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La réforme de la communication des avocats. Par Arnaud Dimeglio, Avocat.
Parution : lundi 3 novembre 2014
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À la suite de la Directive Bolkestein du 12 décembre 2006, et de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 5 avril 2011, la France devait mettre en conformité avec le droit européen sa réglementation de la communication des avocats.

Cette réforme a été opérée par la loi Hamon du 17 mars 2014, et son décret d’application du 28 octobre dernier. Celle-ci est relative à la réglementation de la publicité des avocats, et l’interdiction du démarchage. Sa principale innovation réside dans l’autorisation, pour les avocats, de la sollicitation personnalisée.

I) La réglementation de la publicité

L’article 13 de la loi Hamon du 17 mars 2014 a modifié l’article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Selon cet article « Dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, l’avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée. »

L’autorisation de la publicité pour les avocats n’est pas nouvelle, celle-ci existe depuis la loi de 1971, et son décret de 1972.
Au fur et à mesure des réformes, la publicité s’est élargie, libéralisée.
Avant sa modification par la loi Hamon, l’article 15 du décret de 2005 prévoyait que « La publicité est permise à l’avocat si elle procure une information au public et si sa mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession.
La publicité inclut la diffusion d’informations sur la nature des prestations de services proposées, dès lors qu’elle est exclusive de toute forme de démarchage.
 »
L’article 4 de la directive « Bolkestein » du 12.12.2006 relative aux services dans le marché intérieur est venue ensuite définir la « communication commerciale », comme « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. (…) »

Son article 24, spécifique à la « Communications commerciales des professions réglementées » prévoit que « 1. Les États membres suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées.

2. Les États membres veillent à ce que les communications commerciales faites par les professions réglementées respectent les règles professionnelles, conformes au droit communautaire, qui visent notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession ainsi que le secret professionnel, en fonction de la spécificité de chaque profession. Les règles professionnelles en matière de communications commerciales doivent être non discriminatoires, justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnées. »
Cet article prévoit donc que les États disposent de la possibilité de continuer à encadrer la communication des professions réglementées, mais ne doivent pas leur interdire totalement de communiquer.
C’est sur ce fondement, que le 5 avril 2011, la CJUE a sanctionné l’interdiction du démarchage pour les experts comptables. La France prévoyant une telle interdiction pour les avocats, elle a donc été mise en demeure par la Commission européenne de réformer ses textes interdisant tout démarchage, et sollicitation personnalisée aux avocats.

En réformant ces deux derniers points, le décret d’application d’octobre 2014 a modifié au passage les dispositions de l’article 15 du décret de 2005 relatives à la publicité des avocats.
Le décret du 28 octobre 2014 modifie l’article 15 du décret de 2005 en prévoyant désormais que « La publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l’avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession. Elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant.
La publicité s’opère dans les conditions prévues par le décret du 25 août 1972 susvisé.
 »
Cette nouvelle rédaction de l’article 15 du décret n’apparaît pas très différente de la précédente version.
Elle rappelle simplement la nécessité de la sincérité de la publicité, laquelle existe déjà par l’interdiction de la publicité trompeuse.
Ce nouvel article rappelle également l’objet de la publicité : informer sur la nature des prestations.
On notera à ce sujet que le décret est resté assez frileux par rapport à la directive Bolkenstein, laquelle utilise le verbe « promouvoir » plutôt que celui d’« informer ».
Mais, comme nous le verrons plus loin, cette nuance ne devrait pas avoir d’incidence sur le plan juridique.

Par rapport à l’ancienne version de l’article 15, la condition de respecter les principes essentiels de la profession d’avocat demeure. Vient s’ajouter en revanche l’exclusion de toute publicité comparative ou dénigrante.
Le dénigrement est déjà sanctionné en tant que tel par la concurrence déloyale. Quant à l’exclusion de tout élément comparatif, il paraît en revanche plus discutable dans la mesure où la publicité comparative est autorisée.
L’article 15 renvoie enfin au décret de 1972 lequel définit le démarchage, et interdit la publicité faite par voie de tracts, affiches, films cinématographiques, émissions radiophoniques ou télévisées.

