Village de la Justice www.village-justice.com

Infraction de travail dissimulé : sur l’incidence d’une mauvaise qualification du temps de déplacement des salariés. Par Laurent Vovard, Avocat.
Parution : mercredi 10 septembre 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Infraction-travail-dissimule-sur,17686.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation publié au bulletin [1] est l’occasion de faire le point sur l’infraction de travail dissimulé.

Rappel sur l’infraction de travail dissimulé

Le travail dissimulé est une des formes du travail illégal définies par l’article L. 8211-1 du Code du travail, parmi lesquelles le marchandage, le prêt illicite de main-d’œuvre, l’emploi d’étranger sans titre de travail, les cumuls irréguliers d’emploi, les fraudes ou fausses déclarations en matière de chômage…

Le Code du travail distingue :

Le travail dissimulé par dissimulation d’activité ([articles L. 8221-3 et L. 8221-4) visant les chefs d’entreprise qui exercent à but lucratif une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestations de services ou l’accomplissement d’actes de commerce sans respecter les règles de déclarations d’activités (immatriculation…) ou de déclarations aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale.

Le travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, article L. 8221-5 :

« Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales. »

A noter que, compte tenu de ses incidences fiscales et sociales, les infractions pouvant être recherchées et constatées par plusieurs agents de contrôle : inspecteurs et contrôleurs du travail, officiers et agents de police judiciaire, agents de la Direction générale des impôts et ceux des douanes, agents agréés des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole… (art. L. 8271-1-2), étant précisé que tous les corps de contrôle peuvent rechercher et constater le travail dissimulé selon les pouvoirs et règles de procédure qui leur sont applicables.

Rappel des règles applicables au temps de déplacement des salariés

A titre liminaire, il convient de rappeler qu’en application de l’article L. 3121-1 du Code du travail, « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. »

La qualification des trajets et déplacements accomplis par les salariés dépendra ainsi de la finalité et des conditions de ces trajets et déplacements.

Ainsi, par exemple, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif. De même, le temps de déplacement domicile – lieu d’exécution du travail autre que le lieu habituel ne constitue pas du temps de travail effectif mais peut, en revanche, donner lieu à compensation en repos ou en argent lorsqu’il excède le temps de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail [2].

En ce qui concerne le temps de déplacement entre deux lieux de travail, par exemple en cas de déplacement chez plusieurs clients, l’administration et la jurisprudence considèrent qu’il doit être assimilé à du temps de travail effectif [3].

Illustration de l’incidence d’une mauvaise qualification du temps de déplacement des salariés au regard de l’infraction de travail dissimulé : Cass. Crim. 2 septembre 2014 (n°13-80665)

Une société de service spécialisée dans l’aide aux personnes âgées dépendantes ou handicapées dont les salariés (auxiliaires de vie, aides à domicile) ont pour mission d’aider les clients à leur domicile, a été contrôlée par des inspecteurs du travail qui ont dressé un procès-verbal constatant notamment que les bulletins de paie de ces salariés faisaient apparaître les heures de travail effectuées au domicile des clients sans tenir compte du temps passé à se déplacer du domicile d’un client à l’autre.

La société a été poursuivie devant le Tribunal correctionnel sous la prévention de travail dissimulé pour ne pas avoir mentionné sur les bulletins de paie le nombre d’heures correspondant à celui réellement effectué en dissimulant les heures de trajet entre les différents clients.

La Cour d’appel a estimé que l’infraction était constituée au motif notamment que « les plannings des aides à domiciles font apparaître que les salariées effectuaient au sein d’une même journée de travail des interventions au domicile de plusieurs clients et consacraient nécessairement un certain temps à se déplacer entre ces différents lieux de travail ; que, sauf exception, ces plannings montraient que les interventions entre les clients se succédaient tout au long de la journée de travail avec un intervalle d’environ une demi-heure ou une heure entre chaque intervention et que le temps de trajet pouvait représenter jusqu’à 11,49 % du temps de travail total ; que le temps de trajet pour se rendre d’un lieu de travail à un autre lieu de travail constitue un temps de travail effectif… ». La Cour d’appel relève, en outre, que le procès-verbal dressé par l’inspection du travail ne vise, au titre du travail dissimulé, que la durée du trajet proprement dit, soustraite du temps de « pause » entre deux interventions.

La société a formé un pourvoi contre cette décision en faisant notamment valoir :

D’une part, qu’en application de l’article L. 3121-4 du Code du travail [4], le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif, ce texte n’opèrant aucune distinction selon la nature des déplacements professionnels, qu’il s’agisse des déplacements entre le domicile et le lieu d’exécution du travail ou des déplacements entre deux lieux distincts d’exécution du contrat de travail.

D’autre part, que les temps d’interruption entre deux missions effectuées pour le compte de l’employeur ne sont pas constitutifs d’un temps de travail effectif dès lors que le salarié n’est susceptible de recevoir d’ordres de l’employeur et n’a pas à rendre compte de son activité au cours de ces périodes.

Mais la chambre criminelle de la Cour de cassation ne suit pas cette argumentation. Elle estime, en effet, que :

« (…) pour infirmer le jugement entrepris et déclarer les prévenus coupables de travail dissimulé, l’arrêt énonce que le temps de déplacement professionnel entre le domicile d’un client et celui d’un autre client, au cours d’une même journée, constitue un temps de travail effectif et non un temps de pause, dès lors que les salariés ne sont pas soustraits, au cours de ces trajets, à l’autorité du chef d’entreprise ; que les juges ajoutent que l’intention coupable des prévenus se déduit de leur refus persistant de se soumettre à la législation en vigueur malgré deux rappels de l’administration compétente ;

Attendu qu’en l’état de ces énonciations, et dès lors que ne sont pas applicables à la présente espèce les dispositions de l’article L. 3121-4 du code du travail, la cour d’appel a justifié sa décision. »

Cette solution est logique compte tenu des mentions du procès-verbal de l’inspection du travail rapportées en l’espèce et compte tenu également de de la position de l’administration et de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la qualification du temps de déplacement du salarié entre deux lieux de travail.

Laurent Vovard Avocat au Barreau de Paris https://vovard-avocat.com/

[1Cass. Crim. 2 septembre 2014

[2art. L 3121-4 du code du travail

[3Circ. DRT n°2003-06, 14 avril 2003, Fiche n°9 ; Cass. Soc. 12 janvier 2005, n°02-47.505

[4rédaction issue de la loi du 18 janvier 2005