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Rupture conventionnelle et accident du travail : encore un revirement de jurisprudence. Par Alina Paragyios et Pierre Befre, Avocats.
Parution : mercredi 29 octobre 2014
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L’article L 1226-7 alinéa 1 du Code du travail prévoit que :
«  Le contrat de travail du salarié victime d’un accident du travail, autre qu’un accident de trajet, ou d’une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l’arrêt de travail provoqué par l’accident ou la maladie ».
L’article L 1226-9 du Code du travail ajoute :
« Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie. »

Selon la circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009 relative à la rupture conventionnelle d’un contrat à durée indéterminée :
«  Dans certaines hypothèses, le législateur a estimé que le salarié était placé dans une situation dont la particularité interdisait à l’employeur et au salarié de déroger et de renoncer, par la voie de la rupture d’un commun accord, aux dispositions d’ordre public du Code du travail.
En ce qui concerne la conclusion d’une rupture conventionnelle pendant une suspension du contrat de travail, il convient de distinguer la nature de la suspension du contrat de travail.
Dans les cas de suspension ne bénéficiant d’aucune protection particulière (congé parental d’éducation congé, congé sabbatique, congé sans solde, etc….), aucune disposition n’interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle.
Dans les cas où la rupture du contrat de travail est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension du contrat (par exemple durant le congé de maternité en vertu de l’article L 1225-4, ou pendant l’arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L 1226-9, etc…), la rupture conventionnelle ne peut, en revanche , être signée pendant cette période.
 »

Le salarié bénéficie d’une protection spécifique, qui limite le droit de rupture du contrat de travail que ce soit par l’employeur ou d’un commun accord.
Les Cours d’appel partagent cette analyse et ont affirmé cette position dans plusieurs décisions.
 Ainsi selon la Cour d’appel d’Orléans, pour le salarié en arrêt de travail consécutif à un accident de travail, et jusqu’à ce que la visite de reprise ait eu lieu, « il n’y a pas de possibilité de faire une rupture conventionnelle » (CA Orléans, 1er octobre 2013, n°12/02133).

 Il en ait de même pour CA Aix-en-Provence, 17e chambre, 3 avril 2012, n°11/05043

 Même solution en cas de maladie professionnelle (CA Poitiers, 6 novembre 2013, n°12/00772)

 Il en est de même en cas d’arrêt de travail fondé sur une rechute d’accident du travail (CA Bordeaux, 11 décembre 2012, n°11/01/01258).

 Dans tous les cas, la convention signée est nulle et la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Et il est indifférent que la convention, signée pendant la période de suspension, n’ait été envoyée pour homologation qu’à l’issue de celle-ci, c’est-à-dire postérieurement à la visite de reprise : « cette rupture est nécessairement nulle  » (CA Rouen, 15 octobre 2013, n°13/00515). Cette nullité ne peut pas non plus être couverte par la circonstance que le salarié s’est fait assister d’un avocat lors de l’entretien et a accepté librement les termes de la convention, sans faire usage à aucun moment de son droit de rétraction (CA Paris, pole 6, chambre 8, 13 février 2014, n°13/05283).

Néanmoins, la Cour de cassation a jugé récemment qu’une rupture conventionnelle peut être conclue avec un salarié déclaré apte avec réserves au retour d’une absence pour accident du travail, dès lors que le consentement du salarié n’a pas été vicié et qu’aucune fraude de l’employeur n’est caractérisée (Cass. Soc., 28 mai 2014, n°12-28.082).

Le 30 septembre 2014 et contre toute attente, la Cour de cassation autorise désormais qu’une rupture conventionnelle puisse être conclue au cours de la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle (Cass. Soc., 30 septembre 2014, n°13-16.297), sauf fraude de l’employeur ou vice de consentement du salarié :

" Mais attendu que la cour d’appel a retenu à bon droit que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, non invoqués en l’espèce, une rupture conventionnelle peut être valablement conclue en application de l’article L1237-11 du Code du travail au cours de la période de suspension consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle. "

Cette décision change radicalement par rapport à la position adoptée en 2009 par l’administration du travail (Circ. n°2009-04, 17 mars 2009), et par rapport à la jurisprudence antérieure, ainsi dans un arrêt en date du 11 décembre 2012 (n°11-01258), la Cour d’appel de Bordeaux avait annulé la rupture conventionnelle conclue avec un salarié en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail.
Désormais, les hésitations ne sont plus permises : la suspension du contrat de travail en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne fait pas obstacle à la conclusion d’une rupture conventionnelle.
La Cour de cassation ne semble limiter l’impossibilité de conclure une rupture conventionnelle qu’au cas de la fraude et du vice du consentement.

Me Alina PARAGYIOS, Me Pierre BEFRE Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris http://www.cabinet-ap.fr
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