II) L’interdiction du démarchage

Définition

Le démarchage est défini par l’article 1 du décret du 25 août 1972 relatif au démarchage, et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d’actes juridiques.
Selon cet article : « Constitue un acte de démarchage au sens de l’article 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 le fait d’offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d’une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public ».
La jurisprudence interprète de façon extensive la notion de démarchage en considérant que celui-ci a pour objet non seulement la fourniture de consultation et la rédaction d’actes, mais aussi l’activité d’assistance et de représentation en justice (cf. par exemple l’arrêt de la Cour de cassation, du 30 septembre 2008, affaire « Classaction »).
La jurisprudence considère également que le démarchage ne se cantonne pas au déplacement physique de la personne, mais s’applique à toute offre effectuée à distance, notamment par voie téléphonique, de presse, de sites Internet, ou d’envoi de courrier électronique (cf par exemple l’ affaire « classaction » précitée, et l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2007).

Interdiction

L’article 66 – 4 alinéa 1 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit la sanction applicable au démarchage :
« Sera puni des peines prévues à l’article L. 121-23 du code de la consommation quiconque se sera livré au démarchage en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique. (…)  »
Avant la réforme de la loi Hamon du 17 mars 2014, l’article 66 – 4 prévoyait une peine de 4500 € d’amende et, en cas de récidive, une amende de 9000 €, et un emprisonnement de 6 mois.
Le nouvel article 66 – 4 de la loi du 31 décembre 1971 modifié par l’article 130 de la loi Hamon prévoit désormais, par renvoi à l’article L 121 – 23 du code de la consommation, une peine d’emprisonnement de 2 ans et une amende de 150 000 €.

Exception

Le nouvel article 66 – 4 de la loi du 31 décembre 1971 modifié par l’article 130 de la loi Hamon du 17 mars 2014 prévoit, pour les avocats, une exception à l’infraction de démarchage.
Selon l’article 66 – 4 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1971 : « Toutefois, le premier alinéa du présent article n’est pas applicable aux avocats qui, en toutes matières, restent soumis aux dispositions de l’article 3 bis. »
Le démarchage des avocats apparaît ainsi autorisé. Mais il convient que celui-ci soit conforme à l’article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 lequel autorise la sollicitation personnalisée.
Nous devons donc en déduire qu’à défaut de sollicitation personnalisée, le démarchage de l’avocat reste interdit.
D’où l’importance de savoir ce que constitue une sollicitation personnalisée.

III) L’autorisation de la sollicitation personnalisée

L’absence de définition de la sollicitation personnalisée

A la différence du démarchage, la sollicitation personnalisée des avocats n’est définie, ni par les anciens textes, ni par la loi Hamon du 17 mars 2014.
Jusqu’à la réforme de la loi Hamon, démarchage et sollicitation personnalisée étaient interdits. Les deux notions étaient donc appréhendées indistinctement. Comme nous l’avons vu précédemment, le démarchage s’entend de façon large par la jurisprudence, et inclut se faisant toute sollicitation personnalisée.
On constate d’ailleurs que la loi Hamon elle-même ne distingue pas entre les deux notions puisqu’elle renvoie entre elles par la combinaison des articles 3 bis et 66 – 4 modifié de la loi de 71.
Et pour cause : la directive Bolkestein ne distingue pas entre les différentes formes de "communication commerciale" : publicité, démarchage, sollicitation personnalisée etc....
Il appartiendra par conséquent à la jurisprudence de définir la sollicitation personnalisée, et de nous indiquer en quoi celle-ci se distingue du démarchage.

L’autorisation

Selon l’article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971 complété par l’article 13 de la loi Hamon du 17 mars 2014 :
« Dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, l’avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée.
Toute prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée fait l’objet d’une convention d’honoraires.
 »
Cet article pose le principe de l’autorisation de la sollicitation personnalisée par les avocats, laquelle était jusque là proscrite par l’article 15 du décret du 12 juillet 2005.
Le décret du 28 octobre 2014 a dû par conséquent modifier cet article 15, lequel prévoit désormais que : « La publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l’avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession. Elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant. (…)
La sollicitation personnalisée prend la forme d’un envoi postal ou d’un courrier électronique adressé au destinataire de l’offre de service, à l’exclusion de tout message textuel envoyé sur un terminal téléphonique mobile. Elle précise les modalités de détermination du coût de la prestation, laquelle fera l’objet d’une convention d’honoraires.
 »
La sollicitation personnalisée est donc autorisée mais réglementée.
Cette réglementation apparaît tant dans son contenu, que dans sa forme.
Dans son contenu, la sollicitation devra, comme la publicité, procurer une information sincère sur la nature des prestations des services proposés, respecter les principes essentiels de la profession, et exclure toute comparaison ou dénigrement.

