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Le contract manager face au défi des données sensibles.
Parution : lundi 10 novembre 2014
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Au cours d’un cycle de vie contractuel, il est des domaines où l’on redoute de s’aventurer tant le niveau de technicité et le potentiel de dangerosité associé donnent envie de s’effacer derrière l’expert.
La propriété intellectuelle est de ceux-là ; la protection des données personnelles en est un autre. Saupoudrer le tout d’une dose d’informations confidentielles et vous placez le professionnel de la gestion de contrat face à une triple menace que l’on consolidera dans la catégorie « données sensibles ».

Si le Contract Manager est généraliste par nature, du fait de la pluridisciplinarité de sa fonction et de l’étendue de sa formation, il peut se faire gloire de disposer d’une habilité particulière en matière de négociation et de facilitation, d’une virtuosité en gestion de risque, d’une qualification en gestion de projet, d’une dextérité idoine en matière financière, d’une connaissance fine du droit et, cela va de soi, d’une adresse singulière en ingénierie et en pratique contractuelle.

Sa maîtrise de l’environnement juridique en fait-elle pour autant un expert de toutes les sphères du droit ?
La réponse est évidemment négative, quand bien même le Contract Manager serait un juriste émérite ayant précédemment acquis une connaissance transversale et rigoureuse des grandes divisions législatives et règlementaires.

Face aux données sensibles, le contract manager doit se tourner vers des spécialistes internes ou des conseils externes afin d’adapter sa stratégie aux exigences du droit national et européen.

Or, les conventions complexes dont dérivent projets et prestations de service traitent toutes, ou presque, de la gestion des livrables (matériels et immatériels) faisant l’objet d’une protection par les règles de la propriété intellectuelle, du sort des données personnelles, ou encore de la non-divulgation des informations identifiées comme confidentielles par les parties.
Les données sensibles génèrent sur tout cycle contractuel, principalement en phase d’exécution et de clôture, des risques et des problèmes que le Contract Manager se doit de traquer puis de gérer ou de résoudre.

Pour ce faire, il commencera par accepter les limites de son savoir-faire et s’orientera vers les spécialistes internes ou les conseils externes afin d’adapter sa stratégie aux exigences du droit national et européen. Il aura, aussi, à considérer le cadre légal local lorsque les prestations seront réalisées en dehors des frontières de l’Union Européenne.

Une fois avisé, le Contract Manager déploiera sur le projet concerné par le contrat qu’il gère sa mécanique habituelle : un processus dédié aux trois domaines visés ci-dessus.

Rappelons-nous la définition du Contract Management proposée dans une précédente littérature [1] : Activité qui consiste à développer et contrôler le cycle de vie d’un contrat, de la phase d’initialisation jusqu’à son terme, par la coordination systématique et méthodique des ressources et des processus utiles à la maîtrise des risques et à l’optimisation financière.
Bien qu’imparfaite et nécessairement incomplète, cette préface à la discipline avait pour volonté d’insister sur certains aspects clés de sa mise en pratique, à l’instar du passage sur la coordination systématique des processus.

Systématique et processus vont de pair et portent, ensemble, la promesse de l’efficacité du Contract Manager, dont l’intervention ne saurait s’envisager dans l’improvisation ou l’approche purement réactive.

L’administration des données sensibles méritait donc un processus, démarré très tôt dans le cycle, dès la phase de création et mis à jour régulièrement de façon à prendre en considération les évolutions législatives et les changements inhérents au projet.

L’objectif est ici multiple :
- Monter en compétence sur des domaines pointus dont le mauvais usage est susceptible de déstabiliser la relation contractuelle avec le ou les cocontractants (client, fournisseur/prestataire, sous-traitants, cotraitants, etc.) si les menaces ne sont pas circonscrites (ex. : violation d’un brevet, utilisation d’un logiciel pour lequel la licence a expiré, réutilisation des livrables d’un précédent projet dont les droits patrimoniaux avaient été transférés au client final, traitement d’informations concernant les collaborateurs d’une entité sans déclaration préalable à l’autorité compétente, communication publique maladroite de renseignements financiers visés comme étant confidentiels dans la convention, etc.) ;
- Garantir que la technicité contractuelle ou légale attachée aux données sensibles est traduite dans des outils accessibles aux acteurs non-juristes du projet ;
- Elargir le champ des possibles en considérant que les données sensibles offrent également des opportunités potentielles d’optimisation du cycle en couplant ce processus avec celui d’extraction des leviers commerciaux.

Pour la propriété intellectuelle, on s’assurera que tous les intervenants du projet sont en mesure d’identifier qui est propriétaire de quoi, quels sont les droits attachés à une licence, pour combien de temps et sur quel périmètre, à quel moment faut-il rendre à l’autre partie l’objet de sa propriété, etc. Un défaut de visibilité pourrait engendrer des méprises susceptibles d’actions civiles ou pénales.

La problématique complexe des données personnelles exige, elle, que le Contract Manager accompagne le profane dans sa quête des réponses aux questions du type : Qui est responsable de quoi dans le cadre de la collecte, du traitement, du transfert, etc.?
Quelles sont les déclarations impératives et les délais associés ?
Que faire en cas de perte de données ou de diffusion inopportune ?

En ce qui concerne la confidentialité, le processus consistera en la formation des hommes du projet au respect des obligations qui incombent à leur organisation à l’égard des informations confidentielles. Chacun doit savoir distinguer ce qui est confidentiel de ce qui ne l’est pas, et intégrer dans sa mission quotidienne les garde-fous contrant toute divulgation prohibée.

Une communication efficace sur les données personnelles et sur les obligations de confidentialité passe, a minima, par la préparation et la présentation d’une synthèse contractuelle, complétée par la rédaction de mémos chaque fois qu’une actualisation est nécessaire.

Le défi lié à la gestion des données sensibles tout au long d’un cycle contractuel complexe est de taille...

La gestion des éléments de propriété intellectuelle sera, en revanche, organisée par le biais d’un tableau dynamique qui pourra lister les créations prévues sur la durée du projet et les éléments préexistants à la signature du contrat. Il précisera également les droits de chacune des parties et recommandera un marquage sur les différents livrables en vue de sécuriser leurs titulaires. Ici encore, la mise à jour régulière de l’outil s’imposera.

Le défi lié à la gestion des données sensibles tout au long d’un cycle contractuel complexe est de taille. Aidé par les spécialistes du sujet, et en s’appuyant sur l’utilisation des processus et des outils adéquats, le Contract Manager saura relever le challenge, voire, lorsque les circonstances s’y prêtent, transfigurer une zone à risque en espace d’opportunités.

Liens utiles :
"Pratique du contract manager" de Grégory Leveau aux éditions Gualino-Lextenso.
Ecole européenne de Contract management.

Grégory Leveau. Contract manager, fondateur et président de l’Ecole Européenne de Contract Management.

[1Pratique du Contract Management, éd. Gualino-Lextenso.