Village de la Justice www.village-justice.com

L’assignation en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle : un acte procédural aléatoire ? Par Ibrahim Coulibaly, Docteur en droit.
Parution : jeudi 4 septembre 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/assignation-contrefacon-droits,17636.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Selon l’article 56 alinéa 2 du Code de procédure civile, « l’assignation contient à peine de nullité […] l’objet de la demande avec un exposé des moyens en fait et en droit ». Disposition de droit commun, cet article reçoit une application particulière en matière de propriété intellectuelle où l’action en contrefaçon, qui est d’interprétation stricte, implique de déterminer précisément les droits de propriété intellectuelle invoqués et de caractériser les actes de contrefaçon allégués.

Si l’application de ces règles paraît simple, leur mise en œuvre devient délicate notamment lorsque plusieurs parties sont en cause – hypothèse de la cotitularité de droits de propriété intellectuelle –, que les droits invoqués portent sur plusieurs objets distincts et que les actes de contrefaçon sont également nombreux. Dans un tel cas de figure, la rédaction de l’assignation peut devenir un véritable casse-tête avec un risque accru d’annulation de l’assignation ; une telle demande étant systématiquement formulée par les défendeurs.

L’action en contrefaçon d’horoscopes engagée par la société Astroquik contre la société Yahoo ! France illustre bien cette réalité. Etait invoquée, en l’occurrence, la contrefaçon à 609 reprises de 218 interprétations astrologiques entre 2010 et 2012 !
A cet égard, si l’on peut considérer la jurisprudence comme désormais établie en matière de validité de l’assignation en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle (I), la solution retenue, en l’espèce, permet d’en douter (II).

I – L’état de la jurisprudence en matière de validité de l’assignation en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle

La Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu en 2002, considère au sujet de l’assignation qu’« il s’infère que cet acte ne comporte aucune indication, quant aux modèles de la société OKE argués de contrefaçon, ni ne précise en qui les modèles de la société OROSTAR seraient contrefaisants de siens ;
Qu’en effet, il ne définit nullement les modèles déposés invoqués par la société OKE, ni leurs caractéristiques et ne renferme aucune description détaillée comparative des modèles déposées et ceux incriminés de nature à expliquer la contrefaçon imputée à la société OROSTAR ;
Qu’il ne fournit pas davantage de références précises sur le dépôt à l’INPI ;
Considérant que l’irrégularité affectant cet acte a causé un grief à la société OROSTAR en ce qu’elle ne lui a pas permis de déterminer avec précision quelles étaient les caractéristiques de la contrefaçon qui lui était imputée et de faire ainsi valoir utilement sa défense au fond ;
Que le tribunal a donc, à bon droit, déclaré nulle l’assignation…
 » [1].
Il résulte de cet arrêt que la validité de l’acte d’assignation en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle repose sur un certain nombre d’exigences (A) poursuivant une finalité précise (B).

A – Les exigences relatives au contenu de l’assignation

La validité d’une assignation en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle nécessite de déterminer et de préciser l’objet pour lequel une protection est demandée (2). De même, le demandeur doit apporter la preuve du caractère protégeable par les droits de la propriété intellectuelle (1). Le titulaire des droits de propriété intellectuelle doit être identifié (3). Il doit également être fait état des actes argués de contrefaçon (4). Les demandes d’indemnisation doivent aussi être présentées de façon claire (5).

1) De la preuve du caractère protégeable par les droits de la propriété intellectuelle

De jurisprudence constante, la validité de l’assignation s’appréciant au regard de l’objet de l’action, une action en contrefaçon des droits de propriété intellectuelle implique que soient définies les caractéristiques rendant l’objet considéré éligible à la protection assurée par les droits de la propriété intellectuelle.
Ainsi, une action en contrefaçon des droits d’auteur implique que soient définies les caractéristiques rendant l’œuvre éligible à la protection assurée par le droit d’auteur. Dans ce cas, il faudra démontrer l’originalité de l’œuvre. S’agissant d’une marque, il incombera d’en montrer la distinctivité.

