition de réunir le quorum des deux tiers de ses membres et de se prononcer à la majorité des deux tiers des voix des administrateurs présents.
(…) ».

Pour ce qui est des SAS, l’article L. 227-16 du Code de commerce, spécifique aux SAS, se contente de rappeler l’importance des règles statutaires :

« Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions.
Ils peuvent également prévoir la suspension des droits non pécuniaires de cet associé tant que celui-ci n’a pas procédé à cette cession. »

2 Une grande liberté de fixation des modalités d’exclusion dans les statuts

Sauf dans le cas des sociétés coopératives, la loi et la jurisprudence laissent aux dirigeants ou aux associés une grande liberté pour fixer dans leurs statuts les causes et les modalités de l’exclusion d’un associé.

L’exclusion doit uniquement être fondée sur un motif conforme à l’intérêt de la société et à l’ordre public [2].

Rien ne s’oppose donc à ce que cette exclusion puisse être prononcée même en l’absence de faute de l’intéressé, même si, en pratique, une telle solution est rarement retenue dans les statuts.

A titre d’exemple, les statuts peuvent valablement prévoir qu’en cas de survenance d’un événement déterminé, un associé pourra être exclu à la discrétion du président [3].

En l’espèce, les statuts d’une société civile prévoyaient qu’en cas de survenance d’un événement déterminé, à savoir le cas où l’un des associés ne remplirait plus les conditions requises pour le demeurer, notamment en raison de son licenciement lorsqu’il est salarié du groupe, un associé pourrait faire l’objet d’une exclusion à la discrétion du gérant sans que les associés soient consultés.

Dans son arrêt du 20 mars 2011, la Cour de cassation a jugé qu’ayant relevé que la décision de racheter une partie des droits sociaux à la suite de la perte par ce dernier de la qualité de salarié d’une société du groupe avait été prise conformément aux statuts, la Cour d’appel en avait exactement déduit que cette décision était régulière, peu important que l’exclusion de l’associé fût une simple faculté pour le gérant, statutairement investi du pouvoir de la prononcer.

Il est ici à préciser que les statuts doivent également indiquer les modalités de calcul du prix de rachat des actions. A défaut, et sauf accord entre les parties, ce prix est fixé par un expert dans les conditions prévues à l’article 1843-4 du Code civil.

Pour les Sociétés par actions simplifiées (SAS), l’article L.227-18 du Code de commerce permet aux statuts de fixer les modalités de rachat des actions en cas d’exclusion.

3 Droit impératif pour l’associé visé de participer à la décision de son exclusion

Si les statuts subordonnent l’exclusion d’un associé à une décision collective, ils ne peuvent toutefois pas interdire à l’associé dont l’exclusion est envisagée de voter sur la proposition.

L’article 1844, alinéa 1 du Code civil dispose, en effet, que « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives » et donc de voter.

Les juges vérifient le maintien de cette règle [4].

Une clause d’exclusion statuaire prévoyant l’interdiction pour l’associé dont l’exclusion est envisagée de prendre part au vote est, en application de l’article 1844-10, al. 2 du Code civil, réputée non écrite et ce, dans sa totalité [5] ; l’article 1844-10 alinéa 2 du Code civil disposant que « toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n’est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite. »

La situation peut conduire assurément à une impasse.

En effet, l’exclusion de l’associé ne peut pas être prononcée tant que les statuts n’ont pas été modifiés en vue d’écarter l’interdiction de voter et il faut alors que l’associé dont l’exclusion est envisagée accepte de se prononcer en faveur de cette modification qui ne peut être décidée qu’à l’unanimité des associés [6].

Pour éviter cet état de blocage, la solution peut être de prévoir que l’exclusion sera décidée autrement que par une décision collective et confiée, par exemple, à un organe de direction ou un tiers arbitre.

Il est également possible de subordonner l’exclusion à une décision collective mais en aménageant les modalités d’adoption de celle-ci de telle sorte que l’associé dont l’exclusion est envisagée puisse voter sans être en mesure de faire obstacle à la décision même s’il est majoritaire ou s’il dispose s’il d’une minorité de blocage. Il est, ainsi, possible de prévoir que chaque associé ne dispose que d’une seule voix quelle que soit sa participation en capital ou d’instituer un plafonnement des voix.

4 Absence d’exclusion judiciaire d’un associé et dissolution judiciaire de la Société

La question est de savoir si dans le silence du Code de commerce et en l’absence de clause statutaire le prévoyant, s’il est possible pour la société ou pour certains associés de saisir le juge pour faire prononcer l’exclusion d’un associé, par exemple en cas de manquement de ce dernier à ses obligations.

Aucun texte ne permet au juge de prononcer l’exclusion judiciaire d’un associé.

L’article 1844-7 du Code civil prévoit 8 cas de prise de fin de la Société dont :

-  «  5° La dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ; »
-  « 8° Pour toute autre cause prévue par les statuts. »

L’inexécution de ses obligations par un associé, ou la mésentente paralysant le fonctionnement de la Société ne font pas partie des cas prévus par l’article 1844-7 du Code civil.

La chambre commerciale de la Cour de cassation se montre, dès lors, hostile à l’exclusion judiciaire [7].

Dans ces conditions, en l’absence de clause statutaire spécifique, l’inexécution de ses obligations par un associé ne peut conduire qu’à une demande judiciaire de dissolution de la société.

Jean-Baptiste Rozès Avocat Associé OCEAN AVOCATS www.ocean-avocats.com

[1en application de l’article L. 227-19 du Code de commerce pour les SAS

[2Cass. Com., 8 mars 2005, n° 02-17692

[3Cass. com. 20 mars 2012, n° 11-10855

[4Cass. com. 23-10-2007 n° 06-16537

[5Cass. com. 9 juil. 2013, n° 11-27235

[6article L. 227-19 du Code de commerce pour les SAS

[7Cass. com., 18 nov. 1997, n°95-21474

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