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Brèves réflexions sur les avocats et la réforme des professions réglementées. Par Arnaud Gossement, Avocat.
Parution : lundi 10 novembre 2014
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Dans un contexte marqué par la volonté de l’Etat de réformer les professions réglementées, la profession d’avocat est agitée par des débats importants sur son avenir. Pour nombre de confrères et d’élèves avocats qui prêtent serment ces jours-ci, l’inquiétude est vive. Et pourtant. L’avenir de la profession s’annonce passionnant.

Le Gouvernement entend réformer les différentes professions réglementées, officiellement pour faciliter leur accès et donc leur exercice par les jeunes mais aussi pour redonner du pouvoir d’achat aux français.

S’agissant des avocats, le Gouvernement et le Parlement réfléchissent depuis de nombreuses années aux trois mesures suivantes : suppression de la territorialité de la postulation devant le TGI et du tarif correspondant ; ouverture aux tiers du capital social minoritaire des Sociétés d’Exercice Libéral, comme pour l’ensemble des professions libérales, à l’exclusion, pour les SEL d’avocats, des banques et des compagnies d’assurance ; création d’un statut d’avocat salarié en entreprise, sans possibilité de plaider ni de développer une clientèle personnelle.

Mon sentiment est que cette réforme ne changera en définitive pas grand-chose. Que ces mesures soient ou non adoptées, la profession d’avocat est promise à un très bel avenir. Et nous avons le devoir de ne pas compromettre l’enthousiasme des jeunes confrères qui nous rejoignent. Leur imposer ce climat actuel de sinistrose et de morosité n’est pas responsable. Il faut d’urgence revaloriser le caractère libéral de notre activité et souligner ses perspectives. Elles sont nombreuses. Sans nier les difficultés actuelles, il faut en finir avec cette idée qui se répand dans les médias selon laquelle il n’y aurait plus que des avocats malheureux.

S’agissant de la territorialité de la postulation, il est peu probable que son éventuelle remise en cause compromette l’avenir des barreaux locaux. Un débat peut certes s’engager, à l’image de celui en cours sur la fusion des Régions, sur l’échelle territoriale des barreaux et des écoles de formation. Mais le maillage du territoire et la garantie d’un conseil juridique de proximité demeurent indispensables. Même à l’heure d’internet, pouvoir rencontrer très rapidement son avocat est nécessaire dans bien des matières, qu’il s’agisse du droit de la famille ou du droit pénal par exemple.

S’agissant de l’avocat en entreprise, le sujet n’est pas de savoir si les juristes d’entreprise peuvent donner des avis et conseil juridiques de haut niveau, la réponse étant déjà positive. Ouvrir le secret professionnel et la confidentialité des échanges ? Pourquoi pas mais avec quel dispositif de contrôle et de sanction ? Le sujet est bien de savoir comment développer le conseil juridique en entreprise. Car la fonction des juristes d’entreprise, dans un contexte concurrentiel et de droit complexe, est essentielle à l’activité économique. Et l’augmentation de leur nombre, prioritairement dans les PME et TPE, ainsi que la reconnaissance et l’amélioration de leur statut bénéficiera, non seulement à l’économie mais à l’ensemble des professionnels du droit. Avocats compris, à qui les juristes d’entreprises adressent nombre de dossiers et de questions.

S’agissant de l’ouverture du capital social des sociétés d’exercice libéral : l’utilité de cette mesure est incertaine. Elle aura pour effet premier de compliquer la vie des cabinets qui y auront recours. Les clients devront être informés de la composition de l’actionnariat de leurs conseils et, à l’heure des réseaux sociaux, ils le seront quoi qu’il arrive. En cas d’ouverture du capital, la garantie de l’indépendance du conseil et la prévention des conflits d’intérêts seront plus délicats. Si telle entreprise entre au capital de tel cabinet, il est probable que les concurrents de cette entreprise hésiteront à prendre le même cabinet. Le cabinet va donc prendre un risque élevé pour le développement de sa clientèle et les cabinets concurrents, dont le capital appartiendra aux associés, pourront se prévaloir d’un avantage lié justement à leur véritable indépendance. Au demeurant, la formule historique de l’association, comme l’AARPI, n’est-elle pas de nouveau plus intéressante, par la souplesse et le travail en réseau qu’elle permet, que le statut des sociétés commerciales ?

"Ce métier est résolument moderne et sa crise actuelle n’est que le signe du passage d’une époque à une autre, encore plus excitante..."

