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Publication non consentie de photos et vidéos « intimes » sur internet : Comment protéger efficacement sa réputation contre le « revenge porn » ? Par Romain Darriere, Avocat.
Parution : lundi 15 septembre 2014
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Très récemment, un hacker a publié sur un forum américain des centaines de photographies privées de stars hollywoodiennes. Selon le site www.rue89.nouvelobs.com, qui a grandement contribué à la révélation de cette affaire, certaines de ces photos étaient très « intimes » et n’avaient, manifestement, aucune vocation à être publiées sur la toile. Bien que sensationnelle par son impact médiatique, cette affaire de divulgation non autorisée de photos ne revêt finalement aucun caractère nouveau ni original. En effet, à une époque où les appareils photos sont intégrés dans les téléphones portables, il apparaît que de plus en plus de photographies sont publiées chaque jour sur le web sans que l’accord des personnes qui y figurent soit nécessairement recueilli au préalable. C’est dans ce contexte de publication massive d’images privées et d’utilisation exponentielle de Facebook et autres réseaux sociaux que s’est développée une pratique pour le moins détestable : le « revenge porn ».

Le principe du « revenge porn » est simple : il s’agit de porter atteinte à l’honneur de son ex-petit(e) ami(e), en publiant à son insu des photographies ou des vidéos intimes le/la concernant sur internet.

La plupart du temps, les « vengeurs » postent les photographies ou vidéos litigieuses sur des blogs dédiés à cette activité, lesquels portent généralement les nom et prénom de l’ex-conjoint(e).

Le sentiment de honte de la victime est garanti. L’humiliation subie est d’autant plus importante que les informations divulguées sur le web, lorsqu’elles ont un certain intérêt, sont partagées très rapidement, de manière virale. Il devient alors très difficile d’effacer toute trace d’une photo intime, même si la photo source est supprimée.

Face à ce fléau que représente le « revenge porn », est-il possible de se protéger efficacement ?

Assurément, la réponse est positive. Toutefois, il convient d’agir au plus vite, pour limiter au maximum les atteintes à la réputation.

Le droit français est-il efficace contre le « revenge porn » ?

Sur le plan pénal, le « revenge porn » constitue une infraction, prévue et réprimée par l’article 226-1 du Code pénal. Cet article dispose que :

« Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :

1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ;

2° En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés sans qu’ils s’y soient opposés, alors qu’ils étaient en mesure de le faire, le consentement de ceux-ci est présumé  ».

L’auteur d’un acte de « revenge porn » peut donc être cité devant un Tribunal Correctionnel et encourir une peine de prison.

C’est d’ailleurs en application de cet article 226-1 du Code pénal qu’un individu a été condamné par le Tribunal correctionnel de Metz, le 3 avril dernier, à 12 mois de prison avec sursis et à 5000 euros de dommages et intérêts.

Toutefois, l’article 226-1 du Code pénal semble présenter certaines limites concrètes.

En effet, seule la transmission de l’image d’une personne se trouvant dans un « lieu privé » peut donner lieu à poursuites.

Dans ces conditions, est-il envisageable de lutter contre la divulgation d’une photographie compromettante prise dans un lieu public ?

Fort heureusement, oui. L’article 9 du Code civil vient combler cette lacune du Code pénal, puisqu’il prévoit que toute personne dispose d’un droit exclusif sur son image, attribut de la personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite.

Aussi, en vertu de ce texte, la victime d’un acte de « revenge porn » peut s’opposer à la diffusion de son image sans son autorisation et obtenir réparation du préjudice qui lui aurait été causé de ce fait.

Que doivent faire les victimes de « revenge porn » ?

Les victimes de « revenge porn » poursuivent souvent deux objectifs :

-  faire supprimer au plus vite les images compromettantes ;
-  poursuivre la personne à l’origine des divulgations.

Comment obtenir la suppression des photos ou vidéos intimes ?

