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Actualité de la clause de non-concurrence. Par Romain Aupoix, Avocat.
Parution : jeudi 6 novembre 2014
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La clause de non-concurrence obéit à un régime juridique qui a été fixé au gré de la jurisprudence des tribunaux et de la Cour de cassation.

Si ce régime est aujourd’hui bien ancré, certains points, qui ont fait l’objet de jurisprudences récentes, méritent l’attention voire appellent à la vigilance.

1- La notion de clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence peut être définie comme la clause par laquelle un salarié s’interdit, moyennant rémunération, d’exercer une activité concurrente de celle de son employeur postérieurement à la rupture de son contrat de travail.

Compte tenu des engagements qu’elle induit, diverses clauses qui n’avaient pas été dénommées comme telles par les parties, ont néanmoins été considérées comme constituant des clauses de non-concurrence, imposant à ce titre la stipulation d’une contrepartie financière.

Ainsi, la clause de « non-détournement de clientèle » aux termes de laquelle le salarié s’engage « pendant et après son contrat de travail, à ne détourner aucun client des sociétés du groupe, directement ou indirectement, sous quelque forme juridique que ce soit, tant en son nom personnel que pour le compte de tiers », dans la mesure où elle interdit au salarié l’accès à des entreprises intervenant dans le même secteur d’activité que celui de son précédent employeur est une clause de non-concurrence, en l’occurrence illicite faute de contrepartie financière [1].

De façon générale, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, la clause qui interdit à un salarié, après rupture du contrat de travail, d’entrer en relation directe ou indirecte avec la clientèle de son précédent employeur s’analyse en une clause de non-concurrence, obéissant à son régime juridique [2].

A l’inverse, comme cela été récemment précisé, ne constitue pas une clause de non-concurrence, la clause qui ne porte pas atteinte à la liberté du travail du salarié, telle une clause de discrétion, qui impose exclusivement au salarié ne pas révéler d’informations confidentielles relatives à son employeur après la rupture de son contrat [3].

2- Les conditions de validité de la clause de non-concurrence

Depuis un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 10 juillet 2002, les conditions de validité de la clause de non-concurrence sont clairement posées [4].

Cette clause n’est licite qu’autant qu’elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, est limitée dans le temps et dans l’espace, tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et est assortie d’une contrepartie financière.

Les trois premières conditions ont pour objet de permettre au salarié de continuer à exercer une activité professionnelle compte tenu de sa formation et de son expérience et sont donc appréciées dans cette optique globale par les tribunaux.

S’agissant de la contrepartie financière à l’engagement de non-concurrence, celle-ci est indispensable et il a été jugé que la stipulation d’une contrepartie dérisoire équivalait à une absence de contrepartie sanctionnée par la nullité de la clause [5].

En l’absence de dispositions de la convention collective applicable qui viendraient fixer le montant minimum de cette contrepartie, son montant doit être déterminé en tenant compte des engagements souscrits par le salarié (en général de l’ordre de 30 % de la rémunération préalablement versée).

Il convient par ailleurs de rappeler qu’il n’est pas possible de faire varier le montant de la contrepartie à verser en fonction du mode de rupture du contrat de travail. Ainsi, sera réputée non écrite la disposition de la clause qui minore le montant de l’indemnité en cas de licenciement pour faute [6] ou de démission [7].

Il convient enfin de souligner que le versement de la contrepartie financière, qui a un caractère de salaire et qui est en conséquence assujettie aux cotisations sociales, ne peut intervenir qu’après la rupture effective du contrat.

Après avoir admis que la contrepartie à l’engagement de non-concurrence pouvait être versée au cours de l’exécution du contrat de travail, sous forme de majoration de salaire, dès lors qu’elle apparaissait distinctement sur les bulletins de paye, cette solution est désormais exclue [8]. Elle doit d’ailleurs être totalement proscrite puisqu’il est jugé que cette modalité de règlement de la contrepartie financière entraîne la nullité de la clause et interdit à l’employeur de solliciter le remboursement des sommes versées, qui sont analysées en un complément de salaire [9].

3- Le régime juridique

- La levée de la clause de non-concurrence

La contrepartie à la clause de non-concurrence est due au salarié à compter de la cessation effective du contrat de travail c’est-à-dire à compter de sa sortie des effectifs.

A ce titre, hors dispositions spécifiques du contrat de travail qui l’aurait exclue, cette clause est applicable après une rupture de période d’essai.

Afin de ne pas être tenu au versement de la contrepartie financière, l’employeur peut décider de délier le salarié de son engagement de non-concurrence en levant cette clause.

Si le contrat de travail ou la convention collective ne comportent pas de dispositions particulières sur ce point, la levée de la clause ne pourra intervenir qu’avec l’accord exprès du salarié.

Si cette faculté est prévue, l’employeur pourra décider seul de la levée, à charge de respecter scrupuleusement les dispositions qui l’encadrent. A défaut, le salarié est en droit de prétendre au paiement de l’intégralité de la contrepartie financière.

Il convient notamment de respecter les délais prévus pour cette levée, étant entendu qu’en l’absence de fixation d’un délai précis, il convient de délier le salarié au moment même de la notification du licenciement [10].

Il est en conséquence indispensable de lire attentivement les dispositions de la clause au sein du contrat de travail ou de la convention collective à laquelle renvoi le contrat pour apprécier les modalités fixées et le point de départ du délai éventuel de renonciation.

Ainsi, si la levée de la clause ne peut intervenir qu’au moment de la notification de la rupture, une levée postérieure sera sans effet [11].

