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La clarification des droits de vos projets audiovisuels. Par Sébastien Lachaussée, Avocat et Elisa Martin Winkel, Elève-avocate.
Parution : mardi 14 octobre 2014
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La création cinématographique suppose différentes étapes allant de l’idée d’une fiction en passant par son écriture pour aboutir à un film fini. L’exploitation d’un film nécessite le respect des droits de propriété intellectuelle afférents et le cessionnaire des droits d’exploitation d’une œuvre doit pouvoir reconstituer l’intégralité de la chaîne des droits pour échapper à une condamnation pour contrefaçon. Dans la conception d’un film l’obtention de ces droits survient à différents moments et soulève différentes questions que nous allons évoquer : scénario original, real life stories, adaptation, mais aussi musique de film et respect du droit des marques.

I) Inspiration, histoire du film et problèmes de droit

Le sujet et le scénario d’un film peuvent être originaux, s’inspirer de faits réels ou encore être des adaptations d’œuvres préexistantes. Pour le cas où l’idée et le scénario sont originaux, il s’agira pour le producteur d’obtenir les droits sur le scénario auprès du scénariste ou de ses ayant-droits ou de faire développer un scénario à un auteur et d’en acquérir les droits. Dans ces circonstances l’adaptation du scénario en film ne pose généralement pas de problème et c’est pourquoi nous ne nous y attarderons pas. Certaines situations peuvent cependant être plus complexes, c’est le cas notamment des projets de types “real life story” et des adaptations d’œuvres littéraires préexistantes.

A) Adapter des histoires vraies

En application du principe de la liberté d’expression s’inspirer de faits réels pour réaliser un film est parfaitement autorisé et cela est même extrêmement courant comme en témoigne l’actualité cinématographique : 11.6 de Philippe Godeau, Yves Saint-Laurent de Jalil Lespert, Grace de Monaco de Olivier Dahan… Cependant si le principe est clair il connait des limites : le respect de la vie privée et de la présomption d’innocence.

- Le respect de la vie privée

L’article 8 de la CEDH pose clairement que toute personne a droit au respect « de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Ainsi la liberté de création des scénaristes et réalisateurs ne doit pas contrevenir au droit au respect de la vie privée d’une personne extérieure. A titre d’exemple, l’adaptation de l’épopée de Jacques Mesrine par André Genovès sur grand écran en 1984 a donné lieu à un procès par lequel il a été établi que l’usage, sans leur autorisation, des patronymes de deux personnes qui avaient été enlevées en Juin 1979 par le malfaiteur constituait une atteinte illicite à l’intimité de la vie privée, « même à supposer qu’elle ne comporte rien de désobligeant à leur égard », dans la mesure où ces personnes sont identifiables et qu’elles sont représentées dans leur domicile. Cependant le principe de la liberté d’expression est très fort et les juges appliquent parfois légèrement le droit à la vie privée. Ainsi dans l’affaire Roi et Reine, qui opposait le réalisateur Arnaud Desplechin et son ex compagne qui s’était reconnue dans un personnage du film et réclamait réparation pour la violation du droit au respect de sa vie privée, le TGI de Paris a estimé que bien qu’il ait "construit son film autour (...) de son histoire et de celle de ses proches qu’il n’a pas hésité à s’annexer", le réalisateur a "créé une œuvre de fiction qui ne saurait se réduire aux identifications alléguées". De la même manière : le vétérinaire niçois condamné pour le meurtre de son fils n’avait pas obtenu l’interdiction du film Mariage mixte de Alexandre Arcady dont son histoire a fait l’objet car, “rien n’interdit à un écrivain de s’inspirer d’une affaire judiciaire particulièrement exceptionnelle au regard des aspects psychologiques et sociaux qu’elle révèle et de livrer au public sa propre vision des caractères et des circonstances qui en font le ressort” (TGI Paris 9 déc. 2002 Turquin c/ Weitzmann). On note cependant que si les faits qui ont fait l’objet de révélation au public ou de publications n’entrent plus dans le domaine de la vie privée il existe bien cependant un principe de droit à l’oubli en tant que composante du droit à la vie privée. Un jugement du TGI de Paris en date du 20 avril 1983 le consacre ainsi en énonçant que “toute personne qui a été mêlée à des évènements publics peut, le temps passant, revendiquer le droit à l’oubli (…) qui doit également profiter à tous, y compris aux condamnés qui ont payé leur dette à la société et tentent de s’y réinsérer ». Il apparait ici une difficulté car il s’agit de concilier les deux libertés fondamentales que sont le respect de la vie privée et la liberté d’expression. Ainsi les juges apprécient au cas par cas si l’équilibre entre ces deux libertés est respecté, et prennent alors principalement en compte l’étendue de la diffusion publique des faits. Il apparait alors que le droit à l’oubli fait l’objet d’une faible application. Dans les années soixante les juges évoquaient déjà au sujet du film Landru de Claude Chabrol une "prescription du silence" avant de rejeter la demande de réparation du préjudice de l’ancienne maitresse du meurtrier car celle-ci avait elle-même publié ses mémoires, et que le film reprenait des faits relatés dans des chroniques judiciaires parfaitement accessibles. De la même manière, le film Fait d’hiver de Robert Enrico sorti en 1998 et s’inspirant d’une histoire criminelle ne porte pas atteinte au droit à l’oubli, les juges ayant estimé que la révélation de faits publics déjà divulgués ne pouvait constituer elle-même une atteinte au respect dû à la vie privée. Il apparait finalement que, s’agissant de faits criminels largement diffusés dans la presse ou dans des ouvrages littéraires, le droit à l’oubli peine à s’appliquer, laissant une très grande liberté aux réalisateurs et producteurs qui souhaitent les adapter à l’écran. En tout état de cause, chaque projet d’adaptation de faits réels étant différent et pouvant soulever un conflit avec le droit à la vie privée, il est plus que conseillé au producteur d’un tel projet de se rapprocher des personnes concernées afin d’obtenir leur consentement. Pour le biopic d’Yves Saint Laurent, Pierre Bergé ancien compagnon du créateur a ainsi soutenu et accompagné le projet de Jalil Lespert alors que son aval n’a pas été accordé au projet concurrent de Bertrand Bonnello, promettant ainsi des conflits entre lui et la production de ce-dernier projet. Avec des films comme Landru et Fait d’hiver on entre dans une catégorie de films très répandus : l’adaptation d’affaires judiciaires. Cette situation entraine nécessairement la question du respect de la présomption d’innocence.

