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La place des débats contradictoires pour des films sensibles diffusés sur les chaines publiques. Par Jacques Cuvillier.
Parution : mardi 9 septembre 2014
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Coup sur coup, deux films programmés à deux jours d’intervalle par France 3 ont éveillé ma curiosité en ce sens qu’ils interpellent sur le traitement judiciaire des agressions sexuelles. Hasard ? Peut-être...

Samedi 6 septembre, excellent téléfilm "la loi de Barbara", truffé de rebondissements autour du viol présumé d’une jeune femme dont le père s’était suicidé en prison à la suite de fausses accusations d’attouchements sexuels portés par deux jeunes garçons. Ce film est explicitement présenté comme une fiction. C’est juste.

Par contraste, le film « Présumé coupable » programmé le surlendemain n’est pas étiqueté « fiction ». Et cette omission qui n’a pas lieu d’être donne en soi l’information qu’il ne s’agit pas d’une fiction. Si ce n’est une désinformation voulue, cela lui ressemble fort.

Quoi de commun entre les deux films mis à part le fait que l’acteur Olivier Claverie qui joue le rôle de l’avocat général de Présumé coupable est également avocat dans « La loi de Barbara » ?

L’un est l’autre en remettent une couche sur la suspicion qui serait justifiée envers la procédure judiciaire et envers la parole des victimes, ces enfants sous influence et ces femmes, pas si innocentes que cela, et ces hommes poussés au désespoir par la perfidie de la victime.

On ne peut exclure qu’un scénario tel que celui qui est joué entre dans le domaine du possible. L’effet déformant des médias tend à nous faire croire qu’il est non seulement plausible, mais vraisemblable. Or cette notion est fausse. D’une manière générale, les affabulations des enfants sont dépistées lors des tests psychologiques qui ne sont pas de la divination comme des auteurs irresponsables l’insinuent, mais obéissent à des protocoles rigoureux [1]. Il s’en suit que les incertitudes sont bien inférieures à ce que les gens peuvent imaginer. Les chiffres varient en fonction des méthodes d’évaluation et des critères retenus. Certains articles orientés publient non sans quelques arrières-pensées des chiffres non-vérifiables, mais les études sérieuses de différentes institutions [2] les évaluent à quelques pour cent . Il n’y a donc pas lieu de fantasmer.

Pourtant, il faut reconnaître que la représentation cinématographique et télévisuelle répétée de situations d’égarements judiciaires jette le trouble en faisant subrepticement glisser le sens des proportions. Elle peut donc influencer l’opinion – et potentiellement de futurs jurés - en inculquant le sentiment qu’une victime ne peut apporter de preuves suffisantes pour que la justice condamne un accusé, et qu’il faut voir en ce dernier une victime potentielle de l’erreur judiciaire.

C’est sans aucun doute pour abonder malicieusement dans cette approche que tant d’auteurs se plaisent à évoquer l’affaire d’Outreau sans tenir compte des information qui depuis dix ans sont venues progressivement rectifier l’histoire simpliste et erronée qui s’était construite au moment des procès sous l’influence des avocats de la défense.

Le film Présumé coupable est une fiction qui s’inscrit dans le droit fil de cette démarche, elle n’est pas sans conséquences.

La psychologue Marie-Christine Gryson-Dejehansart vient de publier un article qui porte sur l’effet délétère de ce film sur les lycéens alors qu’il est programmé dans le dispositif scolaire « Apprentis et Lycéens au cinéma » subventionné par les ministères de l’éducation nationale et le ministère de la culture.

J’ose espérer pour ma part, que la formation des lycéens à la vie citoyenne mérite mieux que cette vision glauque qu’on leur présente d’une institution qui est quoi qu’on en dise un pilier de notre démocratie.

En programmant ces deux films sans prendre soin de respecter les vues contradictoires sur cette question, il semble bien que France 3 l’adopte également. Pour être plus conforme à l’éthique, il aurait été indispensable de faire suivre ces films d’un débat ouvert, et il semble que France 3 s’en garde bien. Comment une chaine nationale peut-elle négliger la déontologie du contradictoire pour un sujet aussi grave ? La question est posée.

Jacques Cuvillier

[2Une étude de 2010 fondée sur une enquête approfondie donne un taux de fausses accusation de l’ordre de 6 %.
Lisak, David ; Gardinier, Lori ; Nicksa, Sarah C. ; Cote, Ashley M. (2010). False Allegations of Sexual Assualt : An Analysis of Ten Years of Reported Cases. Violence Against Women 16 (12) : 1318–1334. Article

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