A ces conditions s’ajoute, pour la sollicitation personnalisée, la nécessité de préciser les modalités de détermination du coût de la prestation, laquelle doit faire l’objet d’une convention d’honoraires.
Dans sa forme, celle-ci ne pourra notamment s’effectuer que par voie écrite. À ce sujet, le décret indique que la sollicitation devra prendre la forme d’un envoi postal, ou d’un courrier électronique.
La sollicitation par télécopie, et par site Internet, ou blog semble par conséquent interdite.
Ce qui paraît curieux quand l’on sait que ces modes de communication sont particulièrement prisés des avocats.
La question se pose de savoir si la sollicitation sur un forum de discussion, ou sur les réseaux sociaux comme Facebook sera autorisée. Ces modes de communication sont en effet à cheval sur le courrier électronique, et la communication publique.
L’usage des SMS apparaît, quant à lui, clairement interdit.
De même, par lecture a contrario de cet article, on en déduit que la sollicitation ne pourra pas être effectuée par voie orale, ou téléphonique.
Peut-on considérer que ces formes interdites de sollicitation expresse (sms) ou implicite (télécopie, site internet, communication orale, phoning) seront qualifiées de démarchage ?
Très vraisemblablement puisque la jurisprudence actuelle considère que le démarchage peut se faire sous ces diverses formes.
La distinction entre le démarchage et la sollicitation personnalisée apparaît donc plus comme une question de forme, que de fond, et suivant la forme de la communication utilisée, s’appliquera telle ou telle qualification.

Limites

Le courrier postal étant supplanté par le courrier électronique, il est à prévoir que la sollicitation personnalisée s’exercera principalement sous la forme d’envoi d’e-mails.
Or l’article L. 34 – 5 du Code des Postes et des communications électroniques prévoit que :
« Est interdite la prospection directe au moyen (...) de courriers électroniques utilisant les coordonnées d’une personne physique, abonné ou utilisateur, qui n’a pas exprimé préalablement son consentement à recevoir des prospections directes par ce moyen. »
Cet article prévoit l’interdiction de ce qu’en pratique on appelle le « spamming ».
Quid de la sollicitation personnalisée effectuée par voie électronique à des personnes qui n’ont pas préalablement exprimé leur consentement à recevoir ce type de prospection ?
Afin de vérifier si ce texte s’applique à la sollicitation personnalisée, encore faut-il que celle-ci puisse être qualifiée de prospection.
Selon l’article L 34 – 5 : « Constitue une prospection directe l’envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une personne vendant des biens ou fournissant des services.  »
La prospection directe est donc définie comme un message destiné à promouvoir notamment les services d’une personne.

On pourrait être tenté de considérer, que n’entre pas dans cette qualification, la sollicitation personnalisée laquelle est définie par l’article 15 du décret précité, comme un moyen d’information, et non de promotion.
Mais la Directive Bolkestein, à l’origine de cette réforme, définit dans son article 4 la communication commerciale comme « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les biens, les services ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée. »
La sollicitation personnalisée apparaît ainsi comme une forme de communication destinée à promouvoir les services de l’avocat.

Dans son arrêt du 5 avril 2011, la Cour de Justice de l’Union européenne a elle-même considéré que le démarchage était une forme de communication commerciale.
L’article 4 de la directive Bolkestein ne distinguant pas entre démarchage et sollicitation personnalisée, il est très vraisemblable qu’elle interpréterait cette dernière forme de communication comme une communication commerciale au sens de la directive.

La sollicitation personnalisée par courrier électronique pourrait ainsi constituer une forme de prospection directe, et en soi, être interdite par l’article L. 34 – 5 du Code des postes et des communications électroniques. Naturellement, seuls les tribunaux pourront trancher cette question. Mais à supposer qu’ils qualifient de "spamming" la sollicitation personnalisée des avocats, seules resteraient possibles pour ces derniers les sollicitations électroniques préalablement autorisées par leurs destinataires ou, en application de l’article L 34 – 5 alinéa 4, par les personnes déjà clientes.

En conclusion, la réforme de la communication des avocats semble avoir accouché d’une souris. Celle-ci, par manque de clarté et de cohérence, est source d’insécurité juridique pour les avocats. Un comble pour ceux dont le métier est de communiquer, pour défendre au mieux les intérêts de leurs clients, et assurer leur sécurité.

Arnaud DIMEGLIO, Avocat spécialisé en droit des nouvelles technologies, de l'informatique et de la communication. Docteur en droit, intervenant à l'Ecole de Formation des Avocats du Centre Sud (EFACS).
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