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Stratégies de contestation de la mise en examen. Par Stéphane Babonneau, Avocat.
Parution : mardi 23 septembre 2014
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L’actualité judiciaire en 2014 a été marquée par plusieurs mises en examen spectaculaires telles que celle de Nicolas Sarkozy en juillet dernier, pour corruption, et celle très récente de la directrice du FMI, Christine Lagarde, pour négligence. Ces affaires ont mis en lumière les défis que posent à la défense cette étape procédurale essentielle.

La procédure de mise en examen moderne a été introduite dans le Code de procédure pénale en 1993, en remplacement de l’ancienne procédure d’inculpation dont le vocable était considéré comme trop attentatoire au principe de la présomption d’innocence.

Si aujourd’hui on ne parle ainsi plus « d’inculpé » mais de « mis en examen », force est cependant de constater que, dans l’inconscient collectif, la mise en examen reste associée à une forme de pré-jugement de culpabilité, ce qu’elle n’est pourtant absolument pas.

La mise en examen se définit en effet comme l’acte par lequel un juge d’instruction informe une personne qu’il existe des indices graves ou concordants laissant penser qu’elle a pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi.

Sauf cas particuliers, la mise en examen ne peut intervenir qu’à la suite d’un interrogatoire, appelé interrogatoire de première comparution, mené par le juge d‘instruction en charge du dossier [1].

Au cours de cet interrogatoire, le juge d’instruction fait connaître au mis en cause chacun des faits dont il est saisi et pour lesquels sa mise en examen est envisagée de même que les indices qui laissent soupçonner son implication.

Ce n’est qu’après avoir offert la possibilité au mis en cause de s’expliquer sur les faits concernés, et avoir entendu les observations de son avocat, que le juge d’instruction peut, s’il estime que des indices graves ou concordants existent, mettre la personne en examen.

Bien que le mis en examen reste présumé innocent à tous les stades de la procédure, ce statut qui lui accorde pourtant des droits et des garanties importants (accès au dossier, droit de faire des demandes d’actes etc.) est généralement vécu comme infamant.

Il officialise en effet une position de suspect dont le mis en examen ne pourra réellement se défaire pendant toute la durée de l’instruction qui peut durer plusieurs années.

Dans le dossier dit de la "vache folle" certains des mis en cause ont ainsi vécu près de 17 ans en examen avant de bénéficier finalement d’un non-lieu en juillet 2014.

De plus, le statut de mis en examen est généralement assorti d’obligations strictes dans le cadre d’un contrôle judiciaire voire, dans certains cas , d’un placement en détention provisoire sur ordonnance du juge des libertés et de la détention [2].

La mise en examen pouvant avoir de très lourdes répercussions sur la vie de celui qui en fait l’objet, le Code de procédure pénale prévoit des moyens de la contester lorsque celle-ci semble injustifiée ou prématurée.

Deux stratégies peuvent ainsi être mises en œuvre par la défense du mis en examen.

La première, à court terme, vise à remettre en cause l’existence ou la légalité des indices graves ou concordants qui ont motivé la mise en examen afin de faire annuler celle-ci.

Lorsque cette stratégie n’est pas envisageable, ou est trop incertaine, il est alors possible de mettre en œuvre une stratégie alternative, à plus long terme, visant à tirer parti de la progression des investigations afin d’amener le juge à reconsidérer sa décision de mise en examen.

La contestation de l’existence ou de la régularité des indices graves ou concordants fondant la mise en examen

Aux termes de l’article 80-1 du Code de procédure pénale, il ne peut y avoir de mise en examen sans l’existence préalable d’indices graves ou concordants.

La Direction des Affaires criminelles et des Grâces indiquait ainsi dans sa circulaire de présentation des nouvelles dispositions issues de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence [3] que « la mise en examen suppose […], soit l’existence de plusieurs indices, même légers dès lors qu’ils sont concordants, soit l’existence d’un seul indice, à la condition qu’il soit grave ».

La circulaire précisait ainsi à titre d’exemple qu’une « personne contre laquelle le seul indice de culpabilité résulte de sa mise en cause par la victime ou par un témoin, si cette mise en cause n’est pas circonstanciée (par exemple la victime ou le témoin pense avoir reconnu la personne, sans pouvoir l’affirmer avec certitude), ne peut être mise en examen car un tel indice ne peut être considéré comme grave.

