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Site internet, application mobile : originalité et titularité des droits d’auteur. Par Ibrahim Coulibaly, Docteur en droit.
Parution : jeudi 6 novembre 2014
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Un site internet et une application mobile dénommés « La France vue par les écrivains » ont été conçus et réalisés à la suite d’une expérimentation conduite en partenariat entre quatre entités : trois associations et une société spécialisée dans la création de sites internet. Le projet ne sera pas finalisé en raison de nombreux désaccords entre les parties ; celles-ci se reprochant mutuellement d’avoir mal exécuté les obligations contractuelles.
A l’issue de l’expérimentation et compte tenu de l’absence de volonté des parties quant à sa poursuite, une action en justice est intentée contre la société spécialisée dans la création de sites internet à laquelle est dénié tout droit d’auteur sur les créations en cause ; chacune des autres parties revendiquant par ailleurs ces droits.
Loin d’être rare et banale, la présente affaire [1] pose encore une fois la délicate question de l’originalité mais aussi et surtout de la titularité des droits d’auteur sur les créations immatérielles à l’élaboration desquelles plusieurs personnes ont concouru à divers titres.

Faits

A l’origine des faits de la présente espèce se trouve un contrat de partenariat conclu entre les associations FILL (Fédération Interrégionale du Livre et de la Lecture), CRLL (Centre Régional du Livre en Limousin), AVEC et la SARL LE HUB AGENCE, société ayant pour activité le développement de sites internet et d’applications mobiles.

Le partenariat portait sur l’expérimentation d’une solution globale du service Géoculture initié depuis 2010 par le CRLL et l’AVEC. Le service Géoculture initial, dénommé « Le Limousin vu par les artistes », était un service de géolocalisation destiné à permettre de découvrir ce territoire tel que les artistes et les auteurs l’ont présenté. Au titre de d’expérimentation de la déclinaison nationale du service « Géoculture : La France vue par les écrivains », devaient être créés un site internet hébergé à l’adresse « http://lafrancevueparlesecrivains.fr » et une application mobile dénommée « La France vue par les écrivains ».

Le Centre National du Livre (CNL), qui sera sollicité, acceptera de financer partiellement l’opération à condition que la FILL en assure la coordination.
Le contrat de partenariat a été conclu le 21 mai 2012 pour une durée de 18 mois. A la date du 24 novembre 2013, suite à la mésentente des parties sur la poursuite de l’expérimentation, la société HUB AGENCE proposera à la FILL d’acquérir les codes sources ; faute de quoi, elle a supprimé l’hébergement du site internet http://lafrancevueparlesecrivains.fr.

Procédure

C’est dans ces conditions que la FILL et le CRLL, estimant subir un grave préjudice, assigneront le HUB AGENCE selon la procédure à jour fixe prévue par l’article 788 du Code de procédure civile. Selon cet article, « en cas d’urgence, le président du tribunal peut autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe  ».
Une médiation a été proposée mais n’a pas été acceptée par les parties.

Arguments et prétentions des parties

En l’occurrence, la FILL et le CRLL, à l’origine de l’assignation soutiennent, à titre principal, que « la FILL est titulaire des droits d’auteur sur le site http://lafrancevueparlesecrivains.fr/ et l’application mobile dénommée « La France vue par les écrivains », lesquelles constituent des œuvres collectives, créées à l’initiative de la FILL qui les édite, les publie et les divulgue sous sa direction et son nom, et dans lesquelles la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elles ont été conçues, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
Pour se voir reconnaître cette qualité, la FILL faisait notamment valoir que les œuvres litigieuses avaient été élaborées à son initiative et sous son égide ; que les deux œuvres avaient été éditées, publiées et divulguées sous son nom comme cela ressortait des mentions légales. Enfin, elle disait avoir organisé la création de ces œuvres « par le biais de nombreuses instructions précises de nature à restreindre la liberté de l’agence LE HUB » qui ne serait « intervenue que comme prestataire technique sans fournir aucun effort créatif alors qu’elle-même a élaboré la structure du site, le contenu des pages web et leur présentation, ainsi que l’interface web ».