Ainsi que le jugeait la Cour d’Appel de Paris, en janvier 2014, « considérant que le principe de la protection d’une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d’une forme originale n’est pas discuté ; que, certes, il incombe, à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur, de rapporter la preuve d’une création déterminée à une date certaine et de caractériser l’originalité de cette création, l’action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une œuvre de l’esprit protégeable au sens de la loi, c’est à dire originale  » [2].

2) L’identification de l’objet protégeable par les droits de la propriété intellectuelle

En amont du caractère protégeable par les droits de propriété intellectuelle de l’objet considéré, une identification et une description précise de celui-ci ou de ceux-ci s’imposent.
Ainsi que l’a jugé la Cour d’appel de Paris, « en décrivant dans ses conclusions d’appel le dessin litigieux, la société Deveaux énonce ce qu’elle considère comme étant original et digne de protection au titre du droit d’auteur, qu’il s’agisse des losanges aux contours arrondis, de l’apposition de cœurs de couleurs variées dans ces losanges ou de l’alternance de fleurs aux formes différentes, l’agencement de ces éléments étant de nature, selon elle, à révéler la personnalité de l’auteur de ce dessin  ».
Aussi, «  la société C&A France ne saurait lui faire grief de ne pas avoir caractérisé et décrit l’œuvre dont elle revendique la protection au titre des Livres premier et troisième du Code de la propriété intellectuelle  » [3].
Il convient de préciser que si plusieurs œuvres distinctes sont invoquées, il faudra caractériser, œuvre par œuvre, l’originalité justifiant la protection par le droit d’auteur.

3) La détermination du ou des titulaires des droits de propriété intellectuelle

Celui qui entend invoquer une contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle doit en justifier de la titularité.
On peut se référer, à titre d’exemple, à l’arrêt rendu le 4 décembre 2013 par la Cour d’appel de Paris. Cette dernière considère, en l’espèce, « que la société DEVERNOIS rappelle qu’elle revendique des droits d’auteur sur une création parfaitement identifiée à savoir le dessin ’coup de pinceau’, référencé dans ses collections ’CP’, et explique que ce dessin constitue l’imprimé du tissu utilisé pour les vêtements de sa collection KYOTO de la saison printemps-été 2009 ;
Qu’elle soutient que ce dessin a été créé en février 2008 dans son bureau de style par sa salariée Florence BROCARD qui lui a cédé ses droits sur sa création ;
Qu’elle ajoute justifier d’une exploitation de ce dessin par des factures qui établissent à compter de juillet 2008 la commercialisation sous la griffe DEVERNOIS de l’écharpe EMELINE, du top CAJOU et de la jupe JALABA51 de la collection KYOTO dont la référence ’CP’ indique qu’ils sont confectionnés dans le tissu imprimé ’coup de pinceau’ ;
Qu’elle entend bénéficier ainsi de la présomption selon laquelle, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, et en l’absence de revendication de quiconque se prétendrait auteur, la personne physique ou morale qui exploite l’œuvre sous son nom est considérée comme titulaire sur cette œuvre du droit de propriété incorporelle de l’auteur
 » [4].
Cela ne relève pas de causes d’annulation de l’assignation mais il est à préciser ici que si l’œuvre dont la protection est demandée fait l’objet de droits indivis, l’accord de tous les titulaires de droit est, en principe, exigée pour entreprendre l’action en contrefaçon. A défaut, l’action pourra être déclarée irrecevable [5].