S’il existe toutefois d’autres indices de culpabilité, comme par exemple la preuve matérielle de la présence de l’intéressé sur le lieu des faits malgré ses dénégations, l’impossibilité pour la personne de préciser son emploi du temps au moment des faits ou sa reconnaissance par d’autres témoins, la mise en examen est alors possible car il existe des indices concordants ».

La loi du 15 juin 2000 a ainsi fixé le seuil déclencheur de la mise en examen à un niveau assez bas.

Ce choix s’explique par le fait que la mise en examen intervient en général au début d’une enquête dont l’objet sera de déterminer avec précision le rôle de la personne soupçonnée d’avoir pris part aux faits susceptibles de constituer une infraction.

C’est pourquoi, le Code de procédure pénale exige au minimum l’existence d’indices graves ou concordants pour que la mise en examen soit valable.

Ce n’est que par la suite que le juge d’instruction déterminera, dans le cadre de ses investigations, si les indices initiaux peuvent se transformer en charges, ou bien s’ils ne dépassent pas le stade de simples soupçons ne pouvant pas justifier un renvoi du mis en examen devant un tribunal pour y être jugé.

Lorsque le mis en cause estime toutefois qu’il n’existe pas d’indices graves ou concordants à son encontre, il peut contester sa mise en examen par la voie d’une requête en nullité qui doit, à peine de forclusion, être introduite devant la chambre de l’instruction dans un délai maximal de six mois à compter de la date de l’interrogatoire de première comparution [4].

L’objet de la requête sera de démontrer que le dossier d’instruction ne comportait, à la date de la mise en examen (et non à la suite de celle-ci), aucun indice grave ou concordant laissant soupçonner la participation de la personne à l’infraction.

Une telle démonstration équivaut donc à prouver que le juge d’instruction s’est gravement fourvoyé en mettant en examen une personne sur la base d’un dossier ne comprenant aucun indice significatif à son encontre.

Dans l’affaire de l’amiante, la défense de Martine Aubry est ainsi parvenue à faire annuler par deux fois, en mai 2013 et juin 2014, sa mise en examen avec huit autres personnes pour homicides et blessures involontaires en démontrant que le dossier d’instruction était dépourvu d’indices graves ou concordants.

L’annulation d’une mise en examen étant un sérieux désaveu du travail du juge d’instruction, la chambre de l’instruction tend à limiter cette sanction aux cas d’erreur flagrante d’appréciation.

En pratique, il est cependant rare qu’une personne soit mise en examen sur la base d’un dossier complètement vide, les juges d’instruction attendant généralement que le dossier soit suffisamment solide avant de procéder à la mise en examen d’un suspect.

Toutefois, la défense n’est pas démunie pour autant dans une telle situation puisqu’à défaut de pouvoir remettre en cause l’existence même des indices il reste tout à fait possible d’en attaquer la légalité.

Dans ce cas, l’objectif sera d’obtenir simultanément l’annulation des indices et, par ricochet, celle de la mise en examen.

C’est cette stratégie qui a été mise en œuvre par la défense de Nicolas Sarkozy en 2013 suite à sa mise en examen pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt.

Peu après sa mise en examen, les avocats de Nicolas Sarkozy ont ainsi contesté la légalité de l’expertise médicale qui avait conclu à l’état de faiblesse de Liliane Bettencourt et réclamé son annulation ainsi que celle de sa mise en examen, laquelle reposait principalement sur cette expertise.

Ils n’ont cependant pas été suivis par la chambre de l’instruction qui a validé l’expertise et maintenu la mise en examen de Nicolas Sarkozy.

Malgré ce revers, l’ancien président a pourtant bénéficié moins d’un mois plus tard d’un non-lieu dans cette affaire, illustrant parfaitement le fait que si des indices graves ou concordants suffisent pour justifier une mise en examen, ils ne peuvent en revanche en aucun cas fonder à eux seuls un renvoi devant le tribunal si l’instruction ne permet pas de les transformer en charges.

La contestation trop précoce de la mise en examen peut ainsi se révéler particulièrement contre-productive dans les dossiers médiatiques lorsqu’elle répond principalement à un impératif de communication.

Face au caractère spectaculaire que revêt parfois la mise en examen d’une personnalité en vue, il peut sembler opportun à la défense de répliquer par une requête immédiate en annulation visant à donner à l’opinion publique le sentiment que la personne se défend vigoureusement contre les soupçons pesant sur elle.