- Le respect de la présomption d’innocence

La présomption d’innocence est garantie par l’article 6 de la CEDH et 9-1 du Code civil. Il est entendu qu’en cas contraire le juge peut allouer des dommages et intérêts à la victime et prescrire toutes mesures nécessaires aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte, or la réalisation et la diffusion d’un film portant sur une affaire en cours est fortement susceptible de porter atteinte à ce principe. En France une affaire fait date en la matière : le film Noces rouges de Claude Chabrol inspiré de l’affaire des “amants diaboliques de Bourganeuf". La diffusion du film était même prévue avant que le procès des présumés coupables du meurtre ne soit rendu amenant leurs avocats à engager une procédure pour faire respecter leur droit à un procès équitable. Les juges ont alors estimé que, si la production d’un film s’inspirant d’une affaire judiciaire en cours n’est pas interdite, la diffusion de ce film ne doit pas porter atteinte à l’intégrité de la procédure judiciaire. Les juges ont alors ordonné le report de la sortie du film. On en déduit ici que, en tout état de cause, la sortie du film ne pourra qu’être postérieure à toutes les procédures envisageables dans l’affaire traitée. Le respect de la présomption d’innocence est une composante essentielle de la sécurité judiciaire mais aussi des droits de la personnalité, son respect doit être exercé également hors des considérations judiciaires.On peut ici revenir sur L’affaire Villemin série coréalisée par Pascal Bonitzer et Raoul Peck qui relate sur l’assassinat du jeune Grégory Villemin en 1984. Suite à la diffusion des films France 3 avait été condamnée en avril 2009 à payer 80.000 euros de dommages et intérêts pour diffamation à la veuve et aux enfants de Bernard Laroche puis en 2011 une peine similaire a été appliquée à l’encontre de Arte ; les juges ayant retenu que « les réalisateurs conduisent nécessairement le téléspectateur à penser (...) que le petit Grégory a passé ses dernières minutes de vie à bord de la voiture de Bernard Laroche » allant ainsi contre le respect de la présomption d’innocence. Afin de ne pas se heurter au principe de la présomption d’innocence il est donc absolument primordial ne pas faire transparaitre la culpabilité d’une personne à l’égard d’un fait criminel quel qu’il soit et ce que la procédure judicaire soit close ou non. Le fait de traiter d’une affaire judiciaire demande donc une grande prudence et d’adapter la plus grande neutralité possible vis-à-vis des personnes mêlées de près ou de loin à cette affaire. Il apparait maintenant nécessaire de soulever que l’adaptation de faits réels passe souvent par l’adaptation d’une première œuvre littéraire ou journalistique : Parkland de Peter Landesman adapté du roman de Vincent Bugliosi, Four days in November : the assassination of President John F Kennedy, The Bling ring de Sophia Coppola d’après un article de Vanity Fair … Dans ces circonstances acquérir les droits sur l’œuvre première est alors nécessaire ou pour le moins vivement conseillé. En effet, s’inspirer d’une histoire vraie après la lecture d’un livre est risqué et peut constituer un plagiat ; on rappellera à titre d’exemple l’affaire Séraphine, film de Martin Provost sur la peintre Séraphine de Senlis dont le scénario a été jugé contrefaisant du roman biographique de Alain Vircondelet aux vues des nombreuses ressemblances entre le livre et le film, notamment des scènes similaires ou identiques (TGI Paris 3e ch. 2e sect.26/11/2010 - Éditions Albin Michel et a. c/ Sté TS Productions et a.) Les juges distinguent dans ces cas-là la recherche documentaire, qui passe notamment par la lecture d’ouvrage, de l’adaptation contrefaisante de l’ouvrage par reproduction servile ou quasi-servile de tout ou partie d’un ouvrage.