4) Détermination et description des faits argués de contrefaçon

L’acte d’assignation en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle doit également déterminer de façon précise des actes argués de contrefaçon ; qu’il s’agisse de reproduction, d’imitation, de représentation, d’importation, de fabrication, etc.
Lorsque plusieurs œuvres sont concernées, il y a lieu d’individualiser les actes constitutifs contrefaçon de telle ou telle œuvre.
Sur cette base, la Cour d’appel de Paris annulera une assignation en considérant qu’ « il résulte de la lecture de l’assignation […] que l’étendue des faits incriminés (dont il est considéré par la requérante qu’ils seraient à l’origine d’un préjudice évalué à plus de millions d’euros) pêche par son imprécision puisqu’est évoqué dans l’assignation (page 13/15) la découverte par l’huissier, sur le site internet de la société Leroy Merlin ‘‘d’au moins 73 produits identiques’’ à ceux qu’elle commercialisait et ajoute que parmi ‘‘les produits Autogyre concernés par les faits litigieux, au moins 4 produits sont à l’évidence protégés par le droit d’auteur. En effet, l’aspect esthétique de ces produits originaux constitue m’empreinte de la personnalité de la société Autogyre.
Que cette indétermination perdure dans les énonciations du dispositif de l’assignation…
 » [6].
Cela ne relève pas des causes d’annulation de l’assignation mais il est important de préciser à ce stade que, s’agissant de la caractérisation des actes argués de contrefaçon, les textes applicables doivent être pertinemment invoqués. A défaut, le demandeur pourra se voir débouté. Dans un jugement du 10 février 2009, le TGI de Paris a jugé que « Monsieur David Capdevielle fonde ses demandes de contrefaçon sur l’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle mais ne précise pas s’il s’agit d’une contrefaçon par imitation ou par reproduction de sa marque. En conséquence, faute de fonder ses demandes, il en sera débouté  » [7].

5) Evaluation et répartition de l’indemnisation

L’aboutissement de l’action en contrefaçon est souvent la condamnation du contrefacteur au paiement de dommages et intérêts.
Deux modalités existent pour la fixation des dommages et intérêts. Ainsi que le prévoit l’article L. 716-14 du Code de la propriété intellectuelle, notamment s’agissant des marques, le juge peut prend en considération, distinctement, les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, le préjudice moral causé à cette dernière et les bénéfices réalisés par le contrefacteur. A titre d’alternative, les dommages et intérêts peuvent être fixés de façon forfaitaire.
Lorsque plusieurs personnes, juridiquement liées ou non, revendiquent des droits de propriété intellectuels sur des objets différents, le respect de l’article 56 du Code de procédure civile peut rendre nécessaire de faire une demande d’indemnisation pour chacune des parties lésées.
Dans ce cas, les défendeurs allèguent souvent d’une demande de réparation globale du préjudice affectant plusieurs personnes distinctes. Sur ce fondement, ils sollicitent du juge l’annulation de l’assignation.

B – La finalité des exigences relatives au contenu de l’assignation

Les exigences relatives au contenu d’une assignation visent le double objectif de mettre le défendeur en état d’assurer sa défense en sachant les faits qui lui sont reprochés et de permettre au juge de trancher le litige, éventuellement sur la base de l’assignation dans l’hypothèse où le défendeur ne comparaît.
A défaut du respect de ces exigences, le défendeur peut se prévaloir du grief résultant pour lui ne pas pouvoir assurer sa défense.
Dans un arrêt rendu le 12 avril 2013, la Cour d’appel de Paris jugera ainsi qu’il « est constant que l’assignation doit être suffisamment précise pour permettre au tribunal de trancher le litige sur sa seule base si le défendeur ne comparaît pas, ou comme en l’espèce, au défendeur constitué avec lequel cette assignation crée un lien procédural de connaître exactement les prétentions du requérant ; qu’en outre la validité de l’assignation doit être appréciée au regard de l’objet du litige » [8].
C’est sur la base de cette jurisprudence constante qu’il convient d’apprécier l’arrêt rendu, le 20 juin 2014, par la Cour d’appel de Paris dans une affaire opposant la société Astroquick à la société Yahoo ! France.

