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Tweeter, Facebooker, l’amour du risque. Par Bérengère Peyrat, Elève-Avocat.
Parution : mercredi 3 septembre 2014
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Lawrence Lessig, fondateur de Creative Commons [1], affirme que «  aujourd’hui Internet amplifie les pathologies de la société ». Le développement fulgurant d’Internet ces quinze dernières années, aussi bien pour les particuliers que pour les entreprises, l’a hissé au rang de « phénomène culturel majeur ». Au premier rang de ce phénomène, les réseaux sociaux. Apparus en 1995, ils ont, eux aussi, sans cesse évolué, aidé par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Selon l’Observatoire des réseaux sociaux, Facebook est le réseau social le plus
connu pour 95% des sondés. Vient ensuite Twitter, avec 89% [2].

Au-delà du simple particulier, les entreprises profitent désormais de l’engouement des réseaux sociaux. Avec l’explosion de ces nouveaux médias protéger sa vie personnelle devient de plus en plus difficile tant une publication est irréversible. Pour certains auteurs, le problème se situe « entre la chaise et le clavier » [3]. En d’autres termes, le seul moyen de limiter les atteintes à la vie privée sur les réseaux sociaux est que les personnes ne s’y dévoilent pas délibérément.

Mais alors, est-il risqué, pour un futur salarié, de publier sur Facebook ou de tweeter ?

Si la liberté de communication est une grande conquête de la Révolution, elle n’est pourtant pas absolue. Si le devoir de réserve, qui est une application du principe de neutralité, n’existe concrètement que pour les fonctionnaires, un salarié doit exécuter son contrat de travail de bonne foi, en évitant tout acte qui porterait atteinte à la réputation de son employeur. Mais ce principe s’applique également à l’entreprise, elle ne doit pas porter atteinte à la réputation du salarié ou encore prendre en compte des éléments recueillis sur les réseaux sociaux au moment du recrutement.

En effet, aujourd’hui, tout le monde « googlise » tout le monde, y compris les futurs employeurs qui effectuent une recherche globale sur Internet à partir du prénom et du nom de famille du candidat à l’embauche. Il y a alors un risque pour ce dernier de voir apparaître des informations le concernant (des photographies de vacances, à celles de soirées en passant par ses exploits souvent illégaux comme des excès de vitesse) et qui pourraient amener l’employeur à ne pas retenir sa candidature.

Selon un sondage 51% des ressources humaines déclarent recourir à un réseau social lors d’un processus de recrutement. Or, selon un sondage anglais, 71% des jeunes de 14 à 21 ans ne souhaiteraient pas qu’un recruteur tombe sur leur profil Facebook, alors que 40% d’entre eux n’en ont même pas limité l’accès. Ce qui a pour résultat qu’un jeune sur dix s’est déjà vu refuser un poste à cause des réseaux sociaux. Cette enquête a été menée dans six pays, Royaume-Uni, Etats-Unis, Brésil, Chine, Inde et Nigéria, auprès de 6.000 jeunes et elle révèle que 9% des britanniques ont raté un emploi à cause d’un contenu posté sur un réseau social, qu’il s’agisse d’une photographie, d’un tweet déplacé ou d’un statut Facebook douteux [4].

L’utilisation des réseaux sociaux par les employeurs pour recruter est donc un « défi majeur » selon la CNIL qui plaide pour le renforcement du droit à l’oubli numérique. Les informations demandées lors du recrutement ne peuvent avoir que pour finalité d’apprécier la capacité du salarié à occuper l’emploi proposé selon l’article L1221-6 alinéa 1er du Code du travail. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé [5]. Le principe de transparence doit aussi être respecté : le candidat doit préalablement être informé des techniques de recrutement utilisées [6].
Rappelons que la discrimination à l’embauche est punie pénalement de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende [7].

Ce développement des réseaux sociaux a conduit des professionnels du recrutement à rédiger la Charte « réseaux sociaux, Internet, vie privée et recrutement », en novembre 2010. Les adhérents à cette charte s’engagent à ne pas utiliser les moteurs de recherche ni les réseaux sociaux comme outils d’enquête pour collecter, ou prendre connaissance, d’informations d’ordre personnel, voire intime, même si elles sont rendues accessibles par les utilisateurs eux-mêmes, ce qui serait constitutif d’une intrusion dans leur sphère privée et d’une source potentielle de discrimination. Cette charte a notamment été signée par l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, l’Association pour l’emploi des cadres ou encore le Mouvement des entreprises de France.