B) Adapter une œuvre littéraire préexistante

L’adaptation d’œuvres littéraires est une pratique extrêmement courante et Marie-Pierre Valley, directrice artistique de Wild Bunch l’explique ainsi : « Pour un réalisateur, c’est une chance de pouvoir s’assoir sur la notoriété d’un livre, c’est beaucoup plus facile pour communiquer ensuite dessus. » L’adaptation d’une œuvre littéraire préexistante peut relever de deux circonstances : soit il existe un ou plusieurs ayants-droits sur l’œuvre, soit l’œuvre est tombée dans le domaine public.

- Les œuvres du domaine public

Si adapter un livre tombé dans le domaine public est gratuit, réalisateurs et producteurs doivent impérativement respecter le droit moral de l’auteur, et notamment l’intégrité de l’œuvre. De plus si l’œuvre a fait l’objet d’une adaptation précédente il faut veiller à ne pas la contrefaire les films “guerre des boutons » : ne pouvaient pas se reposer sur le film mais uniquement sur le livre. Cela peut être délicat et à titre d’exemple on peut évoquer le cas « Diabolique » dans lequel la veuve du réalisateur Henri-Georges Clouzot estimait que le "remake" de Jeremiah Chechik s’inspirait plus du film de son mari que du roman de Boileau et Narcejac, en quoi les critiques comme les producteurs avec qui elle a passé un accord lui ont donné raison. Adapter une œuvre du domaine public requiert donc de la prudence et il peut alors être judicieux de se rapprocher au préalable des titulaires des droits moraux sur l’œuvre ou des auteurs et ayant-droit d’œuvres d’inspiration commune.

- L’achat de droit d’adaptation

Il s’agira pour le producteur de trouver l’ayant droit, généralement éditeur ou auteur, de le convaincre de céder ses droits mais aussi de minimiser les risques d’investissement. Dans ces circonstances la pratique de l’option est très courante et suppose des contrats très précis.Il s’agit bien sûr dans un premier temps de caractériser l’adaptation, c’est-à-dire prévoir quelle forme va prendre l’œuvre dérivée : un film « live action », une version animée, les deux ? Une œuvre pour le cinéma ou la télévision ? Mais surtout le producteur doit être prévoyant et envisager tous les aspects possibles de l’exploitation de l’œuvre à venir. Il s’agira de prendre en compte chaque spécificité du projet pour sécuriser le développement, la production et l’exploitation du film.
Il est par exemple nécessaire d’envisager les droits de remake, sequel, prequel... et bien entendu le merchandising si le projet s’y prête. En notant toutefois que souvent le merchandising ne portera que sur les objets dérivés du film et non pas des objets dérivés d’une BD par exemple. On notera aussi que si la cession porte sur une œuvre inclue dans une série, les scénarios résultant des droits de sequel et prequel ne doivent pas avoir de rapport direct avec des histoires issues d’autres œuvres de la série car cela ferait échec à la possible cession d’un droit d’adaptation. De plus, s’agissant de l’exploitation du film, il est évident qu’un producteur a intérêt à négocier avec l’éditeur ou l’ayant droit la possibilité d’une extension des droits qu’il acquiert, au travers notamment de clauses de préférence et de priorité, afin de s’assurer la possibilité d’exploiter son film paisiblement. De la même manière un producteur peut obtenir un droit de préférence sur les autres droits d’adaptation de l’œuvre ou que certains de ces droits soient « gelés ». Par exemple, si un producteur a acheté les droits pour une adaptation cinématographique « live action » il est possible de prévoir que les droits télévisuels, l’adaptation en dessin animé, en pièce de théâtre … ne soient pas possibles pendant une certaine durée. Les adaptations d’œuvres littéraires et/ou graphiques sont extrêmement courantes et la pratique contractuelle est très efficace s’agissant de la cession des droits d’adaptation, on note néanmoins qu’elles connaissent la limite du droit moral des auteurs.