Ce faisant, selon les demanderesses, le fait pour la société HUB AGENCE de supprimer l’hébergement du site internet, d’empêcher l’extraction des données enregistrées et de refuser de communiquer les codes relatifs au site et à l’application mobile était constitutif d’une atteinte aux droits d’auteur de la FILL.
Les demanderesses reprochaient également à la HUB AGENCE une inexécution de ses obligations contractuelles en n’ayant pas respecté les délais de livraison et en livrant le site et l’application mobile avec de nombreux dysfonctionnements.
A titre subsidiaire, les demanderesses revendiquaient la qualité de copropriétaires des œuvres indivises que constituent le site internet et l’application mobile « La France vue par les écrivains ».

Quant à la société LE HUB AGENCE, elle « prétend[ait] avoir été, avec le CRLL, à l’initiative de l’expérimentation nationale du service ‘‘La France vue par les écrivains’’ et avoir plus particulièrement défini le modèle économique, préparé le projet de cahier de charges et réfléchi à la conception technique et économique, avant l’intervention de la FILL ».

Ce faisant, elle demandait au tribunal de constater que le site internet et l’application mobile avaient été créés par elle « seule » ; aucune des conditions permettant de retenir la qualification d’œuvre collective n’étant remplie.

Pour se prévaloir ainsi de la qualité de seule titulaire des œuvres litigieuses, l’Agence LE HUB soutient qu’aux termes de la convention de partenariat, elle était chargée du développement et de la maintenance du site et de l’application mobile. Elle se prévaut de « l’autonomie de sa création [qui] ressort encore de l’utilisation d’une technique brevetée préexistante lui appartenant, dans le domaine de la diffusion d’informations géolocalisées ».

Problèmes juridiques

La question se posait de savoir si les créations immatérielles en cause pouvaient être considérées comme des œuvres originales, si elles étaient qualifiables d’œuvres collectives et à défaut, qui des trois intervenants (FILL, CRLL et HUB AGENCE) était titulaire des droits sur les œuvres en cause ?

Solution

Le tribunal jugera que la société LE HUB Agence est la seule titulaire des droits d’auteur sur le site web et l’application mobile, supports du service « La France vue par les écrivains ». Interdiction sera donc faite aux demanderesses « de faire un quelconque usage, de quelque nature et sous quelque forme que ce soit, des éléments originaux du site web et de l’application mobiles créés par la société LE HUB ».

Analyse de la décision

Plusieurs questions sont abordées dans le jugement dont celle relative à l’inexécution des obligations contractuelles que les parties se reprochaient mutuellement. Nous limiterons, cependant, nos observations à la nature, à l’originalité des œuvres litigieuses et à la titularité des droits d’auteur.

• Sur l’originalité et la nature des œuvres constituées par le site internet et l’application mobile « La France vue par les écrivains »
Alors même que l’on était en présence d’œuvres (1) à la création desquelles plusieurs personnes prétendaient avoir participé en revendiquant ce faisant des droits, aucune des parties ne décrivait « les caractéristiques originales (2) de l’œuvre finalisées sur lesquelles elles revendiquaient des droits ». Cette situation contraindra le tribunal à se reporter sur l’appréciation du « prétendu apport créatif » des uns et des autres au regard du procès-verbal d’huissier versé aux débats pour déterminer la nature des œuvres litigieuses (3).

1) Sur la détermination des œuvres en cause

Comme le relève le tribunal, « le droit d’auteur porte sur une œuvre définie et précisément identifiable et s’agissant d’un site et d’une application, il convient de distinguer le contenu lui-même qui n’est pas l’objet du litige […] et le support dont la forme, si elle est originale, peut bénéficier du droit d’auteur ».
A cet égard, le tribunal identifie une «  œuvre première constituée par le site internet et l’application ». Cette œuvre première est une œuvre de forme consistant dans l’architecture et la présentation formelle du site et de l’application.

Le contenu de ces deux œuvres, susceptible lui-même d’une protection par les droits de la propriété intellectuelle, ne faisait pas l’objet de litige et la défenderesse ne revendiquait aucun droit sur ce contenu.

Etant sans conteste édité par la FILL, c’est cette dernière qui pouvait invoquer des droits sur ce contenu. Cela est d’autant plus vrai, qu’ayant considéré que l’Agence LE HUB était seule titulaire des droits d’auteur sur le site et l’application mobile, après lui avoir fait interdiction d’utiliser les éléments originaux de ces œuvres, le tribunal déclare qu’il « appartiendra [aux demanderesses], le cas échéant, de développer de nouveaux supports, en particulier un site web et une application mobile pour exploiter leur service ‘La France vue par les écrivains’ ».