II – L’affaire Astroquick contre Yahoo ! France

La société Astroquick est une société éditrice d’un site internet d’astrologie qui diffuse notamment des horoscopes hebdomadaires. Ayant fait constater par huissier que la société Yahoo ! avait, sans autorisation, reproduit et diffusé sur son site internet ses horoscopes de 2010 à 2012, la société Astroquick l’assignera notamment en contrefaçon de droits d’auteur sur ses interprétations astrologiques. Pour sa défense, la société Yahoo ! soulèvera, in limine litis, la nullité de l’assignation.
Une première ordonnance sera rendue par le juge de la mise en état du TGI de Paris le 21 novembre 2013 [9]. Celui-ci fera droit à la demande d’annulation de l’assignation. La société Astroquick fera appel de cette ordonnance. Par arrêt du 20 juin 2014, la Cour d’appel de Paris confirmera l’ordonnance du 21 novembre 2013 [10].

A – L’ordonnance du juge de la mise en état du 21 novembre 2013

Dans son assignation du 12 octobre 2012, la société Astroquick invoquait la présence, sur le site de la société Yahoo !, de 157 horoscopes contrefaisants c’est-à-dire reproduisant les horoscopes qu’elle avait elle-même élaborées et qu’elle diffusait sur son site. Les œuvres dont la protection était demandée, de même que les actes de contrefaçon étaient identifiées par deux procès-verbaux de constat sur Internet auxquels la société Astroquick avait fait procéder.
Quant à la société Yahoo !, elle soutenait que la demanderesse n’identifiait pas l’œuvre ou les œuvres qui faisaient l’objet de l’action en contrefaçon ; que la demanderesse ne caractérisait pas, œuvre par œuvre, l’originalité qui justifiait que soit invoqué le bénéfice de la protection du droit d’auteur ; qu’elle n’individualisait pas les faits reprochés et qui constitueraient des actes de contrefaçon de telle ou telle œuvre identifiée. Selon la société Yahoo !, dès lors, cette « indétermination de l’assignation  » lui causait un grief dans la mesure où, ce faisant, elle n’était « pas en mesure de préparer sa défense ».
Pour déclarer l’assignation nulle, le juge de la mise en état considérera que « s’agissant, en l’espèce, d’une assignation ayant pour objet principal une action en contrefaçon de droit d’auteur sur le fondement de l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, celui qui se prétend auteur de l’œuvre doit l’identifier et caractériser son originalité.
La société Astroquick invoque dans les motifs de son assignation 157 horoscopes hebdomadaires contrefaisants et renvoie pour les identifier aux deux procès-verbaux de constat sur internet établis par huissier de justice en date des 1er août et 4 octobre 2012.
Cependant, les constats d’huissier de justice eux-mêmes renvoient à de nombreux documents en annexe qui ne sont pas numérotés et qui ne sont pas exploitables, et ce même avec l’aide du tableau récapitulatif établi par le demandeur (pièce 36). C’est ainsi que le juge de la mise en état a tenté de trouver en vain l’œuvre revendiquée (doc 11 page 12 du constat du 4-10-12) et celle dite contrefaite (doc 38 page 86 du constat du 1-08-12) auxquelles renvoyait le tableau de la pièce 36 dans son n° 582.
En conséquence, à défaut d’éléments précis permettant de définir le périmètre de protection revendiqué par la société Astroquick, la société Yahoo ! France n’est pas en mesure de répondre aux demandes en contrefaçon de droit d’auteur, formées à son encontre. Ceci lui fait forcément grief et justifie la nullité de l’assignation
 ».
Estimant, cependant, qu’elle avait satisfait aux exigences de l’article 56 du Code de procédure civile, la société interjettera appel de l’ordonnance, ainsi rendue, le 25 novembre 2013.

