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Regard sur le décret du 28 octobre 2014 autorisant le démarchage pour les avocats. Par Elsa Lourdeau, Avocat.
Parution : lundi 10 novembre 2014
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Sous l’impulsion du droit européen, la loi Hamon du 17 mars 2014 a mis fin à l’interdiction séculaire qui était faite aux avocats de démarcher leur clientèle. Avec l’entrée en vigueur, le 29 octobre 2014, du décret n°2014-1251 relatif aux modes de communication des avocats, les conditions dans lesquelles les avocats peuvent démarcher leurs clients sont désormais fixées.

Origines de la réforme

Tout commence avec la directive Bolkenstein du 12 décembre 2006 . Au nom de l’objectif impérieux de libéralisation des services dans l’Union Européenne, il est attendu des États membres qu’ils « suppriment toutes les interdictions totales visant les communications commerciales des professions réglementées » [1], étant entendu que, par l’expression « communication commerciale », la directive désigne « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, les services ou l’image » d’une personne exerçant une profession réglementée.

Très rapidement, la question s’est posée de savoir si le démarchage, que le droit français définit comme « une offre personnalisée de biens ou de services faite à une personne morale ou physique déterminée qui ne l’a pas sollicitée » [2] , tombait ou non sous le coup de l’interdiction. C’est en tout cas ce que devait décider la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) répondant à une question préjudicielle du Conseil d’Etat sur le point de savoir si l’interdiction de démarchage édictée à l’encontre de la profession réglementée des experts-comptables pouvait être considérée comme une interdiction totale visant une communication commerciale et était donc susceptible de contrevenir à la directive Bolkenstein. Dans un arrêt du 5 avril 2011, la Cour, a en effet considéré que le démarchage relève bien de la notion de « communication commerciale », et jugé que la règlementation nationale qui interdit totalement aux professions règlementées la pratique de cette activité contrevient à la directive.

Toute activité de démarchage étant, depuis toujours, strictement interdite aux avocats [3], il est, dans un tel contexte, devenu nécessaire de réformer les règles gouvernant la profession sur ce point.

La loi Hamon du 17 mars 2014 est ainsi venue souffler un vent de libéralisation sur la profession, en posant le principe de l’autorisation du démarchage pour les avocats. Les conditions de son application restaient néanmoins à fixer. C’est désormais chose faite depuis l’entrée en vigueur du décret d’application.

Contenu de la réforme

Le décret d’application de la loi Hamon pose trois conditions strictes pour encadrer cette nouvelle forme de communication commerciale autorisée aux avocats.

1°/ Le démarchage doit se faire exclusivement par écrit. Les avocats sont désormais autorisés à « solliciter de manière personnalisée » leurs potentiels futurs clients, soit par courrier, soit par email. Le texte précise aussi que le démarchage ne peut en aucun cas être effectué par SMS, ce qui témoigne d’une conception de l’écrit plus stricte que celle du Code civil, qu’il définit à l’article 1316, en tout cas au plan probatoire, comme « une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ». Implicitement, toute forme de démarchage orale est donc proscrite. Le démarchage à domicile ou par le biais d’une plateforme téléphonique, la distribution de tracts ou l’envoi de courtes vidéos ou de messages sur des forums sur internet, à des personnes ciblées demeurent donc des pratiques prohibées pour les avocats.

Pour autant, la loi ne prévoit plus de sanction pour les avocats qui se livrent à du démarchage dans des conditions non autorisées, toutes les sanctions ayant en effet été supprimées, sans distinction quant à la nature -orale ou écrite - du démarchage pratiqué [4].

Il faut relever que toute autre forme de communication commerciale des avocats comme, par exemple, la mise en ligne de vidéos sur internet, ou la proposition de services sur des sites internet ou sur des flyers, ne constitue pas du démarchage mais de la publicité et obéit donc à des règles distinctes, sur lesquelles on ne reviendra pas ici. En effet, comme nous l’avons vu, le démarchage implique que l’avocat s’adresse de manière personnalisée à un interlocuteur et non de manière générale à un public indéterminé.

La restriction du démarchage à la forme écrite est décevante, à un double titre :

- Tout d’abord, elle est paradoxale au regard de la notion même de démarchage, qui renvoie intrinsèquement à un contact oral. En effet, dans le langage courant, le démarchage se définit comme une « technique de vente qui consiste à contacter le client à son domicile » [5]. Le démarchage est donc une technique par laquelle le commercial contacte directement et oralement le client. C’est au demeurant la même conception du démarchage qui prévaut en droit. Le Code de la consommation vise en effet deux hypothèses de démarchage, celle du démarchage téléphonique, et celle du démarchage à domicile (porte à porte). L’activité de démarchage juridiquement réglementée pour les commerçants vise donc bien deux modes de communication orale. Quant à la réglementation du démarchage propre à la profession d’avocat, elle a toujours entendu cette activité - jusqu’alors prohibée - comme « le fait d’offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d’une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public  » [6]. Lorsque la loi Hamon a posé il y a quelques mois le principe d’autorisation du démarchage pour les avocats, il était donc légitime de s’attendre à ce que l’avocat soit autorisé à prendre oralement contact avec sa future clientèle. Aujourd’hui, on comprend que la réforme est réduite à peau de chagrin puisque le démarchage autorisé aux avocats se cantonne, par une lecture a contrario du décret d’application, à une simple autorisation de démarchage par écrit - au moyen de courriers ou d’emails - à l’exclusion de toute autre forme de communication écrite.

