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Sept ans de silence ! Par Benoit Deltombe.
Parution : lundi 20 octobre 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Sept-ans-silence,18078.html
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Lettre ouverte à Monsieur Boris CASSEL

ANGERS , dimanche 19 octobre 2014 : Sept ans de silence .

http://www.leparisien.fr/une/justice-les-avoues-encaissent-les-citoyens-payent-11-10-2014-4205317.php

Cher Monsieur Boris CASSEL ,

Je vous embrasserais !!!

Merci encore mille fois pour votre article publié dans Le Parisien du 11 octobre 2014.

C’est en effet la première fois depuis sept ans que l’on évoque les conséquences de la disparition d’une profession réglementée : depuis le discours présidentiel du 31 août 2007 , les avoués ont été totalement censurés , aucun organe de presse n’a évoqué leur suppression .

Cependant, puisque aussi bien l’éradication des professions réglementées est à la mode, il serait intéressant de se poser cette question : que se passe-t-il, précisément quand on en supprime une ?
Voici ce que disait Christian CHARRIERE-BOURNAZEL , ancien bâtonnier de Paris, ancien président du conseil national des barreaux, c’est-à-dire l’instance nationale représentative de l’ensemble de la profession d’avocat : " La suppression des avoués ? Ne m’en parlez pas, c’est une horreur ! "

Vous voulez en savoir plus ? lisez ceci :

https://www.hub-avocat.fr/userfiles/files/10768/lettre-17-aout-2014-mme-taubira_acces-au-droit-question-reglee-10768-141014-1002.pdf

À présent , examinons votre article, il comporte une erreur par ligne, mais il est impossible de vous en faire grief, vous ne pouviez pas savoir.

Débourser 400 millions d’euros ? La commission COPE, sur la base de l’étude des bilans de tous les avoués sur cinq ans, avait chiffré leur préjudice à 905 millions. C’est comme si vous aviez acheté un bien à 905 €, et que l’on vous exproprie à 292 €.

Le privilège de 430 personnes ? A l’inverse des avocats, qui sont libres de prendre ou de refuser un dossier, les avoués étaient tenus de prendre tous les dossiers, sans pouvoir refuser un seul, même les dossiers les plus désespérés, qu’il leur arrivait de gagner, uniquement avec des moyens de procédure.
Résultat : 60 % des dossiers étaient traités à perte, les gros dossiers compensant le reste. J’ajoute que les avoués instruisaient intégralement les dossiers, y compris et surtout la rédaction, matérielle et intellectuelle, des conclusions.

Le gouvernement de l’époque a autorisé ces professionnels du droit à se reconvertir : Fonctionnaire ? Quatre magistrats pour 430 avoués, un greffier pour 1850 salariés .
Avocat ? Certes, en concurrence avec 60 000 avocats qui étaient leurs donneurs d’ordre, et qui sont subitement devenus leurs concurrents, c’est-à-dire que n’ayant plus aucun dossier, les avoués ont dû repartir de zéro.

Un rapport sénatorial du 4 juin 2014 ? Lisez-le, il fait 26 pages :

http://www.senat.fr/rap/r13-580/r13-5801.pdf

Vous découvrirez que ce rapport est totalement différent de ce qui vous a été raconté : 292 millions ? Déjà, le tiers a été repris par la taxation des plus-values, et ce chiffre ne couvre que le tiers du préjudice réel.
1530 salariés ? En réalité, c’était 1850 salariés, essentiellement des femmes, âgées, de faible qualification universitaire et ultra spécialisées. Aucune n’a démissionné, toutes ont été licenciées par l’État, qui s’était engagé à accompagner leur reconversion jusqu’à réembauche dans un emploi pérenne. Résultat ? 70 % du personnel a purement et simplement disparu, l’État est incapable de savoir ce qu’elles sont devenues. À cet égard, le sénateur GELARD emploie ce terme : « carnage social  ».

Le timbre de 150 € ? À l’origine, il devait être de 330 €, il a finalement été fixé à 150 €, pour une perception jusqu’en 2018, puis 2020, puis 2023, puis 2026, un peu comme pour la CADES, qui devait prendre fin au 1er février 2009.

41 millions d’euros escomptés, une recette effective de 23 millions, soit une baisse de 44 % : cette estimation est corroborée par un chiffre en or massif que vous nous fournissez : il serait escompté annuellement 155 000 affaires. Or, en 2012, premier exercice d’ouverture de l’appel aux avocats, pendant lequel les avoués géraient encore les dossiers ouverts en 2011, les Cours d’appel ont jugé 234 302 dossiers. Faites le calcul : cela fait 79 302 dossiers en moins , ou une baisse d’un tiers. Concrètement, cela signifie que quelques 80 000 justiciables, chaque année, n’ont plus accès à la justice, et ce n’est évidemment pas l’augmentation à 225, voir 275 € (rapport LE BOUILLONNEC) qui va favoriser l’accès à la justice.

981 € au titre des émoluments des avoués ? Quasiment tous les état de frais étaient vérifié par le greffier en chef , et se trouvent donc aux archives des Cours, donc consultables. Vous constaterez donc que ce chiffre est faux.

Par contre, ce que l’on ne vous a pas dit, c’est que, là où un avoué instruisait de A à Z un dossier d’AJ pour 310 € , c’est terminé.
Ce que l’on ne vous a pas dit, c’est que, là où un avoué facturait de 1500 à 2000 €, un avocat facture 15 000 €.
Ce que l’on ne vous a pas dit, c’est que, quand un justiciable gagnait son procès, la prestation de son avoué, payé par son adversaire, était gratuite.
Ce que l’on ne vous a pas dit, c’est que la durée des procès est en train de passer de un an à deux ans.
Ce que l’on ne vous a pas dit, c’est qu’un nombre considérable de procès se termine par des sinistres professionnels : quand on est infirmier, on ne s’improvise pas neurochirurgien.

On est en train de découvrir qu’un État, c’est trois fonctions régaliennes : la diplomatie, la défense, la justice. C’est cette dernière fonction que l’ancien gouvernement a détruit. Un service public, ce n’est pas un commerce, on va le découvrir si un seul justiciable fait condamner l’État à Strasbourg ( Cour européenne des droits de l’homme ) .

Benoit DELTOMBE