De son côté, la Cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 16 décembre 2011, répond par la négative à la question « peut-on prendre des sanctions contre un salarié qui s’est exprimé sur un support privé alors que ces informations sont remontées à l’employeur ? » en décidant que « des propos diffamatoires ou injurieux tenus, sur Facebook, par un salarié à l’encontre de l’employeur ne constituent pas un événement irrésistible ou insurmontable justifiant la rétractation d’une promesse d’embauche, ainsi l’employeur est condamné à verser 17.160 euros de dommages et intérêts au salarié » [8].

Par ailleurs, l’employeur doit lui aussi être prudent, des messages déposés sur le site Facebook peuvent permettre de caractériser l’existence d’un contrat de travail. C’est ce qu’à décider la Cour d’appel de Poitiers dans un arrêt du 16 janvier 2013. En l’espèce, l’employeur se plaignait sur son Facebook d’être déçue par sa vendeuse et d’avoir « viré sa vendeuse ». Selon les juges, cela prouvait bien que l’employeur avait recruté la vendeuse et avait brutalement cessé les relations contractuelles [9].

Surveiller et contrôler sa e-réputation est donc primordiale pour l’internaute en recherche d’emploi. A tel point, qu’aujourd’hui les assureurs s’en préoccupent. En effet, on observe le développement de produits d’assurances permettant de prévenir les risques liés à l’utilisation des nouveaux médias, au partage d’informations et les risques d’atteinte à sa vie privée. Dans ce cadre, la ville de Paris coédite, avec la MAIF, maif-netsurlenet.fr, qui permet à chacun de tester sa propre e-réputation, permettant alors de contrôler les différents paramètres de confidentialité et les règles de bases liées à la publication d’informations personnelles sur Facebook ou Twitter. Les internautes peuvent également profiter de conseils pour garder le contrôle de leurs publications sur Internet avec des fiches pratiques pour apprendre à paramétrer un compte sur les réseaux sociaux [10]. Enfin, certaines compagnies d’assurance proposent de prendre en charge les honoraires de l’avocat s’occupant du nettoyage d’une e-réputation.

Quand un « mur » Facebook est aussi accessible qu’un panneau d’affichage public accroché à un immeuble, il faut être prudent car il existe un risque indéniable pour le futur salarié de s’exprimer sur les réseaux sociaux. La nouveauté de ces réseaux, la vitesse à laquelle ils se sont développés (en France, Facebook ne fête que ces 7 ans, le réseau a peut-être atteint l’âge de raison…), contribuent, sans doute, au fait que les citoyens de l’Internet n’en ont pas cernés immédiatement l’ensemble des tenants et des aboutissants. En effet, dans cette société de l’immédiateté, où chacun cherche la reconnaissance à travers ses publications, dans laquelle les gens ne se sentent plus exister par eux-mêmes, mais uniquement par leurs activités numériques, où l’ordinateur, barrière matérielle entre le réel et le réseau, donne l’illusion d’un autre monde, il convient d’éduquer les internautes contre leur « nudité numérique »
 [11].

Bérengère Peyrat Elève-Avocat @BerengerePeyrat

[1Organisation à but non lucratif qui a pour dessein de faciliter la diffusion et le partage des œuvres tout en accompagnant les nouvelles pratiques de création à l’ère numérique

[2Sondage réalisé avec IFOP, octobre 2012

[3Michel Dupuis, La vie privée à l’épreuve des réseaux sociaux, Lamy droit civil, n°102, 1er mars 2013

[4Institut américain On Device Research, Facebook costing 16-34s jobs in tough economic climate, 29 mai 2013

[5Article L1221-6 alinéa 2 Code du travail

[6Article L1221-8 alinéa 1 Code du travail

[7Article 225-2 3° du Code pénal

[8Cour d’appel de Douai, 16 décembre 2011

[9Cour d’appel de Poitiers, 16 janvier 2013, n°10/03521

[10Net sur le net, Apprenez à maîtriser correctement votre e-réputation sur Internet, www.maif.fr

[11Expression de Bernard Stiegler, philosophe français, Lois des réseaux

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