- Le respect du droit moral des auteurs

L’adaptation d’une œuvre ne doit pas entacher ou dénaturer l’œuvre première. A cet égard une entente avec les auteurs ou leurs ayants droits peut permettre de minimiser les risques. Ainsi il est courant que les auteurs soient conviés à participer à l’élaboration du scénario, au choix du réalisateur ou des acteurs, au pré-visionnage du film... Ainsi le contrat de cession de droit portant sur l’adaptation de la bande dessinée Michel Vaillant prévoyait que le dessinateur et/ou le scénariste assiste(nt) aux premières réunions d’écriture afin « de transmettre au producteur et au(x) scénariste(s) sa bonne connaissance de l’univers de Michel Vaillant et ainsi optimiser l’adaptation », de la même manière pour la production du film « Les dalton » l’éditeur avait désigné un directeur littéraire pour suivre et assister le projet. Il est de plus important de souligner ici que le droit moral des auteurs est limité par les libertés nécessaires à la création cinématographique. En 1951 le tribunal de Bordeaux notait ainsi s’agissant de l’adaptation cinématographique d’une pièce de théâtre que « en cédant le droit d’adapter son œuvre, l’auteur consent nécessairement à toutes les modifications qui seront exigées par les conditions techniques et les règles propres d’un art essentiellement différents [de celui de l’œuvre première] ». De la même manière dans les années 60 la Cour de cassation a écarté les critiques formulées par les héritiers de Georges Bernanos concernant l’adaptation du "Dialogue des Carmélites". Bien que reconnaissant une certaine absence de fidélité, les juges ont affirmé que « l’expression cinématographique n’avait pas à se mouler dans un texte, aussi dense et prestigieux fut-il, alors que le film doit toucher un public d’une grande diversité et que les dialogues doivent être accessibles ». A noter que la notoriété de l’œuvre première est indifférente, la Cour d’appel de Paris ayant retenu cette analyse en 1998 pour écarter les ayants droits de Saint-Exupéry en énonçant « que l’adaptation au cinéma d’une œuvre littéraire impliquait qu’une certaine liberté soit reconnue » l’adaptation justifiant « un apport personnel de l’adaptateur, exigé par la transposition à l’écran ». Finalement, le challenge principal dans l’adaptation d’une œuvre littéraire sera de minimiser le pouvoir décisionnaire de l’auteur de l’œuvre première, de son éditeur ou de ses ayant droits tout en les faisant participer au projet afin de prévenir les risques d’action en justice, notamment s’agissant du respect de l’intégrité de l’œuvre. Enfin on notera que la mention « librement inspirée » ne saurait en aucun cas protéger les producteurs du point de vue du droit d’auteur. Si les idées sont de libre parcourt on ne s’inspire pas librement d’une œuvre protégée sans en acquérir les droits et respecter le droit moral des auteurs.

II) Droits sur les éléments inclus lors de la fabrication du film

Au sein de chaque film il est possible de retrouver de nombreuses œuvres protégées par des droits de propriété intellectuelle : musique, tableaux, sculptures, marques … Ce sont des éléments qu’il s’agit de prendre en compte lors du développement du film car il s’agit souvent pour le producteur d’obtenir les droits nécessaires à l’usage de ces œuvres.

A) La musique de film

Dans un film la musique est une composante essentielle, il est alors nécessaire pour le producteur d’obtenir les autorisations de tous les ayants droits concernés, c’est-à-dire non seulement les auteurs mais aussi les artistes interprètes et les producteurs de phonogrammes et ce qu’il s’agisse de musique de commande ou de musique préexistante.