Pour faire supprimer les images et/ou vidéos compromettantes, il convient de prendre attache avec l’éditeur du site litigieux, après avoir fait établir, en urgence, un procès-verbal de constat d’huissier. Le procès-verbal sera en effet un élément très important pour poursuivre le responsable des divulgations par la suite.

Toutefois, si le site est un blog créé spécifiquement dans le but de publier les photos intimes de la victime, le directeur de la publication du site sera vraisemblablement la personne à l’origine des divulgations. La victime ne pourra donc espérer aucun résultat concret.

Celle-ci devra alors s’adresser à l’hébergeur du site ou du blog, en respectant les dispositions de l’article 6-I-5 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
En raison du caractère manifestement illicite des photos mises en ligne, l’hébergeur sollicité sera tenu de supprimer les contenus portés à sa connaissance, dans les plus brefs délais.

A défaut de réaction, sa responsabilité pourra être engagée.

La victime sera alors contrainte de saisir un Tribunal, via une action en référé d’heure à heure, pour qu’un juge ordonne à l’hébergeur de supprimer les photos/vidéos litigieuses.

Comment poursuivre le « vengeur » ?

La principale difficulté réside dans le fait que l’auteur d’un acte de « revenge porn » agit souvent masqué, c’est-à-dire sous couvert d’anonymat.

Bien entendu, la victime connaît généralement l’identité de la personne à l’origine des divulgations.

Toutefois, sur le plan juridique, les soupçons sont insuffisants ; il convient de pouvoir formellement identifier le « vengeur ».

La victime dispose alors de plusieurs alternatives pour le débusquer.

Si l’article 226-1 du Code pénal peut être invoqué (ce qui est le cas lorsque les photos litigieuses ont été prises dans un lieu privé), la solution la plus économique consiste à déposer plainte.

Les services compétents doivent alors, en théorie, diligenter une enquête pour retrouver l’auteur de l’infraction. Toutefois, la pratique démontre que les affaires de « revenge porn » avancent souvent lentement, les enquêteurs n’étant pas toujours correctement formés pour combattre ce type d’infraction.

Aussi, pour gagner du temps, la victime peut également choisir de saisir le Président du Tribunal de Commerce ou du Tribunal de Grande Instance du lieu de l’établissement du procès-verbal de constat, afin que ce dernier ordonne à l’hébergeur de communiquer, dans un certain délai et sous astreinte, les données d’identification de la personne à l’origine de la publication des photographies.

Toutefois, le seul élément exploitable généralement transmis par l’hébergeur sera alors l’adresse IP de l’ordinateur du « vengeur ».

Dans cette hypothèse, une nouvelle procédure sur requête devra être engagée, devant le même Tribunal, pour que le fournisseur d’accès à internet gérant l’adresse IP désignée soit condamné à transmettre l’ensemble des données en sa possession.

Bien que quelque peu contraignante, l’identification complète du « vengeur » peut être réalisée dans un intervalle d’un mois environ, sous réserve d’une bonne collaboration des hébergeurs et des fournisseurs d’accès, bien entendu.

Une fois le vengeur identifié, la victime pourra alors, enfin, le poursuivre devant une juridiction civile ou pénale, et demander des dommages et intérêts pour préjudice moral.

Les victimes d’actes de « revenge porn » ne sont donc pas démunies et peuvent elles aussi se « venger du vengeur », grâce à un arsenal juridique relativement efficace.

Toutefois, n’oublions pas que la meilleure des protections, bien que relative, consiste à sécuriser l’accès à ses données avec un mot de passe complexe.

En effet, il est toujours recommandé d’éviter les problèmes, en les traitant en amont…

Dans un prochain billet, nous évoquerons un autre fléau propre au réseau internet : les arnaques et extorsions de fonds à la webcam.

Affaire à suivre !

Romain Darriere Avocat au Barreau de Paris www.romain-darriere.fr
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