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« Le contract management est un nouveau paradigme pour la Direction Juridique ».
Parution : mardi 20 janvier 2015
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Depuis de nombreuses années, le contract management est en plein essor. Rémy Rougeron, Directeur Juridique chez Thales, a accepté de répondre à nos questions afin que nous puissions mieux comprendre cette pratique.

Dans quels sens la conception et le rôle du contrat ont-ils évolué ?

Le monde des affaires a basculé irrémédiablement dans la pratique anglo-saxonne, qui pousse à tout écrire et à tout négocier avec opiniâtreté. Le contrat est ainsi devenu la traduction d’un rapport de force entre les parties. Mais, malgré tout le professionnalisme des équipes, le contrat demeure un outil imparfait. Il est donc évident que le risque contractuel doit être compris comme une réalité permanente, et l’évolution des affaires ne va certainement pas inverser cette tendance.

Quelles sont ces évolutions et comment impactent-elles le contrat ?

Parmi ces évolutions on peut relever :
- une concurrence croissante sur les marchés, où les critères de compétitivité ne s’appuient plus seulement sur les aspects techniques et financiers de l’offre, mais aussi sur les conditions contractuelles selon lesquelles le vendeur est prêt à contracter.
- le recentrage des entreprises sur leur core business, ainsi que la limitation de l’intégration verticale des activités, multiplient les intervenants – partenaires, sous-traitants, fournisseurs –, ce qui est de nature à complexifier le schéma contractuel.
- tous les acteurs sont de plus en plus aguerris à la matière contractuelle ; ils négocient plus âprement les engagements et n’hésitent plus à demander application du contrat pour faire reconnaître leurs droits lors de la phase d’exécution .
- la multiplication des acteurs crée une chaîne contractuelle où l’exécution des différents engagements est interdépendante. La survenance du risque se propage donc et s’amplifie tout au long de cette chaîne, comme par effet domino.

Dans notre activité, nous constatons tous les jours les conséquences de cette évolution : durcissement du rapport de force, affaiblissement du niveau de marge brut et multiplication des différends. Dans ce contexte, et cela est vrai pour toutes les sociétés, le maintien du niveau de marge des projets est devenu un exercice très difficile.

En quoi le contract management est-il une réponse à cette situation ?

Si le risque est une constante du contrat, tout doit être mis en œuvre pour le maîtriser. C’est une attente de la direction générale, des actionnaires, des marchés financiers mais aussi des clients. C’est pourquoi il devient nécessaire de mettre en place une organisation composée d’experts positionnés au cœur des affaires, qui se consacrent à la préparation, à la rédaction, à la négociation et au suivi du contrat jusqu’à son terme.

Vous êtes le président de l’Association Française du Contract Management. Pouvez-vous nous parler de cette initiative ?

L’AFCM a été officiellement créée en février 2014. Sa création résulte de l’initiative de quatre grandes entreprises particulièrement soucieuses de la promotion et du développement du contract management – Areva, DCNS, GDF Suez et Thales. L’AFCM va s’attacher, avec l’appui de ces adhérents, à promouvoir le contract management et à aider à sa professionnalisation. Elle proposera notamment des sessions de formation, des conférences et séminaires, de la documentation, des échanges d’expérience, la création de réseaux... Il est très satisfaisant de constater le nombre de contract managers et de sociétés qui ont très rapidement marqué un intérêt pour rejoindre l’association.

Comment Thalès a mis en place son organisation en contract management ?

