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Déroulement de l’audition libre : les deux évolutions possibles de la procédure sous le nouveau régime du « suspect libre » ou de la garde à vue. Par Hugues de Poulpiquet, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 4 septembre 2014
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La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales a instauré le droit à l’assistance d’un avocat pour les personnes auditionnées dans le cadre de la procédure du « suspect libre ». Avec l’entrée en vigueur de la disposition relative à la présence de l’avocat, le 1er janvier 2015, quelles sont les points communs et les différences entre les deux procédures de l’audition du témoin et de l’audition libre du suspect libre ? Quelles sont les évolutions possibles de ces deux auditions ?
Article vérifié par son auteur en mars 2024.

L’audition du suspect libre peut intervenir dans le cadre d’une enquête préliminaire ou d’une enquête de flagrance, c’est-à-dire dans la phase d’enquête dirigée par le procureur de la république, mais également sur commission rogatoire du juge d’instruction.

L’audition du témoin

L’individu convoqué pour une déposition dans le cadre de l’audition libre sera interrogé dans le cadre de la procédure de l’article 62 du Code de procédure pénale (ci-après CPP). A ce titre, il sera entendu par les enquêteurs sous le régime des personnes pour lesquelles « il n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ».

Cette audition s’effectuera sans mesures de contrainte et la personne auditionnée pourra éventuellement être informée par oral, et dès le début de son audition, qu’elle peut partir à tout moment. En revanche, si les nécessités de l’enquête le justifient, elle pourra tout de même être retenue sous contrainte le temps strictement nécessaire à son audition, soit quatre heures maximum.

Cette audition se déroule sans l’assistance d’un avocat.

L’audition libre du « suspect libre »

Ensuite, si au cours de l’audition du témoin de l’article 62 CPP il apparaît, à propos de la personne interrogée, « qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre une infraction », celle-ci sera alors entendue en application de l’article 61-1 du CPP : c’est-à-dire dans le cadre de la nouvelle procédure dite de l’audition libre du « suspect libre », créée par la loi du 27 mai 2014, et entrée en vigueur le 2 juin 2014.

Lui seront alors notifiées, notamment, et sans délai : la qualification, la date et le lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre ; son droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ; son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.

Depuis le 1er janvier 2015, si l’infraction pour laquelle la personne est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle peut bénéficier du droit d’être assistée au cours de son audition par un avocat.

En revanche, rien n’est précisé quant à la durée maximum de cette audition. La personne peut en effet quitter le bureau de l’enquêteur « à tout moment ». On suppose qu’il reviendra à l’avocat d’avertir son client qu’il est peut être grand temps de se retirer…

Et il faut noter que l’audition sous le régime du « suspect libre » n’est pas applicable si la personne a été conduite, sous contrainte, par la force publique devant l’officier de police judiciaire.

La garde-à-vue

Enfin, s’il apparaît, au cours de l’audition du témoin (62 CPP) ou au cours de l’audition libre en tant que « suspect libre » (61-1 CPP), qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne auditionnée a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, elle ne pourra être maintenue sous contrainte à la disposition des enquêteurs que sous le régime de la garde à vue (62-2 CPP) et sera alors immédiatement assistée d’un avocat.

Conclusion

Ainsi, le nouveau régime du « suspect libre » organise l’audition libre par les enquêteurs d’une personne suspectée d’une infraction dont la nature n’est pas précisée, alors que l’audition d’une personne via l’article 62 du CPP encadre l’audition d’un « témoin » ou plus précisément d’une personne « non suspecte » (mais qui pourrait en ressortir suspecte !).

Ainsi, depuis le 1er janvier 2015, une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement peut être entendue sous deux régimes : soit via l’article 61-1 du CPP comme suspect libre, soit via l’article 62-2 du CPP comme gardé à vue. 
La garde à vue n’est donc plus l’unique moyen d’entendre une personne suspectée d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement. C’est-à-dire que les enquêteurs pourront choisir entre entendre le suspect sous contrainte et dans un temps limité (garde à vue) ou sans contraintes mais dans un temps théoriquement illimité (audition libre du suspect libre).
Ce nouveau statut pourra probablement, et notamment, servir à entendre, d’une manière plus « douce » (en tout cas médiatiquement) les personnes et les dirigeants d’entreprises ou les représentants de sociétés dans le cadre d’infractions non intentionnelles ou non « manifestement » constituées.

Hugues de Poulpiquet Élève-avocat.
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