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L’irrégularité au fond de l’appel ne peut être régularisée que pendant le délai d’appel. Par Abdelaziz Mimoun, Avocat.
Parution : jeudi 16 octobre 2014
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Par un arrêt du 9 octobre 2014, statuant sur déféré, la Cour d’appel de Versailles a tranché une difficulté procédurale inédite, semble-t-il.

Les faits de l’espèce étaient relativement simples et clairs.

Une partie a été condamnée à indemniser la partie demanderesse en raison d’une faute contractuelle par un jugement du Tribunal de grande instance de Versailles.

Ledit jugement a été régulièrement signifié à partie le 5 décembre 2013.

Le recours en appel a été régularisé par un acte en date du 16 décembre 2013 devant la Cour de Versailles à l’initiative d’un avocat exerçant son ministère au Barreau de Paris.

Autrement dit, l’appel avait été régularisé par un avocat incompétent pour exercer ce recours devant la Cour d’appel de Versailles contre une décision émanant d’un tribunal de grande instance devant lequel il n’exerçait pas la postulation.

Se rendant compte de cette difficulté, il avait mandaté un avocat du Barreau de Versailles pour régulariser une constitution en ses lieu et place le 24 février 2014, soit après que le délai d’appel eut été définitivement et entièrement consommé, celui-ci arrivant à expiration le 6 janvier 2014.

Estimant que l’appel était affecté d’une irrecevabilité de fond, l’intimé formait un incident pour voir déclarer l’appel irrecevable malgré la tentative de régularisation intervenue le 24 février 2014 au-delà du délai d’appel.

Par une première ordonnance du 5 juin 2014, surprenante, le conseiller de la mise en état, rejetait l’incident, et déclarait l’appel recevable.

Cette décision faisait, alors, l’objet d’un déféré par application des dispositions de l’article 916 alinéa 2 du Code de procédure civile, dont il convient de préciser que ce déféré doit être formé dans un délai de 15 jours du prononcé de la décision.

Par son arrêt la Cour d’appel de Versailles clos clairement et simplement le débat quant à la question, d’une part, de la recevabilité d’un appel formé par un avocat n’exerçant pas son ministère dans le ressort de la Cour dont il s’agit (A) et, d’autre part, de la possibilité de régulariser un appel vicié dans le fond (B).

A- Les règles de compétence en matière d’appel sont liées au ressort de la postulation

Il convient, d’ores et déjà, de circonscrire le débat et de rappeler que les développements qui suivent ne s’appliquent qu’en matière de représentation obligatoire devant la Cour.

Depuis la réforme intervenue et la suppression de la profession d’avoué ayant fusionné au sein de la profession d’avocat, seul ce dernier peut former appel d’une décision en matière de représentation obligatoire.

Or, la représentation obligatoire est étroitement liée à une problématique géographique, car, par essence, un avocat ne peut valablement représenter et donc former appel devant toutes les juridictions d’appel.

Les textes sont très clairs en la matière.

Ainsi, et, aux termes de l’article 5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 les avocats "exercent exclusivement devant le tribunal de grande instance dans le ressort duquel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant la cour d’appel dont ce tribunal dépend, les activités antérieurement dévolues au ministère obligatoire des avoués près les tribunaux de grande instance et les cours d’appel. (…)".

Une seule exception demeure pour les avocats bénéficiant de ce qu’on appelle la multipostulation, c’est-à-dire les avocats exerçant leur activité sur les Barreaux de Paris et de sa périphérie, à savoir les Hauts-de-Seine, le Val de Marne et la Seine-Saint-Denis tous autorisés à exercer la postulation – c’est-à-dire la représentation – devant le tribunal de grande instance de Nanterre (92) dont les décisions relèvent de la compétence de la Cour d’appel de Versailles.

Un avocat rattaché aux Barreaux de Paris et de la périphérie peut donc former appel d’un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre devant la Cour d’appel de Versailles.

C’est d’ailleurs cette exception qui est prévue et réglementée à l’article 1er III de la même loi il qui dispose que "par dérogation au deuxième alinéa de l’article 5, les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué près les tribunaux de grande instance auprès de chacune de ces juridictions. Ils peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué près les cours d’appel auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Les dispositions du deuxième alinéa de l’article 5 demeurent cependant applicables aux procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation.
En outre, un avocat ne peut exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère d’avoué devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établi son barreau ni au titre de l’aide judiciaire, ni dans des instances dans lesquelles il ne serait pas maître de l’affaire chargé également d’assurer la plaidoirie
".

Il résulte donc de l’ensemble de ces dispositions que l’appel formé contre un jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Versailles ne peut être formé que par un avocat inscrit à l’un des Barreaux rattachés au ressort de la Cour d’appel de Versailles, soit les Barreaux de Chartres, Versailles, Nanterre et Pontoise.