Par le passé, le contract management était séparé de la Direction Juridique. La Direction Juridique intervenait principalement lors de la préparation des offres pour prendre en charge la rédaction et la négociation des contrats. Le contract management intervenait, lui, après la signature.
Bien qu’intervenant toutes les deux sur la matière contractuelle, les fonctions collaboraient peu, s’observaient beaucoup, et n’hésitaient pas à critiquer le travail de l’autre lorsque l’une d’entre elles avait l’audace de « braconner » sur le terrain d’intervention de l’autre. Cette organisation générait donc beaucoup de coûts et peu de valeur ajoutée.
Autre point très important, le contract management est né chez Thales de manière spontanée, à l’initiative de chefs de projet. Lorsqu’ils souhaitaient s’associer les compétences d’une personne susceptible de les assister dans la gestion du projet, ils recrutaient librement, sans qu’une attention particulière soit portée au profil recherché et à la mission proposée. Une meilleure gestion de cette famille professionnelle était donc devenue une priorité.
La Direction Générale a alors décidé d’intégrer les deux fonctions au sein d’une même direction : la Direction Juridique et des Contrats. Cette tendance est logique tant le droit est indissociable des problématiques contractuelles. L’objectif est d’offrir, en combinant les expertises, une plus grande valeur ajoutée tout au long de la vie du contrat.
Notre première tâche a consisté à recenser les effectifs. Au niveau mondial, nous avons identifié une population hétérogène d’environ 450 contract managers ; il y avait des profils et des compétences variés. Nous travaillons maintenant à la définition de formations au profit des contract managers mais aussi des juristes, afin de faciliter l’interaction entre ces deux expertises. Un travail plus particulier est fait au sein des entités opérationnelles françaises, car les contrats y sont les plus nombreux et les plus complexes. Nous avons ainsi décidé d’intégrer complètement les deux métiers au sein d’organisations homogènes où la séparation par fonction a disparu. Pour cette organisation, les deux populations se sont rapprochées. Elles se forment l’une l’autre sur leur domaine respectif. Cela va donner naissance, à terme, à un profil unique d’expert du contrat, qui soit capable de fournir l’ensemble du service avec la plus-value attendue.

Quel impact cela a-t-il eu sur la place de la Direction Juridique dans l’entreprise ?

En premier lieu, il y a eu un effet quantitatif, puisque la Direction Juridique et des Contrats compte aujourd’hui environ 700 personnes sur une trentaine de pays, contre 250 auparavant. Elle a donc significativement augmenté le nombre de ses représentants.
Mais bien plus important est le positionnement unique dans l’entreprise qu’offre cette combinaison de l’expertise juridique et du contract management. Nous avons dorénavant un rôle élargi et une dimension opérationnelle. La Direction Générale compte sur nous pour sécuriser le schéma contractuel, et aussi pour participer à la stabilisation – et dans le meilleur des cas, l’amélioration – du niveau de marge à terminaison.
A mon sens, en étant présent sur tous les contrats, à toutes les étapes de la vie du contrat, nous sommes la seule direction qui possède une vision aussi globale et précise des affaires. Ce positionnement, cette nouvelle dimension opérationnelle nous donne bien évidement des responsabilités accrues. C’est un challenge passionnant, très motivant pour les équipes. Nous, juristes et contract managers, sommes entrés dans une nouvelle ère.

Quelles formations existent actuellement pour cette profession ?

Hormis l’Ecole Européenne de Contract Management, créée récemment, les propositions de formation sont pour ainsi dire inexistantes. Les fondateurs de l’AFCM ont fait le choix de se tourner vers l’université Paris II Assas pour demander que leur soit proposée une formation sur mesure. Il faut souligner ici la remarquable collaboration menée avec cette université. Nous avons trouvé en la personne du Président Leyte et du professeur Molfessis des interlocuteurs très attentifs au monde de l’entreprise et à ses besoins. Nous avons ainsi été capables d’élaborer ensemble un cycle de formation universitaire (DU) en Contract Management qui est unique en France. Ce programme diplômant de 90 heures sera proposé dès la prochaine rentrée universitaire aux juristes, aux contract managers des sociétés membres de l’association mais aussi aux étudiants de Paris II. Ce DU est une formation très importante pour nos entreprises.
En outre, un Master 2 en contract management pourrait bientôt voir le jour, afin de pouvoir présenter rapidement de jeunes contract managers sur un marché du travail qui en demande. En interne, l’AFCM travaille par ailleurs à la mise en place de formations au sein de commissions sectorielles, afin de diffuser les bonnes pratiques propres à chaque secteur d’activité.

Toutes les entreprises sont-elles concernées par le contract management ?

Toute entreprise dont l’activité passe par la signature et l’exécution de contrats s’intéresse au contract management. Donc pas un secteur n’est exclu. J’en veux pour preuve la diversité des sociétés qui ont contacté l’AFCM : industrie, BTP, services informatiques, conseils, banques…
La fonction est donc dans une réelle dynamique de croissance et de professionnalisation. Le champ devant nous est vaste et prometteur. C’est captivant.

Propos recueillis par Jordan Belgrave