- Ensuite, la restriction du démarchage à la forme écrite paraît contraire à l’esprit de la loi Hamon. L’article 3 bis de la loi laisse en effet sous entendre que l’avocat est autorisé à effectuer du démarchage en allant physiquement à la rencontre de sa clientèle puisqu’il énonce que « L’avocat peut librement se déplacer pour exercer ses fonctions […] » Depuis l’entrée en vigueur du décret d’application, cette disposition semble vidée de sa substance et en pratique, dépourvue de toute portée normative.

2°/ Le démarchage doit se faire dans le respect des règles déontologiques. Le décret précise que le démarchage n’est permis à l’avocat que s’il est mis en œuvre dans le respect des principes essentiels de la profession. Il doit procurer une information sincère sur la nature de la prestation proposée et exclure tout élément comparatif ou dénigrant.

3°/ Le démarchage doit se faire en toute transparence tarifaire. L’avocat qui démarche doit préciser « les modalités de détermination » du coût de la prestation qu’il propose. Il est permis de s’interroger sur le sens exact de cette expression. Le fait de préciser que la facturation du client se fera au temps passé ou au forfait est-il suffisant ou faut-il aller jusqu’à l’affichage des tarifs ? En tout état de cause, la prestation réalisée à la suite d’une sollicitation personnalisée doit faire l’objet d’une convention d’honoraires.

Appréciation de la réforme : l’occasion manquée d’un vrai progrès

L’autorisation du démarchage pour les avocats s’inscrit dans un objectif général de modernisation de la profession et doit être saluée comme une réelle avancée, permettant aux avocats de faire face aux exigences du marché et à la réalité de la concurrence économique mondiale. Néanmoins, il est regrettable que les conditions édictées par le décret d’application de la loi Hamon soient si restrictives. Pourquoi cette politique des petits pas ? Fondamentalement, quelle est l’idée venant justifier que la communication commerciale de l’avocat soit plus réglementée que celle du simple prestataire de services ?

Premier obstacle identifié à la libéralisation de la profession d’avocat, le poids de la tradition, l’expression d’une sorte d’orgueil de caste. La profession d’avocat, fière de ses origines aristocratiques et de sa noblesse d’antan, est perçue comme ne pouvant pas s’abaisser au rang du simple marchand, qui viendrait faire du porte à porte pour présenter ses services mercantiles.

Second obstacle, le respect de nos principes essentiels. Nos valeurs telles que la loyauté, la confraternité, la modération ou encore le sens de l’honneur, pour ne citer que celles que le démarchage est le plus susceptible de menacer, sont souvent invoquées pour justifier que l’avocat ne pratique pas ses activités commerciales comme un prestataire ordinaire.

Pourtant, ce qui distingue l’avocat ne devrait pas être de ne pas avoir le droit de faire usage d’une pratique commerciale, mais bien au contraire, le fait d’en faire l’usage approprié, conforme aux valeurs de la profession, qui constituent des repères et permettent d’adopter les bonnes pratiques, sans craindre la libéralisation. Le titre d’avocat devrait être un gage de confiance légitime. Au contraire, il semble que la profession fasse l’objet d’une certaine défiance du législateur, à moins que ce ne soit les représentants de la profession eux-mêmes qui se méprennent sur le rôle de notre déontologie. En effet, si le démarchage n’est pas pleinement autorisé au motif que l’on craint que l’avocat procède à une captation de clientèle de ses confrères ou à des manœuvres abusives auprès des justiciables, c’est bien que toute valeur morale lui est précisément déniée ou, à tout le moins, qu’elle lui est contestée.

En autorisant le démarchage uniquement sous la forme de l’écrit, le législateur manque donc aujourd’hui une belle opportunité d’ouverture de la profession, qu’il semble pourtant défendre par ailleurs dans le cadre du projet de réforme de l’ensemble des professions réglementées...

Elsa Lourdeau, Avocat au Barreau de Lyon, EL Avocat

[1Article 24 de la directive 22006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

[2CJUE, 5 avril 2011, affaire C-119/09, §37

[3Sanction applicable : amende de 4.500 € et peine d’emprisonnement de 6 mois, cf. article 66-4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et article 15 alinéa 3 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2055 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

[4Suppression de l’article 5, alinéa 2 du décret n°72-785 du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d’actes juridiques et modification de l’article 15, alinéa 3 du décret n°2005-790 du 12 juillet 2055 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.

[5Dictionnaire de français Larousse.

[6Article 1er du décret n°72-785 du 25 août 1972 relatif au démarchage et à la publicité en matière de consultation et de rédaction d’actes juridiques.