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Drones : ciel ! Les normes sont-elles efficaces ? Que fait la police ? Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : mardi 4 novembre 2014
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Le prévisible et hallucinant défilé aérien des drones au-dessus des centrales nucléaires françaises constitue surtout un scandale de sécurité publique. A plusieurs titres. Celui-ci ne sera pas résolu par un mouvement d’ouverture erratique du robinet à normes juridiques, du type « action / réaction », avatar du « toujours plus », sans efficacité.

Car la réglementation aérienne installée est déjà abondante. Il s’agit donc d’une pure question de mise en œuvre et de police du ciel et de meilleure relation entre les normes et le niveau de risque des pratiques aériennes. La tentation du durcissement et de la complexification des normes, celle de l’assouplissement sans considération pour les risques à prévenir, devraient plutôt céder la place à une police aérienne enfin efficace et adaptée à tous les aéronefs. Cette juste réponse est nécessaire au développement économique de l’activité aérienne de télépilotage, pleine de promesses. Elle convient également à un paisible pilotage de loisirs.

Ces aspects essentiels ne doivent pas être sacrifiés sous la pression d’infractions que rien, dans notre Droit, n’empêche aujourd’hui de sanctionner – sauf le manque éventuels de moyens disposés à cet effet.

Le survol réitéré de zones prohibées, aussi sensibles que le sont des centrales nucléaires, par de mystérieux drones, agite tout naturellement l’opinion, tout en assurant à cette activité une publicité qu’elle n’a pas recherchée. Il jette avant tout un défi inédit aux instruments de protection aérienne, dont la puissance se révèle ici inutile, face à la malice des petits bourdons.

Il est loisible d’imaginer que le mystère ne le demeurera pas. Parions sans grand risque que les responsables de ces actes ne resteront guère longtemps anonymes.

Que restera-t-il alors de cet événement ? Un choc considérable, dont la dimension juridique n’est pas la moindre.

Durant quelques jours, la puissance publique, déjà si souvent malmenée, se voit, de surcroît, défiée ; elle flotte dans l’impuissance, devant les yeux de tous les citoyens dont elle a vocation à assurer la protection. Comme à l’accoutumée, les mots creux sonnent en répliques, en rafales pathétiques, peinant à dissimuler l’erreur des pouvoirs publics. Car l’imprévision est ici encore plus flagrante que l’incapacité immédiate à réagir. Il est toujours consternant de contempler l’imprévision.

Celle-ci est d’autant plus accablante qu’elle était évitable. Les drones se développent depuis tant d’années ; les « alertes » ont été nombreuses. Dire que ce qui arrive était évitable n’est pas d’une grande audace, même après coup.

Comment la puissance publique a-t-elle pu se laisser ainsi surprendre ?

Si même des centrales sont exposées, alors c’est tout l’espace aérien, donc, tout l’espace dans lequel nous habitons et nous vivons, qui est menacé.

Telle est la réalité, abrupte.

Aujourd’hui, les drones se posent jusqu’aux pieds d’un Chef d’Etat ; hument sans faiblir les vapeurs des centrales nucléaires ; jettent la discorde dans un stade de foot, survolant, au passage, des milliers de personnes emparquées et sans mouvement. Et nous n’avons sans doute rien vu.

Dans le même temps, de très nombreux professionnels développent, généralement avec sérieux et en toute discrétion, une activité économique prometteuse et sécurisée : celle des aéronefs civils télépilotés. Dans le même temps, la réglementation aérienne est déjà produite et ouvertes aux évolutions. Il serait dramatique que de mauvaises conclusions soient tirées des incidents évoqués.

En premier lieu, cette actualité nucléaire offre un merveilleux exemple de méthode normative : quelles priorités voulons-nous prévenir ou sanctionner, au cas d’espèce ? Les normes définies sont-elles en adéquation avec ces priorités ? Bref, disposons-nous d’un cadre normatif efficace ?

Sous un second angle, il n’est que temps de faire respecter ces normes, rectifiées ou conservées, sous le triple enjeu de sécurité publique, de protection de vie privée, de sécurité aérienne. En avons-nous les moyens ?