B – L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 20 juin 2014

Dans ses conclusions en appel, la société Astroquick maintiendra qu’elle avait déterminé de façon suffisamment claire et précise, l’objet de sa demande en énonçant les œuvres revendiquées et les œuvres contrefaisantes ; l’originalité des horoscopes était également démontrée à travers « de longs développements  ».
Toutefois, contrairement à l’assignation, la société Astroquick revendiquait désormais la protection, par le droit d’auteur, de 218 interprétations astrologiques ; lesquelles avaient été reproduites 619 fois sans autorisation. Les œuvres, dont la protection était revendiquée de même que les actes de contrefaçon, étaient consignées dans deux procès-verbaux faisant 700 pages. Pour en faciliter la lecture, une numérotation des pièces avait été élaborée par l’appelante, une autre identification des pièces avait été proposée « à la faveur de 180 heures de travail  ».
Cependant, la société Yahoo ! continuait à soutenir que l’annulation était encourue. Selon elle, « la société Astroquick s’est abstenue de désigner les œuvres revendiquées (au nombre de 157 dans le premier état de la procédure et indifféremment désignées comme des horoscopes, des phrases, des interprétations d’horoscopes, des textes d’horoscopes, des interprétations astrologiques) ainsi que des faits argués de contrefaçon autrement que par quelques exemples et un renvoi général à des pièces confuses ou illisibles complétées par diverses pièces ne faisant qu’entretenir la confusion ».
Par ailleurs, et de façon déterminante, l’intimée continuait à soutenir que l’originalité des œuvres revendiquées n’était pas rapportée ; cela lui étant « préjudiciable puisqu’elle n’est pas en mesure de savoir, pour sa défense, si ces 218 interprétations astrologiques sont le fruit d’une création artistique supposant un travail intellectuel ou bien d’un processus technique en tout ou partie informatisée ».
La Cour d’appel de Paris fera droit aux demandes de la société Yahoo ! en confirmant l’annulation de l’assignation. Pour ce faire, la Cour considère que « l’individualisation des œuvres revendiquées et celle des œuvres contestées peut, certes, être considérée comme intervenue en cause d’appel à l’occasion de la signification des conclusions du 04 avril 2014 ; que l’intimée n’en souligne pas moins à juste titre le caractère incomplet ;
Qu’en effet, cette présentation de l’objet du litige reconsidérée par l’appelante ne précise pas en quoi la combinaison des caractéristiques des 218 interprétations astrologiques désormais revendiquées donne prise au droit d’auteur et ne permet pas à la société Yahoo d’organiser utilement sa défense ; que la régularisation intervenue laisse, par conséquent, persister un grief au sens de l’article 115 précité
 ».

L’analyse de cette motivation conduit à observer que la cour admettait que l’assignation avait, en partie été régularisée (1). Cependant, subsistait un grief dont l’on a du mal à saisir le sens (2).

1) De la régularisation partielle de l’assignation

Une assignation frappée de nullité peut faire l’objet d’une régularisation conformément aux dispositions de l’article 115 du Code de procédure civile [11].
En l’occurrence, même si elle semble reprocher à la société Astroquick ne s’être pas prévalue de cette faculté de régularisation devant le juge de la mise en état, la cour d’appel admettra que l’exigence de détermination précise des œuvres revendiquées et des actes argués de contrefaçon pouvait être considérée comme étant intervenue en cause d’appel par les conclusions transmises le 04 avril 2014.
Subsistait, cependant, un autre grief justifiant l’annulation de l’assignation. Mais quel était-il ?

