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Affaire PRCA / NLA : sur les copies écran et copies cache, les reproductions d’articles de presse et les intérets des titulaires de droits. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : jeudi 25 septembre 2014
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Par une décision du 24 juin 2013, la Cour suprême du Royaume-Uni a saisi la CJUE d’une demande de décision préjudicielle quant à l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 relative à l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.

En l’espèce, une organisation de professionnels des relations publiques, Public Relations Consultants Association (PRCA), avait recours au service de suivi des médias proposé par le groupe Meltwater, consistant à mettre en ligne à la disposition de ses clients des rapports de suivi d’articles de presse publiés sur Internet en fonction de mots-clés choisis par eux. Cependant, Newspaper Licensing Agency Ldt e.a. (NLA), un organisme mis en place par les éditeurs de journaux du Royaume-Uni afin de fournir des licences collectives concernant le contenu de journaux, estimait que le groupe Meltwater et ses clients devaient obtenir une autorisation des titulaires de droits d’auteurs pour fournir et recevoir le service de suivi des médias dans la mesure où la consultation du site Internet aboutissait à la réalisation de copies sur écran et de copies en cache constituant des reproductions au sens de l’article 2 de la directive 2001/29. Meltwater avait alors souscrit une licence de base de données Internet, mais PRCA avait refusé, soutenant que la consultation en ligne des rapports de suivi par les clients de Meltwater n’exigeait pas de licence.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que les copies sur écran et les copies en cache, effectuées par un utilisateur final au cours de la consultation d’un site Internet, satisfont aux conditions selon lesquelles ces copies doivent être provisoires, présenter un caractère transitoire ou accessoire et constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, et, partant, si ces copies peuvent être réalisées sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur. Elle ajoute que les copies sur écran et les copies en cache satisfont, selon elle, aux quatrième et cinquième conditions posées par cet article, selon lesquelles l’acte de reproduction doit avoir pour unique finalité de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite d’une œuvre ou d’un objet protégé, et ne doit pas avoir de signification économique indépendante.

La Cour de Justice répond alors que «  l’article 5 de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens que les copies sur écran et les copies en cache, effectuées par un utilisateur final au cours de la consultation d’un site Internet, satisfont aux conditions selon lesquelles ces copies doivent être provisoires, présenter un caractère transitoire ou accessoire et constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, ainsi qu’aux conditions fixées à l’article 5, paragraphe 5, de cette directive et peuvent dès lors être réalisées sans l’autorisation des titulaires de droits d’auteur. »

La Cour de Justice avait déjà indiqué dans ses arrêts Infopaq International A/S [1] et Football Association Premier League Ltd e.a. [2] que dans la mesure où l’article 5 de la directive 2001/29 constitue une dérogation au principe selon lequel le titulaire du droit d’auteur autorise toute reproduction de son œuvre protégée, ces conditions doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.

Tout d’abord, s’agissant de la première condition selon laquelle l’acte de reproduction doit être provisoire, la Cour de Justice observe que les copies sur écran sont supprimées dès lors que l’internaute quitte le site Internet consulté, et que les copies en cache sont remplacées automatiquement par d’autres contenus après un certain temps dépendant de la contenance du cache, de l’ampleur et de la fréquence d’utilisation d’Internet par l’internaute. Elle en conclut que ces copies présentent bien un caractère provisoire.

La Cour de Justice choisit ensuite d’examiner la troisième condition, selon laquelle les actes de reproduction en cause doivent constituer une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, c’est-à-dire d’une part qu’ils soient entièrement effectués dans le cadre de la mise en œuvre d’un procédé technique, d’autre part que leur réalisation soit nécessaire en ce sens que le procédé technique ne pourrait pas fonctionner de manière correcte et efficace sans ces actes. Elle indique que les copies sur écran et les copies en cache sont créées et supprimées par le procédé technique utilisé pour la consultation des sites Internet, de sorte qu’elles sont entièrement effectuées dans le cadre de celui-ci, peu important en l’absence de précision de l’article 5 de la directive que ce procédé soit lancé par l’internaute et clôturé par un acte de reproduction provisoire tel que la copie sur écran. La Cour ajoute ensuite que le procédé technique ne peut fonctionner de manière correcte et efficace sans les copies sur écran et les copies en cache, qui permettent de visualiser les sites Internet sur les ordinateurs et facilitent considérablement la navigation sur Internet.

Enfin, la Cour de Justice examine la deuxième condition selon laquelle l’acte de reproduction doit être soit transitoire, soit accessoire. Elle explique tout d’abord que l’acte de reproduction est transitoire si sa durée de vie est limitée à ce qui est nécessaire pour son bon fonctionnement, sa suppression devant être automatique, et qu’il est accessoire s’il n’a ni existence ni finalité autonomes par rapport au procédé technique dont il fait partie. Elle observe alors que les copies sur écran sont supprimées automatiquement par l’ordinateur au moment où l’internaute quitte le site Internet concerné, c’est-à-dire au moment où il met fin au procédé technique utilisé pour la consultation de ce site, et qu’ainsi la durée de vie des copies sur écran est limitée à ce qui est nécessaire pour le bon fonctionnement du procédé technique utilisé et qu’elles doivent être qualifiées transitoires. Elle indique ensuite que le procédé technique détermine entièrement la finalité pour laquelle les copies en cache sont réalisées, les internautes ne pouvant en réaliser en-dehors de ce procédé, dont qu’elles n’ont ni existence ni finalité autonome par rapport au procédé technique en cause et doivent donc être qualifiées d’accessoires.

Par ailleurs, la Cour de Justice rappelle qu’en vertu de l’article 5, paragraphe 5 de la directive 2001/29, la réalisation d’un acte de reproduction provisoire n’est exempt du droit de reproduction que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires des droits. Elle indique alors que les copies sur écran et les copies en cache constituent un cas spécial dans la mesure où elles ne sont réalisées que dans le but de consulter des sites Internet. Elle ajoute ensuite que ces copies ne causent pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes des titulaires des droits d’auteur, dans la mesure où les éditeurs des sites Internet doivent obtenir une autorisation des titulaires des droits d’auteur concernés, et qu’il n’est pas justifié d’exiger des internautes qu’ils obtiennent une autre autorisation leur permettant de bénéficier de cette même communication déjà autorisée par le titulaire des droits d’auteur en cause.

Antoine Cheron ACBM Avocats [mail->acheron@acbm-avocats.com]

[1CJUE, 16 juillet 2009, Infopaq International A/S c/ Danske Dagblades Forening, aff. C-5/08.

[2CJUE 4 octobre 2011, Football Association Premier League Ltd e.a. c/ QC Leisure e.a. et Karen Murphy c/ Media Protection Services Ltd, aff. C-403/08 et C-429/08.