Dans la présente espèce, pour considérer l’appel comme étant recevable, le conseiller de la mise en état a considéré "que c’est à juste titre que Stéphane K. se prévaut de la constitution de Me G., avocat au barreau de Versailles, intervenue avant que la Cour statue, constitution ayant eu pour effet de couvrir en application de l’article 121 du code de procédure civile, l’irrégularité de fond constituée par la déclaration d’appel effectuée par un avocat ne pouvant postuler devant la cour".

C’était méconnaître la problématique de la territorialité de la représentation en cause d’appel mais aussi et surtout de la faculté, éventuelle, de régulariser une nullité de fond de la déclaration d’appel.

La Cour statuant en formation collégiale, devait prendre le contrepied en infirmé cette décision.

Elle a estimé qu’un avocat du Barreau de Paris ne pouvait valablement et juridiquement pas former appel contre un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Versailles, prérogative des seuls des avocats des Barreaux de Chartres, Versailles, Nanterre et Pontoise territorialement rattachés à la Cour d’appel de Versailles.

Une fois cette première phase du raisonnement réglée, devait, alors, se poser la question de la possible régularisation de l’appel.

En d’autres termes, un appel formé par un avocat territorialement incompétent pour former ce recours pouvait-il être régularisé, et, dans l’affirmative sous quelle(s) condition(s), notamment de délai ?

B- L’impossible régularisation d’un appel après l’expiration du délai d’appel

L’article 117 du Code de procédure civile rappelle que "constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte (…) le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice".

L’article 121 du Code de procédure civile précise, quant à lui, que "dans les cas où elle [l’irrégularité] est susceptible d’être couverte, la nullité ne sera pas prononcée si sa cause a disparu au moment où le juge statue".

Le défaut de capacité d’un avocat à ester, et, donc à former appel d’un jugement, constitue une irrégularité de fond laquelle irrégularité pourrait être régularisée lorsque seulement cette irrégularité est susceptible d’être couverte.

En matière d’appel, la 2ème chambre civile avait déjà réglé cette difficulté par un arrêt du 19 octobre 1983 [1].

Aux termes de cette décision, la Haute juridiction a précisé que la "régularisation" de l’irrégularité de fond doit intervenir avant toute forclusion de telle sorte que l’irrégularité de fond qui affecte un acte d’appel ne peut pas être couverte après l’expiration du délai d’appel.

Dès lors, cette jurisprudence conforme aux textes devait conduire inéluctablement, à faire déclarer l’appel irrecevable de facto.

Pour tenter de contrecarrer, le défendeur à l’incident (qui était appelant au principal) soutenait qu’il fallait faire application de la jurisprudence applicable à la constitution devant le tribunal, c’est-à-dire en première instance, qui, effectivement, et, dans la limite de la date de clôture, peut être régularisée dans la mesure où le code de procédure civile ne prévoit aucun délai impératif, sauf à régulariser la procédure jusqu’à la date de l’ordonnance de clôture.

Cependant, c’était faire fi du fait qu’en matière d’appel la logique est exactement différente en raison du délai d’appel d’un mois.

Dès lors, et, à supposer que cette irrégularité soit "régularisable", il aurait fallu que cette démarche de régularisation intervienne pendant le délai d’appel, soit en l’espèce jusqu’au 6 janvier 2014 inclus.

Or, la constitution en lieu et place régularisant n’est intervenue que le 24 février suivant, bien après l’expiration du délai d’appel, c’est-à-dire après acquisition de la forclusion au profit de l’intimé.

Pour aller encore plus loin, nous estimons de notre point de vue que la constitution en lieu et place, même intervenue pendant le délai d’appel, n’aurait pu permettre la régularisation de l’appel dans la mesure où la constitution aurait été opérée sur la base d’un appel irrecevable par nature.

A notre sens, la seule solution devait conduire l’appelant à régulariser un autre appel pendant le délai d’appel et se désister du premier appel irrecevable.

Enfin, un autre enseignement est à tirer de cette décision qui tient au fait de bien respecter les délais piégeux de la procédure d’appel car en matière d’incident, il appartient à la partie demanderesse à l’incident de veiller à respecter le délai de déféré de 15 jours à compter de la décision tel que prévu à l’article 916 alinéa 2 pour porter la difficulté devant la Cour.

A défaut, le point tranché par le conseiller de la mise en état dans son ordonnance rendue à juge unique sera considéré comme étant définitif et ne pourra plus être débattu devant la Cour.

Abdelaziz MIMOUN, Avocat au Barreau de Versailles mimoun-avocat.fr [->mimounavocat@gmail.com] +33 1 30 21 44 04 - +33 1 30 21 21 41

[1pourvoi n°82-13030