- Œuvre de commande

Parfois la bande originale d’un film est commandée à un auteur : Yann Tiersen pour Le fabuleux destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet, Emilie Simon pour La marche de l’empereur de Luc Jacquet… Dans cette situation le producteur passe un contrat de commande et rémunère l’auteur pour son travail de création. Généralement les auteurs sont affiliés à la SACEM et c’est l’organisme qui s’occupera de la rémunération de l’auteur du fait de la diffusion de l’œuvre incorporant la musique. On a donc une double rémunération : d’une part la prime de commande/ d’écriture vient rémunérer la création et la réalisation de l’œuvre musicale pour des besoins particuliers définis par le producteur du film et d’autres part les sommes versées par la SACEM viennent payer les différentes exploitations de l’œuvre. En effet, les exploitants de salles de spectacles cinématographiques et les chaînes de télévision pour la représentation de l’œuvre payent des redevances à la SACEM. Dans les systèmes de droit d’auteur, lorsque le producteur d’un film fait appel à un compositeur pour créer une musique spécifiquement pour un film, ce dernier est considéré comme un des co-auteurs du film et il faudra veiller à respecter ce statut. Par ailleurs, faire appel à un compositeur pour la bande-originale du film comporte un cout extrêmement important et n’est à envisager que si le projet nécessite un tel investissement. C’est pourquoi les films intègrent le plus souvent des œuvres musicales préexistantes.

- Œuvre préexistante

La sonorisation d’un film peut nécessiter l’utilisation de musiques préexistantes, parmi lesquelles on distingue les musiques dites « d’illustration » des musiques du catalogue général. Les musiques d’illustration sont des pièces musicales éditées par des sociétés spécialisées dans la sonorisation d’œuvres audiovisuelles. Dans ces conditions l’accord des auteurs et des artiste-interprètes a déjà été recueilli et le producteur a un interlocuteur unique, ce qui facilite le processus de l’obtention du droit de synchronisation. De plus les prix varient entre 150 et 450 euros par minute entamée et sont assez avantageux pour les producteurs. S’agissant des œuvres du répertoire général il est judicieux de se tourner vers les sociétés de gestion collectives telles que la Sociétés Civile des Producteurs de Phonogrammes. En effet la grande majorité des auteurs et artistes-interprètes sont affiliés à ces sociétés et ce sont elles qui se chargent de délivrer les autorisations nécessaires à l’exploitation de leur musique ou, s’ils n’en ont pas le pouvoir vous renvoie vers l’éditeur concerné. Les tarifs pour la cession de droits de synchronisation d’une musique dans un film varient selon les éditeurs, les prix oscillent entre 450 et 1000 euros par minute entamée. On notera ici que les droits de synchronisation de musiques classiques sont toujours élevés en raison des investissements importants que leur enregistrement suppose. Dans tous les cas, puisque l’intégration d’une musique dans un film peut toucher à son intégrité, il faudra cependant demander l’accord des personnes possédant les droits moraux sur l’œuvre (auteurs, artistes-interprètes, ayant-droits des auteurs …). Qu’il s’agisse de musiques originales ou d’œuvres préexistantes il est primordial pour le producteur de prévoir le cas de la production et de la commercialisation de la bande originale du film. En effet le droit d’édition que cela suppose est distinct du droit de synchronisation obtenu pour utiliser la musique dans le film. Enfin il est absolument nécessaire de se méfier des airs fredonnés ou sifflotés, en effet si ceux-ci sont identiques ou très similaires à une musique existante leur utilisation sera jugée contrefaisante même si la musique originale n’est pas utilisée dans le film. Ainsi la Cour d’appel de Paris a condamné la diffusion d’une publicité dans lequel le thème musical « Viva la vida » était clairement reconnaissable bien que seulement fredonné quelque secondes.

