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Senior ? Oui ! Discriminé ? Non !? Par Alina Paragyios et Pierre Befre, Avocats.
Parution : mercredi 3 septembre 2014
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La directive européenne 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail retient l’âge comme critère de discrimination.

En 2005, la Cour de justice des communautés européennes a affirmé l’existence d’un principe de non-discrimination en fonction de l’âge, consacré par la directive 2000/78/CE, et qui doit être considéré comme un principe général du droit communautaire. La Cour a également jugé que les juridictions nationales doivent laisser inappliquées les dispositions d’une loi nationale contraire à ce principe. [1]
L’article 6 de la directive n°2000/78/CE du 27 novembre 2000 prévoit des dérogations au principe d’interdiction des discriminations en fonction de l’âge et envisage l’autorisation de différences de traitement fondées sur l’âge.

Il dispose que : « Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires. »

Il existe de nombreuses dispositions nationales fondées sur l’âge, ce qui créé un contentieux important.
A titre d’exemple, dans un arrêt du 16 octobre 2013, la Chambre sociale avait cassé l’arrêt de la Cour d’appel de d’Aix-en-Provence qui considérait que la mise en inactivité d’office des agents ayant atteint 55 ans s’expliquait par « le souci légitime de préserver la santé et la sécurité des travailleurs occupant les fonctions physiquement les plus pénibles ».

La Cour de cassation avait alors jugé : « qu’en se déterminant ainsi, par des motifs économiques et démographiques impropres à établir le caractère légitime de la cessation d’activité en raison de l’âge et sans étayer par des éléments précis relatifs à la nature des travaux, notamment ceux accomplis par l’intéressé, leur conséquences sur la santé, l’objectif de la protection de la santé des agents ayant accompli quinze ans de service actif, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». [2]

D’autre part, dans une décision rendue le 18 décembre 2013, la Chambre sociale de la Cour de cassation avait cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Grenoble considérant que le décret selon lequel il était prévu la cessation d’activité à 55 ans des agents ayant vingt-cinq ans de service dont quinze de service actif répondait à un objectif légitime justifiant une différence de traitement.

La Haute juridiction avait ainsi donné raison au salarié qui contestait sa mise à la retraite d’office et invoquait le fait qu’il était victime d’une discrimination interdite fondée sur son âge. [3]

Dans un arrêt du 18 février 2014 [4], la Cour de cassation a jugé que l’âge en lui-même ne peut justifier ni un refus d’embauche ou de promotion, ni la rupture du contrat de travail « attendu qu’ayant rappelé que l’article L. 1132-1 du code du travail interdit qu’une personne fasse l’objet d’une mesure de discrimination, directe ou indirecte, notamment en matière de formation, de qualification ou de promotion professionnelle, en raison de son âge, qu’ayant constaté que l’employeur n’apportait aucun élément faisant apparaître que le refus opposé au salarié était justifié par un objectif légitime, que, notamment, l’argument de la société relatif à la rentabilité du coût de la formation, selon lequel le navigant qui a atteint soixante ans serait susceptible de ne pas renouveler sa demande annuelle de poursuite de son activité jusqu’à l’expiration de la durée minimale d’affectation ou de ne plus pouvoir assurer des vols, suite aux visites médicales auxquelles il est soumis, est inopérant, tout navigant pouvant, à un moment quelconque de sa carrière et quel que soit son âge mettre fin au contrat de travail qui le lie à la société ou ne plus être autorisé à piloter en raison d’un problème de santé constaté lors d’une visite médicale, alors qu’il a pu bénéficier d’une récente qualification non encore amortie, et qu’ayant retenu que l’objectif de sécurité publique est assuré pour les pilotes de plus de soixante ans par les conditions posées par le paragraphe II de l’article L. 421-9 du code de l’aviation civile, la cour d’appel a, par ces seuls motifs non critiqués par le moyen, caractérisé une discrimination fondée sur l’âge constitutive d’un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser ; »

Le Code du travail prévoit que « l’action en réparation du préjudice résultant d’une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Les dommages et intérêts réparent l’entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.  » La preuve de la discrimination passe par le même processus lorsque le salarié doit apporter au juge des éléments laissant supposer la défaveur dont il se prétend victime et son caractère discriminatoire. Ainsi, le salarié mis à la retraite en raison de son âge alors qu’il ne remplit pas les conditions légales prévues pour ce mode de rupture est juridiquement victime d’une discrimination fondée sur l’âge [5].

« La réparation intégrale d’un dommage oblige à placer celui qui l’a subi dans la situation où il se serait trouvé si le dommage n’avait pas eu lieu  » [6]

La Cour de cassation avait estimé que « la mise à la retraite d’un salarié était constitutive d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors que la rupture est fondée sur l’âge du salarié, lequel âge ne lui permettait pas de bénéficier d’une indemnité de raccordement dans l’attente de la liquidation de ses droits à retraite complémentaire » [7].

Ainsi, la mise à la retraite prononcée par l’employeur alors que le salarié n’aurait pas accès à la liquidation de sa retraite complémentaire, cause un préjudice à ce dernier et prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

Me Pierre BEFRE, Me Alina PARAGYIOS Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris http://www.cabinet-ap.fr

[1CJCE, 22 novembre 2005, Mangold, aff. C-144/04

[2Cass.soc 16 octobre 2013, 12-15049

[3Cass. soc 18 décembre 2013, 12-28276

[413-10.294

[5Soc., 21 décembre 2006, Bull. 2006, V, n° 412, pourvoi n° 05-12.816

[6Soc., 23 novembre 2005, pourvoi n° 03-40.826

[7Soc. 20 mai 2014, n° 12-21.021, Dalloz jurisprudence

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