2) Sur non-contestation de l’originalité des œuvres litigieuses

D’un point de vue théorique et eu égard aux principes applicables en matière de propriété intellectuelle, la protection, par le droit d’auteur, d’une œuvre de l’esprit – qu’elle en soit le genre, le mérite ou la destination – est soumise à la preuve de son originalité [2].
L’originalité est perçue en doctrine et dans la jurisprudence constante comme relevant de « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ».

Ainsi, dans un arrêt rendu le 13 mai 2014, la Cour d’appel de Rennes a jugé que « il est constant […] qu’un site internet est susceptible de protection par le droit d’auteur si son créateur démontre que sa facture témoigne d’une physionomie caractéristique originale et d’un effort créatif témoignant de la personnalité de son auteur » [3].

En l’occurrence, le tribunal a fait la distinction entre le contenu des œuvres litigieuses et leur support dont la forme. Il constate que le contenu des œuvres ne faisait pas l’objet de litige, étant acquis qu’il était édité par la FILL.
S’agissant, cependant, des supports et de la forme des œuvres, elle constatera que la condition d’originalité, nécessaire pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, « ne fait pas débat ».

Sans doute, aucune des parties n’avait-elle intérêt à soulever l’exception relative au manque d’originalité des œuvres en question ; ce qui, en cas d’admission, aurait eu pour conséquence de ruiner les investissements intellectuels, financiers ou humains consentis de part et d’autre.

En tout état de cause, que l’originalité des œuvres n’ait pas été contestée ici ne signifie pas que l’originalité se présume toujours. En cas de contestation, cette circonstance doit être prouvée. Ainsi, dans un arrêt rendu, en janvier 2014 par la Cour d’appel de Paris, celle-ci considère que « le principe de la protection d’une œuvre, sans formalité, du seul fait de la création d’une forme originale n’est pas discuté ; que, certes, il incombe, à celui qui entend se prévaloir des droits de l’auteur, de rapporter la preuve d’une création déterminée à une date certaine et de caractériser l’originalité de cette création » [4].

3) Sur la nature des œuvres litigieuses : le rejet de la qualification d’œuvres collectives

Le site internet et l’application mobile « La France vue par les écrivains » devaient-ils être considérés comme des œuvres individuelles ou des œuvres collectives ?
L’œuvre collective est définie à l’article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle comme « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
Une œuvre collective est présumée être la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée.

En l’occurrence, la participation de plusieurs partenaires à l’expérimentation du service « La France vue par les écrivains  » était indéniable. Tel que cela ressortait notamment de la convention de partenariat, les rôles étaient ainsi répartis : « la FILL assure la coordination du projet, la CRLL assure l’expertise fonctionnelle et le HUB AGENCE assure le développement et la maintenance technique et apporte son expertise sur les nouvelles technologies de l’information et des communications ».
S’agissant du financement, pour un coût total de 255 000 euros, 9 330 euros étaient à la charge de la FILL, 9 565 euros à la charge de la CRLL. Le Centre National du Livre s’engageait à intervenir à hauteur de 89 385 euros, le reste devant être supportés par les autres intervenants dont LE HUB AGENCE. Le budget global alloué au développement technique, d’un montant de 119 359 euros, devait être supporté à hauteur de 50 % par la FILL et LE HUB Agence.

Sur la base de ces éléments et « plus particulièrement [sur] la chronologie des faits », le tribunal retiendra que la FILL n’était ni à l’origine ni à l’initiative des créations litigieuses et qu’elles n’ont pas non plus été diffusées sous son nom.
De fait, c’est le CRLL qui avait initialement développé le service « Le Limousin vu par les artistes ». En décembre 2010, il entrera en contact avec LE HUB Agence pour développer un service de géolocalisation national des extraits littéraires. En décembre 2011, soit un après le début de ce projet, le comité de pilotage du projet « Géoculture – Le Limousin vu par les artistes » envisageait un possible développement du projet au niveau national.