Sur les deux plans, le dispositif juridique montre toutes ses faiblesses. Et éclaire la situation que nous rencontrons.

Au-delà des psychodrames ponctuels, rendre efficace les normes d’aviation civile et rendre effectif le cadre juridique du drone est un impératif pour son développement.

Car ses promesses économiques sont fortes.

I. Un cadre juridique précurseur et solidement établi. Mais est-il efficace ?

La définition juridique (française) d’un aéronef englobe « tout appareil capable de s’élever et de circuler dans les airs » [1]. Elle s’applique ainsi, sans ambiguïté, au drone, puisqu’elle est indépendante de son mode de pilotage. L’organisation internationale de l’aviation (OACI) préfère une autre définition, qui s’applique également au drone.

Les drones sont donc totalement intégrés dans la Réglementation aérienne, principalement portée par le Code de l’aviation civile. En outre, ils bénéficient de précisions réglementaires apportées par les deux arrêtés de 2012 [2], remodelant l’arrêté précédent, de 2007.

Les règles de l’aviation civile reposent sur trois principes établis en 1944 [3] : principe d’un certificat de navigabilité pour l’appareil, principe d’attestations de compétences professionnelles, pour les pilotes, et principe de respect des « règles de l’air », notamment, aux moyens d’équipements spécifiques.

Les deux arrêtés consacrés aux drones sont plutôt complets. L’un porte sur la conception des appareils ; l’autre, sur leur utilisation dans l’espace aérien.

Ce cadre réglementaire précoce a produit un effet très positif sur le marché. Comme souvent, une première couche réglementaire a déposé la clarté et la confiance dont les opérations économiques, les producteurs, les vendeurs et leurs clients, ont tous besoin de partager.

Son principe discriminant fondamental repose sur la distinction entre le drone exploité dans un but économique (souvent, professionnel) et le drone de loisir, descendant contemporain de l’aéromodèle d’antan. Au premier drone, toutes les dispositions de l’aviation civile et des précisions particulières ; au « drone aéromodèle », un régime dérogatoire conduisant à une réglementation dense, mais souvent ignorée.

Fondamentalement, ce sont les catégories d’utilisation qui déterminent les appareils utilisables. Elles sont au nombre de quatre.

Deux utilisations supposent l’appareil à portée de vue du pilote (S1 et S3). Dans les deux autres, le drone est hors de vue de son télépilote (S2 et S4), qui agit via des instruments relayant sa vue. Les scenarii d’utilisation sont donc au nombre de quatre (de S1 à S4) : l’altitude d’évolution ne peut, en aucun cas, excéder 150 mètres.

Le point crucial est donc l’éloignement entre le pilote et son appareil : il peut être faible (cent mètres), en vue directe, ou élevé (1 kilomètre, pour S2 et sans limitation, pour S4), donc, hors de la vue directe du pilote. Puisque, désormais, la vision du télépilote peut être toujours assurée, au moyen de caméras, alors le rayon d’action de l’engin n’est plus limité que par l’autonomie énergétique et mécanique de l’aéronef.

Pour définir les drones envisageables pour chaque scenario, et pour préciser le régime du drone professionnel, la réglementation associe principalement une classification des appareils et une classification de leurs utilisations (les scenarii cités). Accessoirement, elle envisage la nature d’appareil (avion, hélicoptère, ballon captif et ballon-sonde).

Il existe ainsi sept catégories (de A à G) d’appareils : A et B correspondent à des usages de loisirs (aéromodèles) ; C, D et E, aux emplois civils professionnels. F et G sont affectés à des scenarii dits « spécifiques » (par nature, les usages militaires ne sont pas pris par cette Réglementation).

Les critères sensibles retenus pour bâtir ce régime juridique s’articulent autour de caractéristique technique (le poids : soit 2, soit 25 soit 150 kilos sont les seuils choisis) et d’une fonctionnalité (la prise de vue). En particulier, les aéromodèles sont segmentés d’après le seuil de 25 kg. Cette approche est certainement datée, dépassée. Il ne serait pas plus surprenant que les engins pirates survolant les centrales soient de poids inférieurs à 25 kg, voire, soient des aéromodèles. Quels impacts doit en retirer la pensée normative de ce champ d’activité ?