Je suis absolument convaincu, après (seulement ou déjà) 12 ans de barreau, que ce métier est résolument moderne et que sa crise actuelle n’est que le signe du passage d’une époque à une autre, encore plus excitante. Que cette réforme des professions réglementées soit ou non réalisée, elle est un épiphénomène et n’aura pas de réelle incidence pour le développement des cabinets d’avocats.

Car la profession souffre d’abord de maux internes et non de cette réforme : conflits entre institutions représentatives, abstentions records lors des élections ordinales qui n’intéressent guère, adaptation trop lente aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, spécialisations insuffisantes, honoraires mal fixés ou mal expliqués, campagnes de communication inadaptées, formation des élèves-avocats, statut de la collaboration libérale, charges, etc…etc..

L’avenir de la profession ne suppose pas un repli sur soi. Penser, à l’image des corps de hauts fonctionnaires que le prestige et la bonne santé de la profession dépendent de la limitation du nombre des membres n’a pas de sens. L’avenir de la profession suppose de s’ouvrir en cultivant quelques idées simples.

En premier lieu, la profession devrait réfléchir à ses clients et donc à ses prestations. Un certain nombre de tâches seront de plus en plus standardisées de manière à en faire baisser le coût et il est vain de s’y opposer. Le développement de boutiques d’avocats ou de sites internet proposant certaines diligences est inévitable et peut même contribuer à rendre accessible le droit à un plus grand nombre. La rédaction de baux simples, de statuts de sociétés ou d’associations, le secrétariat juridique des organes délibérants, la relecture de contrats civils et commerciaux simples, l’aide à la déclaration d’impôts….un certain nombre de conseils juridiques ne justifient plus certains devis d’honoraires parfois proposés. A l’inverse, de nouvelles branches du droit et de nouveaux domaines d’exercice sont à conquérir : le lobbying, la communication, la formation continue, la médiation, les modes alternatifs de règlement des conflits …

Alors que le besoin de droit est croissant, l’avocat sera toujours indispensable, notamment pour le droit du quotidien et de proximité comme pour sa connaissance et sa pratique des juridictions. Il doit être une référence en droit et offrir des spécialisations et expertises de pointe pour lesquelles il justifie d’une réelle valeur ajoutée. L’avocat a un devoir d’excellence juridique sur des questions complexes qu’il sera à même de traiter dans un univers d’incertitude et de complexité juridique.

En deuxième lieu, un effort de communication des ordres est requis. Trop peu de personnes savent quel est l’intérêt pour elles d’avoir recours à un professionnel du droit bien formé, indépendant, soumis à une déontologie professionnelle stricte. Les campagnes de communication qui sont actuellement diffusées à la radio ne sont pas efficientes de ce point de vue.

En troisième lieu, un effort de communication des avocats et de leurs cabinets s’impose aussi. Etre présent dans la presse, sur internet, sur les réseaux sociaux, développer un site et/ou un blog, présenter et démontrer son expertise dans des articles, des colloques, conférences et formations est précieux. La Faculté ne nous apprend pas le « faire savoir ». Les écoles du barreau et centres de formations devraient y contribuer plus fortement encore. Car un avocat ne cherche pas un emploi mais des clients.

En quatrième lieu, la formation des avocats pourrait être grandement améliorée et raccourcie. En commençant par bien distinguer ce qui doit relever de la Faculté (la connaissance rigoureuse du Droit) de l’Ecole du barreau (l’histoire de la profession, la déontologie, la gestion et le développement du cabinet). L’histoire de la profession dont la connaissance est si faible alors qu’elle permet de moderniser notre activité sans oublier le goût de la défense et du verbe. Il faut conseiller la lecture de Robert Badinter, Jean-Denis Bredin ou Jean Gallot pour transmettre la passion de la défense et de l’avocature. Relire Jean Gallot c’est comprendre que le métier a profondément changé mais que les fondamentaux et la passion demeurent. Enfin, la durée de cette formation pourrait aisément être réduite drastiquement sans perdre aucunement en qualité. Quant au stage préalable en cabinet, il serait presque plus utile de l’imposer en amont de l’examen d’entrée (CRFPA) qu’en aval pour permettre aux étudiants de choisir d’intégrer l’école du barreau en toute connaissance de cause.

Ne plus mettre l’accent sur les inconvénients mais sur les avantages du caractère libéral de notre profession est urgent. Quel métier offre autant de possibilités d’exercice que de goûts personnels et de choix de vie ? La profession d’avocat est en pleine mutation. Mais hier comme demain, elle demeure enthousiasmante.

Arnaud Gossement Selarl Gossement Avocats
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