C’est alors qu’une convention de partenariat sera conclue, le 19 mars 2012, entre le CNL, la FILL et le CRLL. Une autre convention sera conclue 21 mai 2012 entre la FILL, le CRLL, l’AVEC et LE HUB Agence pour lancer l’expérimentation du service « Géoculture : la France vue par les écrivains » ; service ne constituait qu’ « une évolution du service préexistant Géoculture » initié par le CRILL et le HUB Agence.
Par ailleurs, comme le constatait le tribunal, si la FILL était présentée comme ayant coordonnée et piloté le projet, l’Agence LE HUB était systématiquement présentée comme partenaire et « le plus souvent comme développeur ». De même, si les mentions légales identifiaient la FILL comme éditeur, c’est le HUB Agence qui était « spécifiquement désigné pour la conception et la réalisation du site ». Enfin, « tant le site que l’application indiquent qu’ils sont la propriété des partenaires porteurs de ce projet : LA FILL, le CRL en Limousin, l’AVEC en Limousin et LE HUB Agence ».
Ce faisant, la FILL ne pouvait pas se prévaloir de la titularité des droits d’auteur sur le site et l’application mobile. A signaler que la CRLL, partie à l’instance, ne se prévalait pas d’une telle qualité de titulaire unique des droits sur créations litigieuses. Ainsi, la prétention relative à l’existence d’une œuvre collective, propriété de la FILL, sera-t-elle rejetée ; les conditions n’en n’étant pas remplies.
A titre subsidiaire, les demandeurs arguaient alors de l’existence d’œuvres en indivision appartenant à la FILL, au CRL en Limousin, à l’AVEC en Limousin et au LE HUB Agence.

• Sur la titularité des droits : des œuvres en indivision ?

A défaut d’avoir été reconnues comme des œuvres collectives, la question se posait de savoir si les œuvres litigieuses ne pouvaient pas, à tout le moins, être considérées comme des œuvres en indivision.

C’est que soutenait notamment les demandeurs pour qui établissaient notamment que le CRLL avait contribué à la création du modèle de traitement des données, de l’architecture, des champs nécessaires, et des procédures de validation du site et de l’application.

Pour ne pas faire droit à cet argument, le tribunal retient qu’il ressortait des pièces que le site et l’application avaient été « conçus et développés par LE HUB AGENCE, à laquelle la FILL avait rappelé […] qu’elle n’était pas un simple prestataire mais bien un partenaire qui devait apporter l’interface d’administrative et l’interface publique ainsi que les usages de mobilité ».

Par ailleurs, il ressortait des faits que LE HUB AGENCE avait agi en toute autonomie. Elle avait fourni des maquettes finalisées des œuvres à la FILL qui n’intervenait que pour les valider, « le cas échéant, après avoir sollicité des corrections mineures sur la présentation ou des corrections techniques ». La FILL n’avait donné « aucune directive sur le développement de la solution logicielle » ni donné « de directives précises contraignant le développeur pour la structure ou la présentation des œuvres multimédias ».

De même, le logiciel développé par LE HUB comprenait la solution Ludigo et ses sources ; celles-ci résultant de l’utilisation d’une technique brevetée préexistante lui appartenant. Dès lors, pour le tribunal, « l’activité créatrice de la société LE HUB est suffisamment démontrée et la FILL, qui ne rapporte pas la preuve de directives précises contraignant ou empêchant toute liberté de son partenaire, ne démontre pas avoir participé à la création du site et à l’application ».

Enfin, le tribunal retient que les contributions de chacun des partenaires étant «  clairement identifiables » et ne se confondant pas, il n’y avait pas lieu de statuer sur l’indivision.

Au final, après le rejet de la qualification d’œuvres collectives et d’œuvres en indivision, il résultait que seule l’Agence LE HUB pouvait se voir reconnaître la qualité de titulaire des droits sur le site et l’application mobile.

Conclusion

La solution retenue, en l’espèce, par le TGI de Paris prouve bien que la question de la titularité des droits de propriété intellectuelle sur les créations immatérielles ayant vu la participation de plusieurs entités n’est pas toujours évidente. En effet, plusieurs qualifications sont possibles.

Il est donc impérieux pour les parties de déterminer clairement le cadre de leur intervention, la titularité des droits et conditions du transfert des droits d’auteur.
Relevant les difficultés se posant en l’espèce, un auteur s’est justement interrogé : « êtes-vous réellement propriétaire de votre site internet ? » [5].

Ibrahim Coulibaly, Docteur en droit, Titulaire du CAPA

[1TGI Paris, 30 mai 2014, 3ème ch., 3ème section, RG n° 14/00992

[2Notamment, Cass. crim., 7 octobre 1998 : RIDA 1999, n° 180

[3Cour d’appel de Rennes 1ère chambre, Arrêt du 13 mai 2014, legalis.net

[4CA Paris, Pôle 5, chambre 1, n° 12/09291, 15 janvier 2014