Dans l’optique initiale des textes, la protection de la vie privée était perçue comme le dommage surplombant tous les autres risques, susceptible d’être occasionné par un drone ; cette rémanence est forte, comme en témoigne, encore tout récemment, la question parlementaire au gouvernement, n°49892, répondue le 20 mai 2014.

Aucun parlementaire n’a interrogé le gouvernement sur la protection des zones interdites de survol.

C’est pourquoi les instruments de prise de vues (caméra, appareils photos, mais aussi, capteur sonore, géolocalisateur) apparaissent autant pointés dans la réglementation [4]. Tout aéromodèle prenant des photos entre dans les activités particulières, au sens de la réglementation. Il nécessite une autorisation préalable [5], ainsi que le respect du droit positif en matière de données personnelles, dont personne ne voit même comment il peut être appliqué.

En réalité, ce qui est déterminant, ce n’est pas tant la capacité du drone à capter des scènes, qu’à permettre le pilotage à distance, quasiment sans limite. Ce changement est fondamental. Lorsqu’il y a trente années, mon ami Stéphane abîmait avec l’enthousiasme de ses jeunes années des avions de modélisme qu’il passait des mois à reconstruire, même un vol réussi n’aurait pu éloigner son appareil de l’aire de décollages et d’atterrissages (en fait plus souvent : de crash).

Le télépilotage ouvre au drone moderne l’ère de la navigation aérienne.

De surcroît, les possibilités techniques des drones se sont accrues : ceux qui suppriment, par exemple, pour le pilote la contrainte du pilotage inversé, lui procure ainsi la possibilité de piloter identiquement la machine, quelle que soit sa direction de circulation. D’autres dispositifs astucieux offrent aux drones une sécurité de pilotage très élevée et l’on ignore, bien souvent, l’inventivité des concepteurs français sur ce plan.

Il n’est pas exclu d’imaginer un jour des drones évoluant en vol aux instruments, dans des conditions météorologiques ne permettant pas le vol à vue, comme le font les drones militaires et leurs pilotes de combat.

L’ensemble réglementaire actuel repose sur la nécessité d’autorisations, délivrées par l’administration en charge de l’espace aérien, la DGAC. Machines, pilotes, procédures, entreprises, vols eux-mêmes, sont soumis à des procédures déclaratives, qui sont autant de possibilités de contrôles.

Dans le cas des scenarii de vol hors vue (S2 et surtout S4), l’exploitant doit prendre des dispositions pour prévenir les dommages que le Drone pourrait causer à des tiers. Ces informations sont réunies dans le manuel d’activités particulières (MAP).

Pour autant, un projet d’évolution réglementaire est à l’étude, pour fin 2014. Il aurait pour but d’assouplir les conditions d’utilisation des aéromodèles. Est-ce bien approprié ?
En réponse, l’omniprésence des réseaux sociaux et des dérives qu’ils peuvent entraîner laisse sceptique. Il n’est pas avéré, en l’état, que la nécessité d’une autorisation préalable à la prise de vues aériennes soit subordonnée à l’usage privé ou non, de ces clichés [6].

De leur côté, les Institutions européennes concoctent une directive, dont la procédure législative pourrait débuter en 2016 (pour les drones supérieurs à 150 kilogrammes). Bien tardivement, donc. Et toujours avec cette obsession du poids qui n’est, sans doute, plus en rapport avec les risques embarqués par les engins.

En Allemagne, une entreprise a testé la livraison d’objets au moyen d’un drone (décembre 2013). Aux Etats-Unis, l’Autorité de contrôle aérien (la FAA) envisage d’ouvrir le ciel aux drones commerciaux (octobre 2015). Le premier d’entre eux vient d’être autorisé (juin 2014), au profit d’une compagnie pétrolière située en Alaska. Une expérimentation est en cours d’une six régions. Lorsqu’une grande société de « produits culturels » a lancé l’idée de livraisons par air, beaucoup riaient ; est-ce pourtant irréaliste ? Sans doute que non.