2) De l’imperceptibilité du grief subsistant

Selon les termes de l’arrêt, «  cette présentation de l’objet du litige reconsidérée par l’appelante ne précise pas en quoi la combinaison des caractéristiques des 218 interprétations astrologiques désormais revendiquées donne prise au droit d’auteur  ».
Pour rappel, la société Astroquick se prévalait de 218 interprétations astrologiques dont l’élaboration était le fruit d’un travail intellectuel, empreinte de la personnalité de deux personnes spécialisées, l’une dans l’écriture de livres et d’interprétations astrologiques et l’autre dans les calculs scientifiques et le développement de logiciels astrologiques. A signaler que l’une de ces personnes a même conçu un logiciel d’interprétation astrologique lequel était utilisé en l’espèce.
Pour essayer de comprendre cette motivation de l’arrêt, il peut être utile de revenir au grief formulé par la société Yahoo ! Celle-ci se plaignait de ne pas savoir « si ces 218 interprétations astrologiques sont le fruit d’une création artistique supposant un travail intellectuel ou bien d’un processus technique en tout ou partie informatisée  ».
La description ci-dessus rappelée du processus d’élaboration et de rédaction des interprétations astrologiques de la société Astroquick permet de voir que le grief soulevé par l’intimé n’est pas celui retenu par la cour.
En nous risquant à l’interprétation, la motivation litigieuse de l’arrêt peut doublement être appréhendée.
Signifierait-elle au fond que des interprétations astrologiques ne sont pas protégeables par le droit d’auteur ? Une telle posture ne peut être suivie dans la mesure où la Cour d’appel de Paris avait elle-même reconnu que des thèmes astraux pouvaient bénéficier de la protection par le droit d’auteur [12].
Cette motivation de l’arrêt devrait-elle alors signifier que la « présentation » formelle de l’assignation était en cause ? Cette motivation devrait-elle signifier, en la forme, que la revendication d’une protection « combinée » de 218 interprétations astrologiques n’était pas efficiente auquel cas l’appelante aurait dû décrire individuellement l’originalité des 218 interprétations astrologiques ? Rappelons du reste que dans ses conclusions devant le juge de la mise en état, la société Yahoo ! reprochait à la société Astroquick de ne pas «  caractéris[er], œuvre par œuvre, l’originalité qui justifiait que soit invoqué le bénéfice de la protection du droit d’auteur  ».
S’il devait en aller ainsi, la rédaction de l’assignation serait bien fastidieuse en l’espèce ! Mais cette « lourdeur de la tâche au stade de l’assignation  » a été considérée par la Cour d’appel comme « inopérante ».

En tout état de cause, la formulation retenue par la cour d’appel de Paris se prête à des interprétations divergentes et laisse difficilement saisir son sens. C’est ainsi que sa présentation de l’arrêt, la rédaction site internet legalis.net écrira, « la complexité du dossier a sans doute nuit à la présentation et donc à la compréhension du litige. Malgré le travail fastidieux de compilation des interprétations litigieuses, Astroquick n’a pas réussi à convaincre le juge, qui n’a pas davantage été très explicite sur les raisons qui l’ont fait considérer que les éléments revendiqués n’avaient pas « prise au droit d’auteur », expression elle-même quelque peu sibylline » [13].
En effet, s’il était reproché à la société Astroquick de n’avoir pas mis la société Yahoo ! en mesure d’assurer sa défense, par la motivation choisie, le juge lui-même n’a pas mis la société Astroquick en mesure de savoir ce qui était reproché à son assignation, ce qui était attendu d’elle ni même ce qu’elle devait ou pouvait faire.

Ibrahim Coulibaly, Docteur en droit, Elève avocat

[1CA Versailles, 19 décembre 2002, n° 01/0500

[2CA Paris, Pôle 5, chambre 1, n° 12/09291, 15 janvier 2014

[3CA Paris, pole 5, ch. 2, 25 mai 2012, Sté Devaux c/ Sté C&A France et a., n° 11/11973

[4CA Paris, Pôle 5, chambre 1, 4 décembre 2013, n° 12/12464

[5Sur cette question, voir notamment, Pascale Tréfigny, L’indivision individualiste quand tout va bien, Revue Lamy Droit des affaires, 2007, 21

[6CA Paris, 12 avril 2013, Pôle 5, ch. 2, RG n° 12/08354

[7TGI Paris, 10 février 2009, n° 08-05498

[8CA Paris, 12 avril 2013, Pôle 5, ch. 2, RG n° 12/08354

[9TGI Paris, Ordonnance du juge de la mise en état, 21 novembre 2013, Astoquick / Yahoo ! France, Legalis.net

[10CA Paris, Pôle 5, ch. 2, 20 juin 2014, Astoquick / Yahoo ! France, Legalis.net

[11Selon cet article, « la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief ».

[12Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 2, arrêt du 24 janvier 2014, RG n° 13/01696