B) Les œuvres apparaissant dans un film

Dans un film il est habituel qu’apparaissent des œuvres picturales, graphiques, sculpturales etc… Le statut de ces œuvres est complexe et il est arrivé que des auteurs réclament un dédommagement pour une incorporation non souhaitée de leur œuvre. Depuis un certain temps déjà, les juges considèrent que l’incorporation d’une œuvre secondaire ne constitue pas une contrefaçon dès lors que l’œuvre incorporée n’est pas le sujet premier de l’œuvre secondaire. Une jurisprudence fait date en la matière il s’agit du conflit opposant les architectes ayant conçu la place des terreaux à Lyon et l’éditeur d’une carte postale représentant la place. Les juges ont estimé que « telle que figurant dans les vues en cause, l’œuvre litigieuse se fondait dans l’ensemble architectural d’une place dont elle constituait un simple élément » et « cette présentation de l’œuvre litigieuse étai accessoire au sujet traité et […] ne réalisait pas la communication de cette œuvre au public » L’idée à retenir étant qu’il ne peut y avoir contrefaçon d’une œuvre si celle-ci n’est qu’accessoire dans l’œuvre secondaire. Ce principe s’applique parfaitement aux films de cinéma comme l’a mis en évidence la Cour d’appel de Paris dans l’affaire opposant l’auteur d’affiches apparaissant dans la classe servant de décor au film Etre et avoir de Nicolas Philibert qui note que « la reproduction et la représentation d’une œuvre n’est pas une communication au public lorsqu’elle est accessoire par rapport au sujet traité et par rapport au sujet représenté, en ce qu’elle est imbriquée avec le sujet traité et que dans ces conditions, une telle communication accessoire ne porte pas atteinte au monopole du droit d’auteur, l’œuvre n’étant pas identifiée dans ses caractéristiques ». La consécration de cette théorie de l’accessoire ou de l’arrière-plan vient grandement faciliter la production cinématographique et sécuriser l’exploitation des films. En effet, a moins d’avoir un film ayant pour sujet principal une œuvre protégée par le droit d’auteurs les producteurs peuvent se désintéresser de la question des droits sur les œuvres inclues de manière accessoire dans leur production.

C) Le respect du droit des marques

Au-delà des considérations liées au respect du droit d’auteur, il peut également arriver qu’un film comprenne des éléments constitutifs d’une contrefaçon de marque. Ainsi en 2006 la marque de vêtements Brice se heurtait au succès du film Brice de Nice de James Huth. Les juges ont alors estimé que « la construction grammaticale « Tee-shirt Brice », qui combine la dénomination d’un vêtement au terme Brice, constitue une contrefaçon par reproduction de la marque Brice, déposée pour des vêtements. ». Plus récemment Louis Vuitton a déposé plainte contre Warner Bros en avançant que la compagnie cinématographique aurait volontairement fait passer un faux sac Louis Vuitton pour un vrai dans une scène du film Very Bad Trip de Todd Phillips. Les juges new-yorkais ont cependant rejeté la requête du créateur en estimant "hautement improbable" le fait que les spectateurs aient remarqué qu’il s’agissait d’une contrefaçon, l’accessoire n’apparaissant qu’une trentaine de secondes à l’écran. Il est de plus envisageable que le seul titre de l’œuvre soit susceptible de constituer une contrefaçon. Ainsi en 2006 l’usage du titre Angélique pour un film a été juge contrefaisant de la marque « Angélique marquise des anges » car le mot « Angélique » constituait un élément essentiel et caractéristique du signe déposé et interdisait donc l’utilisation du mot pour des usages similaires. Les affaires portant sur des titres sont fréquentes, la société détentrice de la marque "Tout peut arriver" pour désigner une émission de divertissement reprochait ainsi l’usage du titre pour un film cinématographique, même si en l’espèce le principe de spécialisation des marques a écarté la contrefaçon. De manière générale l’apparition évidente, visuelle ou même sonore, d’une marque dans un film peut amener celle-ci à poursuivre les producteurs pour défendre un usage non-autorisé de la marque. Le respect du droit des marques est donc à considérer lors de la réalisation d’un film. Il peut alors être judicieux si une marque doit être mentionnée dans le film d’utiliser un nom de marque fictif. Ainsi la compagnie aérienne Oceanic airlines dans la série Lost évite-t-elle aux producteurs la colère des compagnies existantes. Il est également conseillé si l’apparition d’une marque apparait nécessaire au film de se rapprocher du titulaire des droits sur la marque afin d’obtenir une autorisation d’usage. Si les conflits entre producteurs et marques existent, les rapports marques/production peuvent aussi devenir bénéfiques pour la production, en particulier avec le développement du placement de produit. En effet cette technique qui consiste à obtenir un financement pour le film en contrepartie de l’apparition de la marque dans le film prend de plus en plus d’ampleur. Ce procédé peut même permettre à des producteurs d’obtenir une partie substantielle du financement de leur film. Si le procédé est moins développé dans les pays européen qu’aux Etats-Unis il n’est cependant pas négligeable. Ainsi le placement de produits a permis de financer 3 %, à savoir 588 000 € du budget du film de Gérard Pires Les chevaliers du Ciel en 2005.

Sébastien Lachaussée, Avocat Elisa Martin-Winkel, Juriste Lachaussée Avocat est un cabinet d'avocat dédié au secteur des médias et des nouvelles technologies. _ [->sl@avocatl.com] _ www.avocatl.com
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