Pour leur part, les professionnels français du drones ont montré une grande compréhension de la nécessité d’intégrer la réglementation aérienne à leurs activités. Les enjeux économiques qu’ils portent doivent conduire à écarter la tentation du durcissement des normes, comme elle pourrait poindre après les événements relatés en introduction. Responsables, les professionnels des drones s’avancent vers une forme de profession réglementée. Ceci est source de sécurité.

Les risques suscités par l’activité aérienne devraient être les critères retenus pour les normes ; et les normes devraient être davantage étudiées par tous les pilotes, quels que soient leurs aéronefs. Il y aurait, de la sorte, un lien beaucoup plus direct entre risques, normes et formation théorique (juridique).

II. Que peut faire la police ? Beaucoup, si elle dispose des moyens adéquats.

Il n’existe pas de différence juridique entre un aéronef habité par son équipage et un autre, dont l’équipage et le pilote sont distants. Les deux sont pilotés. Il n’existe pas de différence fondamentale entre les risques potentiels d’un drone de loisirs et ceux d’un drone professionnel, à la différence près de l’intensité de leur exploitation. Le contentieux devrait donc être identique : administratif, pénal, en responsabilité civile [7]. Aux modalités près de sa mise en jeu, laquelle peut s’adapter aux circonstances et aux matériels présents.

L’événement du survol massif et concerté des centrales ne pose donc pas de lourde question juridique, mais, d’abord, d’application de la loi. Avant de crier au vide juridique, posons-nous les questions.

Quels sont les moyens de la surveillance aérienne ? Les autorités ont-elles adaptés ces moyens aux évolutions des pratiques aériennes ? Les administrations en charge de cette police particulière ont-elles reçu ces moyens nécessaires ?

Rappelons les sanctions dont elles disposent.

Tout, d’abord, un large arsenal de sanctions administratives.

Constatant que les drones sont des aéronefs, ils ne sont pas pour autant en conformité avec la réglementation, notamment celle codifiée dans le code de l’aviation civile. Par exemple, tous les aéronefs doivent être immatriculés sur le registre français [8] : c’est certainement loin d’être le cas (accessoirement, tous les aéronefs doivent porter des marques de nationalité française ; ceci est encore moins respecté).

La violation des espaces aériens protégés, tels ceux prévus pour des installations nucléaires, appelle des sanctions administratives (avertissement, suspension ou annulation des licences –lorsqu’il y en a). Il est douteux qu’elles soient adaptées à un franchissement intentionnel. Le droit pénal s’en charge [9].

Du côté de la formation des pilotes, la formation théorique pourrait utilement être étendue à l’ensemble des pilotes, sans exception. Elle pourrait comporter une partie juridique mieux identifiée, avec un programme précis des connaissances à acquérir. La réglementation aérienne ne se devine pas.

Car il est urgent que les particuliers prennent conscience du cadre juridique de la circulation aérienne et qu’ils soient mieux formés avant la pratique du drone de loisirs. Les formations devraient s’étoffer, y compris dans leur volet juridique. Qu’elle passe par l’un des brevets de pilote, ou par un possible futur « brevet de pilote de drone », désormais, la partie juridique de la formation théorique doit être plus présente.

Le drone de loisir ressuscite le plaisir du pilotage privé. La miniaturisation des aéronefs minimise l’accaparement de l’espace aérien, comme des infrastructures aéroportuaires, perçu naguère comme raison principale justifiant l’étouffement de l’aviation de loisir.

Mais tout pilote reste un pilote : il doit se former. Y compris pour les télépilotes privés.

Le volet juridique de cette formation théorique aura déjà à faire avec les dispositions en vigueur.

Elles peuvent, au demeurant, évoluer.