De même, s’il est prévu la possibilité de lever la clause dans un certain délai à compter de la notification de la rupture, une levée de la clause signifiée dans ce même délai mais à compter de la fin du préavis sera dépourvue d’effet [12].

Si de nombreux contrats organisent la levée de la clause en cas de licenciement ou de démission, beaucoup ne comportent pas de dispositions spécifiques à la rupture conventionnelle.

A ce titre, il a été récemment jugé, dans l’hypothèse d’une rupture conventionnelle du contrat de travail, que le délai dont dispose l’employeur pour lever la clause suivant « la première présentation de la notification de la rupture » court à compter de la date de la rupture fixée dans la convention [13].

De même, rares sont les conventions collectives ou les contrats de travail qui comportent des dispositions relatives à la prise d’acte de rupture. En dernier lieu, il a été jugé que le délai dont dispose l’employeur pour délier le salarié court à compter de sa réception de la notification de la prise d’acte de rupture [14].

Enfin, il convient de rappeler que la notification de la levée de la clause doit être individuelle et qu’un engagement pris dans le cadre d’un PSE [15] ou lors d’une réunion de délégués du personnel [16] est insuffisant.

De même, la conclusion d’un protocole d’accord avec le salarié n’emporte pas en lui-même renonciation à cette clause [17].

- Règles applicables en cas de mobilité intragroupe

L’application de la clause de mobilité en cas de mutation au sein du groupe doit également appeler à une grande vigilance.

Dans une affaire qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 2014, un salarié engagé par une première société avait été muté au sein d’une autre société du même groupe [18].

Les contrats de travail conclus au sein de la première puis de la seconde société comportaient une clause de non-concurrence. Après la rupture de son contrat de travail avec la seconde entreprise, qui avait pris soin de le délier de son engagement de non-concurrence, le salarié a réclamé le paiement de la contrepartie financière due au titre de la clause de non-concurrence figurant dans son premier contrat et qui n’avait pas été levée préalablement à sa mutation.

La cour d’appel, qui avait débouté le salarié de sa demande en relevant qu’à la suite du transfert, la clause n’avait pas été appliquée et qu’il ne pouvait prétendre avoir respecté son interdiction de non-concurrence, a été censurée.

La Cour de cassation décide en effet, en cas de mutation concertée au sein d’un groupe, que la clause de non-concurrence figurant dans le premier contrat de travail du salarié ne peut trouver à s’appliquer immédiatement compte tenu de l’entrée du salarié au service d’une société du même groupe. En revanche, en l’absence de levée de cette clause, celle-ci n’est pas privée d’effet et trouvera à s’appliquer après la rupture du second contrat de travail.

Cet arrêt implique de prêter une grande attention aux engagements de non-concurrence dans ce cas de figure et pour le premier employeur, de lever cette clause de façon expresse concomitamment à la mutation de son salarié, s’il ne souhaite pas avoir à respecter les termes d’une telle clause plusieurs années après le départ du salarié.

- Contestation de la validité de la clause

Dès lors que les conditions de validité posées par la jurisprudence, qui sont cumulatives, ne sont pas réunies, le salarié est en droit de solliciter l’annulation de cette clause devant le conseil de prud’hommes.

Le salarié peut encore solliciter l’octroi de dommages et intérêts. A ce titre, il est désormais jugé qu’indépendamment du respect de la clause, la seule stipulation au contrat d’une clause nulle cause un préjudice un salarié [19].

Cette sanction s’applique y compris en cas de rupture du contrat de travail au cours de la période d’essai [20].

Dès lors que la clause est nulle, le salarié est bien entendu dégagé de tout engagement de non-concurrence et ne peut être tenu au paiement d’une indemnité pour non-respect de la clause.

Outre la faculté d’annulation de la clause, il est également reconnu au salarié la possibilité de solliciter du juge sa révision. Ainsi, le juge saisi par le salarié est habilité à réviser la durée de l’engagement de non-concurrence ou le champ géographique de la clause.

En revanche, le juge ne peut intervenir sur le montant de la contrepartie fixée, sauf à constater la nullité de la clause lorsque celle-ci est dérisoire.

Romain Aupoix - Avocat au barreau de Paris Site : romainaupoix-avocat.com

[1Soc. 2 juillet 2008 n° 07-40618

[2Soc. 10 décembre 2008 n° 07-43371, Soc. 15 février 2012 n°10-21328

[3Soc. 15 octobre 2014 n°13-11.524

[4Soc. 10 juillet 2002 n° 00-45135

[5Soc. 15 novembre 2006 n° 04-46721

[6Soc. 8 avril 2010 n° 08-43056

[7Soc. 20 février 2013 n° 11-17941

[8Soc. 7 mars 2007 n° 05-45511

[9Soc. 15 janvier 2014 n° 12-19472

[10Soc. 13 juillet 2010 n° 09-41626

[11Soc. 19 juillet 2000 n°98-42290

[12Soc. 9 février 2011 n° 09-43170

[13Soc. 29 janvier 2014 n° 12-22116

[14Soc. 25 mars 2010 n° 08-42302

[15Soc. 21 octobre 2009 n° 08-40828

[16Soc. 26 mars 2014 n° 12-27028

[17Soc. 18 janvier 2012 n° 10-14974

[18Soc. 29 janvier 2014 n° 12-22116

[19Soc. 12 janvier 2011 n° 08-45280

[20Soc. 2 avril 2014 n° 12-29693

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