Cette stratégie est cependant particulièrement risquée car une confirmation de la mise en examen par la chambre de l’instruction alourdira au contraire les soupçons pesant sur la personne, et contribuera à instituer une forme de présomption de culpabilité dont elle aura le plus grand mal à se défaire par la suite.

Au surplus, il doit être tenu compte du fait que même lorsque la mise en examen est annulée pour défaut d’indices graves ou concordants, la personne ne disparaît pas complètement de la procédure et est alors automatiquement placée sous le statut de témoin assisté [5].

Elle reste donc associée à la procédure et, à ce titre, toutes ses déclarations, notamment celles faites au cours de son interrogatoire de première comparution et de ses interrogatoires ultérieurs, demeurent au dossier d’instruction.

De plus, la personne peut à nouveau être mise en examen à tout moment par le juge d’instruction en fonction de l’évolution de ses investigations.

C’est pourquoi, s’il arrive fréquemment qu’à la suite d’une mise en examen retentissante la défense annonce « à chaud » dans les médias qu’elle contestera immédiatement celle-ci, il n’est pas rare que cette déclaration d’intention ne soit pas suivie d’effets une fois la pression médiatique retombée.

Au vu du risque important d’échec d’une requête en nullité introduite trop tôt, il est en effet le plus souvent préférable de mettre en place une stratégie de défense à plus long terme en faisant notamment appel à la possibilité offerte par l’article 80-1-1 du code de procédure pénale de demander au juge de revenir, a posteriori, sur la décision de mise en examen.

La demande de passage du statut de mis en examen à celui de témoin assisté

L’article 80-1-1 du Code procédure pénale offre la possibilité à toute personne mise en examen de demander au juge d’instruction de revenir sur sa décision et de lui accorder le statut de témoin assisté.

Cette demande peut être présentée au juge d’instruction à l’issue d’un délai de six mois après la mise en examen, puis tous les six mois suivants. Elle peut également être présentée dans les dix jours qui suivent la notification d’une expertise ou un interrogatoire au cours duquel la personne est entendue sur les résultats d’une commission rogatoire ou sur les déclarations de la partie civile, d’un témoin, d’un témoin assisté ou d’une autre personne mise en examen.

Le juge d’instruction statue sur la demande après avoir sollicité les réquisitions du ministère public.

S’il fait droit à la demande, il informe la personne qu’elle bénéficie désormais du statut de témoin assisté.

Si au contraire il estime que la personne doit rester mise en examen, il statue par ordonnance motivée faisant état des indices graves ou concordants justifiant sa décision. Cette ordonnance est alors susceptible d’appel devant la chambre de l’instruction.

Cette possibilité, que certains auteurs ont qualifiée de « démise en examen » [6], est intéressante car elle permet de tenir compte de l’évolution de l’instruction et de réinterpréter, à la lumière des nouveaux éléments résultant des investigations effectuées par le juge, les indices qui ont pu initialement justifier la mise en examen.

Ainsi, lorsque l’instruction révèle de nouveaux indices qui tendent à démontrer l’absence d’implication du mis en examen dans l’infraction, ou bien que les indices de départ n’ont pu être corroborés, il est possible de demander au juge d’instruction de modifier le statut de la personne mise en examen et de lui accorder celui de témoin assisté.

Ce statut présente des avantages importants, à commencer par la fin immédiate de toute mesure coercitive de contrôle judiciaire ou de détention provisoire.

En outre, la personne placée sous le statut de témoin assisté ne peut plus être renvoyée devant la juridiction de jugement, sauf à avoir auparavant été de nouveau mise en examen.

Ce changement de statut constitue une forme de reconnaissance du juge d’instruction, ou de la chambre de l’instruction, qu’après un certain temps les investigations menées n’ont pas permis de corroborer la thèse de la participation de la personne à l’infraction concernée, et peut par conséquent annoncer un prochain non-lieu.

Stéphane BABONNEAU Avocat à la Cour [Mail->sbabonneau@sba-avocats.com] www.sba-avocats.com

[1art. 80-1 du CPP

[2art. 144 du CPP

[3Crim 2000-16 F1/20-12-2000

[4art.80-1-1 CPP

[5art. 174-1 du CPP

[6Ch. Guéry, Du bon usage des recours contre la mise en examen, AJ pénal 2014 p.287

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