Nous l’avons signalé, le critère devenu central du risque aérien est la possibilité de pilotage à distance (ou non) de l’appareil. Aussi, le temps est sans doute venu d’établir, pour tous les pilotes et tous les appareils, y compris ceux inférieurs à 25 kg, l’application commune des règles aériennes. Et de réserver finalement un seul régime dérogatoire aux engins pilotés à vue, en dessous de 150 mètres et sans dispositif de vision à distance.

Le critère de poids est insuffisant : un document publié par la gendarmerie relève, non sans finesse, que la plupart des avions sont certifiés aux chocs contre des objets pesant, au maximum, deux kilos. Nombre de drones en pèsent plus de dix [10]. Même si leurs altitudes s’entrecroisent rarement, est-ce raisonnable ?

Le critère d’altitude, probablement, est dépassé : les drones professionnels, et peut-être civils, monteront bientôt vers les hauteurs où croisent déjà les engins habités par leurs équipages.

Il faut peut-être admettre que l’effort de communication et d’information a fait son temps. Il convient de passer à un dispositif adapté à un monde aérien où appareils pilotés et télépilotés, civils et militaires, doivent coexister, dans toutes les variations de masse et de niveaux de vol.

En complément, des sanctions pénales sont déjà applicables aux pilotes de drones. Elles peuvent être sévères.

Le Code pénal a été directement sollicité pour déterminer ces toutes premières sanctions, avec l’incrimination de « mise en danger de la vie d’autrui » posée par son article 223-1. Ses conditions d’application sont restrictives et la peine, encore indulgente [11].

L’article 226-1 du même Code, protégeant la vie privée pourrait s’avérer, de même, d’un utile secours en cas de captage prohibé de vues ou de paroles.

Pour autant, les dispositions pénales sont envisagées par le Code de l’aviation civile [12], dans une série de cas clairement définis, tels que la tenue du carnet de vol du pilote, mais également, en cas de vol « comportant des évolutions périlleuses et inutiles pour la bonne marche de l’appareil, au-dessus d’une agglomération  » [13], de prises de vues non autorisées administrativement [14], par exemples.

Ces infractions sont sanctionnées par les peines de l’article 131-13 5° du Code pénal : contraventions de 5e classe, pouvant évoluer en délit en cas de récidive.

Des dispositions s’appliquent au survol intentionnel d’une zone interdite P, ou d’une zone interdite temporaire (ZIT, la situation des centrales), toutes deux interdites en permanence de survol. L’espace aérien est divisé en portions [15], parmi lesquelles figurent ces zones réglementées (en rouge, sur les cartes aéronautiques). L’aéronef qui s’aperçoit de l’erreur est tenu d’atterrir sur l’aérodrome le plus proche.

Les procès-verbaux constatant les infractions au Code de l’aviation civile sont transmis au Procureur de la République [16], pour « survol volontaire par le pilote d’un aéronef d’une zone interdite ». Les sanctions s’étagent de 15.000 à 45.000 euros d’amende, et de six mois à une année de prison [17].

La présence ou l’utilisation d’appareils photographiques au-dessus des zones interdites sont sanctionnés de 75.000 euros et d’une année d’emprisonnement [18].

Le Code des transports contient donc des dispositions pénales applicables aux pilotes de drones [19] : infractions aux disposition relatives au certificat de navigabilité ou aux conditions de navigabilité elles-mêmes [20].

Encore faut-il mettre la main sur les délinquants.

Outre les sanctions administratives et pénales (en l’absence de préjudice personnel, certain et direct déclenchant un cas de responsabilité civile), les règles d’interception en vol s’appliquent. Elles précédent et permettent les sanctions au sens strict, mais peuvent aller, d’un point de vue théorique, jusqu’à des mesures extrêmes et urgentes contre le pilote animé d’intentions manifestement destructrices.

Les règles d’interception aérienne sont prévues pour faire face, par des moyens militaires (avions de combat), aux anomalies et aux infractions aériennes, voire, aux menaces avancées. Le Code de l’aviation civile enjoint aux pilotes d’aéronefs de s’y soumettre [21], faute de tomber également dans les peines prévues à l’article 131-13 du Code pénal. L’annexe I du Code de l’aviation civile décrit les procédures d’interception, telles qu’elles sont enseignées aux pilotes civils [22]. Des survols de zones interdites sont ainsi interrompus (1er août 2014, centrales de Marcoule et de Tricastin).

Les bases juridiques des solutions radicales d’interception sont absentes du Code : quelles sont les conditions juridiques d’ouverture éventuelle du feu par un aéronef militaire, contre un autre aéronef ? En ces temps où la lutte contre le terrorisme n’est plus une hypothèse, mais doit devenir une pratique solide, il ne serait sans doute pas inutile que ces conditions soient mieux connues, même si le cas de figure, fort heureusement, est rarissime [23].
En tout état de cause, la question reste théorique : « Mirage » et « Rafale » semblent bien impuissants face aux Drones… et la proximité d’une centrale atomique n’incite guère aux démonstrations de combat aérien.

Nous ne pouvons donc que nous tourner du côté des moyens de détection aérienne. La France n’en manque pas. L’Union européenne, non plus. Satellites, radars de défense aérienne, radars embarqués, y compris dans des avions spécialement destinés à la surveillance aérienne, s’agitent pour assurer notre sécurité.

Dès lors, leur incapacité manifeste à repérer les mini aéronefs laisse sans voix. Les informations disponibles [24] affichent environ quarante-cinq radars maillant le territoire pour assurer une surveillance « 7j/7 et 24h/24 ». Seulement, ceux-ci datent des années 1980. Et dans ce domaine, il se trouve que le « vintage » ne paie pas.

Pourtant, veillant sans nul doute attentivement à la programmation militaire 2009-2014, la loi n°2009-928 du 29 juillet 2009 prévoyait de « renforcer les capacités de défense des espaces aériens nationaux » [25], la « protection de la population  » étant « au cœur de la stratégie de la France ».

Sans nul doute, les prochaines auditions parlementaires du Chef d’Etat-Major de l’Armée de l’air seront, sur ce point, aussi instructives que les précédentes, notamment, celle du 14 octobre 2014. Comme ses devanciers, celui-ci n’aura cessé d’alerter face à la grande lenteur de modernisation de ces moyens.

Au final, ces sanctions apparaissent aussi disparates que dispersées. La cohérence est faible entre le dispositif réglementaire et son régime de sanctions. Un travail de clarification et de stratégie de répression serait sans doute utile, au premier chef, aux utilisateurs des drones. Et les moyens de capture semblent bien désarmés.

Justement, le rapport conjoint de l’Assemblée Nationale et du Sénat sur « les perspectives de l’aviation civile à l’horizon 2040 » [26].

Ce rapport confesse que le nombre de drones en France n’est pas connu, ce qui valide le manque de rigueur dans leur suivi et éclaire les constats de novembre 2014.
Comment suivre correctement l’activité de ce qui n’est même pas dénombré ?
Il relève que les Etats-Unis envisagent 30.000 drones civils, en 2025. Pourtant, les drones ne trouvent pas de place dans ses conclusions finales.

500 drones professionnels seraient déjà en opération, en France. Leurs capacités vont s’étendre, en rayon d’action, en vitesse, en nécessité d’altitude, donc, de consommation d’espace aérien.

Plusieurs milliers de drones de loisirs seraient en circulation. Simultanément, sans doute, plusieurs centaines d’avions embarquant leurs pilotes, et leurs passagers, seront en vol en France, au même moment. Ces activités ne cessent de croître et de s’entremêler. Elles appellent des nécessités de régulation, de stimulation économique et de sécurité publique.

Non seulement le drone civil professionnel doit voir son développement encouragé, mais il y a urgence à clarifier son statut dans l’espace aérien, en regard des voisins qu’il y côtoie.

CONCLUSION

Un peu de prophylaxie juridique s’impose : les textes permettent de prévenir les risques liés aux développements professionnels et individuels des drones civils. Ils peuvent évoluer pour mieux tenir compte des risques, mais également des potentiels de l’activité. Les infractions et les sanctions pénales sont applicables.

Les professionnels du télépilotage d’aéronefs se sont mis en ordre de marche pour intégrer la réglementation à leurs activités. Les « dronistes » de loisirs entendent pouvoir pratiquer leurs activités, pour lesquelles une formation juridique minimale pourrait s’avérer incontournable.

La différence entre drones de loisirs et drones professionnels n’a sans doute plus autant d’acuité qu’auparavant, compte tenu de la révolution introduite par les dispositifs de pilotage à distance, amenés à prospérer. La manière de conduire cette évolution réglementaire pourrait constituer un exemple d’efficacité normative, sans doute plus percutant que des velléités de simplification, venant par définition après coup –lorsqu’elles viennent. Ce pourrait être alors un modèle de pilotage réglementaire, pour d’autres champs d’activité.

Pour que ceux qui appliquent les normes, modifiées ou non, puissent en retirer le meilleur bénéfice, et la société avec eux, il est indispensable que la France se dote d’une surveillance aérienne adaptée aux enjeux contemporains. L’aviation civile des pilotes, embarqués ou non, a besoin d’une police du ciel fiable.

Les incidents de survol de zones Interdites reflètent autant d’entorses graves aux règles aériennes, certes. Définitivement, ils nous montrent que la protection de la vie privée est bien loin d’être le sujet juridique central apporté par cette forme d’activité aérienne.

L’atteinte à la sécurité publique à laquelle nous assistons est, en réalité, monumentale !
Ses conséquences ne sont modérées que par l’inaction, relative, des fautifs : aucun acte dommageable n’est, grâce au ciel, engagé. Coup de bol : aucun accident non plus… Deux chances simultanées.

En ce sens, il se pourrait bien que nous devions, finalement, des grands enseignements à ces pirates de ces Drones… Leur bêtise aura fait sortir des sables une autre bien plus grande encore : l’imprévision chronique de la puissance publique sur un sujet de sécurité et de liberté publiques de grande taille.

C’est en toute liberté et sérénité qu’il faut désormais s’attacher à tirer des enseignements forts de ce qui vient de se passer.

Laurent Denis Juriste

[1Code de l’aviation civile, Annexe et anc. art. L. 110-1 de ce Code, abrogé en 2010

[2NOR : DEVA1206042A et DEVA1207595A

[3Convention de Chicago, transposée par le décret 47-974 du 31 mai 1947

[4art. D. 133-10 du Code de l’aviation civile

[5art. D. 133-10 du Code de l’aviation civile

[6cf art. D. 133-10, précité

[7notamment, de transport, le cas échéant : article L. 61613-2 du Code des transports

[8art. L.122-1 de ce Code

[9cf infra

[10Note du CR de l’Ecole des Officiers de Gendarmerie, avril 2014

[11TGI de Nancy, 20 mai 2014, 400 euros d’amende

[12article R. 151-1

[13article R. 131-2 de ce même Code

[14art. R.151-1 6° et D. 133-10

[15art. D. 131-1-3 du Code de l’aviation civile et art. L. 6211-4 du Code des transports

[16art. L. 150-16 de ce Code

[17art. L. 6232-2 du Code des transports ; cf T.Corr. de Bourg-en-Bresse, 27 mars 2013 : six mois d’emprisonnement avec sursis

[18articles L. 6234-4 et L. 6232-8 du Code des transports

[19art. L. 6232-4 de ce Code

[20jusqu’à une année d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende

[21art. R. 133-9 et D. 131-1 de ce Code

[22appendice 1, 2. Signaux et appendice 2, 3.8 Interception

[23voir le vol 870 d’Itavia, du 27 juin 1980, par exemple

[24site du Système de Commandement et de Conduite des Opérations Aérospatiales

[25Annexe, § 2.4.2 et §.2.4.2. « Sûreté aérienne »

[26Rapport 658, du 12 juin 2013) prend fort justement la mesure des nouveaux besoins. Il recense (mai 2013) 127 opérateurs en France (sans doute plutôt 600, d’après l’une des Fédérations professionnelles du Drone