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Ordonnance de 2014 : sur les contrats d’édition, les droits numériques et l’auteur. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : mercredi 19 novembre 2014
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L’ordonnance prise le 12 novembre 2014 par le gouvernement en matière de contrat d’édition à l’ère du numérique était très attendue du monde de l’édition (Ordonnance n° 2014-1348 du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition).

L’habilitation législative, contenue dans la loi du 8 juillet 2014 portant sur la vente à distance des livres, accordait un délai de 6 mois à la ministre de la culture et de la communication pour venir modifier les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d’édition, actuellement réglementé aux articles L.132-1 à L.132-17 du Code de la propriété intellectuelle.

Ainsi, le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le Syndicat national de l’édition (SNE) se réjouiront-ils de constater que les termes de l’accord-cadre qu’ils ont conclu le 21 mars 2013 ont été respectés par le présent texte réglementaire. Cet accord collectif est l’aboutissement d’un long travail de négociation pour établir les conditions de cession et d’exploitation des droits numériques dans le secteur du livre.

Le droit d’auteur est appelé depuis maintenant plusieurs années à relever les défis que lui imposent les évolutions technologiques de la société de l’information. Ainsi, l’arrivée du livre numérique invite à s’interroger sur son adaptabilité au regard des dispositions prévues par le CPI en matière de livres imprimés. L’œuvre numérique vient surtout aggraver les tensions déjà existantes entre éditeurs et auteurs sur la question de la rémunération des droits d’auteurs.

Sur ce dernier point, des efforts tout azimut sont entrepris pour tenter d’accorder les acteurs du monde de l’édition face au défi du livre numérique. C’est par exemple les travaux confiés par le gouvernement à la Commission spécialisée du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique pour dégager un consensus entre éditeurs et auteurs sur le contrat d’édition à l’heure du numérique.

C’est ensuite la loi du 26 mai 2011 sur le prix de vente du livre numérique qui, dans l’esprit traditionaliste de protection de l’auteur qu’est celui du Code de la propriété intellectuelle, a introduit à l’article L. 132-5 du CPI un alinéa ainsi rédigé : « Le contrat d’édition garantit aux auteurs, lors de la commercialisation ou de la diffusion d’un livre numérique, que la rémunération résultant de l’exploitation de ce livre est juste et équitable. L’éditeur rend compte à l’auteur du calcul de cette rémunération de façon explicite et transparente. ».

Ces efforts seront finalement couronnés de succès avec l’accord-cadre du 21 mars 2013 signé entre les différents représentants du secteur de l’édition. C’est cet accord qui fait l’objet de l’ordonnance du 12 novembre 2014. L’ordonnance qui doit respecter les dispositions législatives s’écartera ici et là de cet accord afin de ne pas entrer en contrariété avec les règles d’ordre public, nombreuses en matière de droit d’auteur.

Toutefois, avec l’émergence de la dimension numérique la matière devient plus mouvante et il paraît de plus en plus difficile de conserver la même dose d’ordre de public de protection et de direction. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre les organisations professionnelles comporte un code des usages rendu obligatoire, code qui pourra être revu au grès des évolutions des technologiques numériques.

1- Adaptabilité du contrat d’édition au livre numérique

Pour tenir compte de la spécificité de l’œuvre numérique, l’ordonnance modifie la définition du contrat d’édition de l’article L.132-1 du CPI. Selon cet article, le contrat d’édition implique une cession du droit de reproduction, une obligation de fabriquer et enfin une obligation d’exploitation. Désormais, l’éditeur pourra avoir comme autre obligation celle de « réaliser ou faire réaliser (l’œuvre) sous une forme numérique ».

L’expression « réalisation de l’œuvre sous forme numérique » est adéquate alors que le terme « fabriquer » décrit plus l’idée d’imprimerie et de papier. Toutefois ce changement de terminologie reste sans conséquence puisque le résultat reste toujours celui de la publication de l’œuvre (fabriquée ou réalisée).

2- Un contrat d’édition unique avec deux parties distinctes

L’avancée la plus significative de l’ordonnance est celle relative à la distinction dans le contrat d’édition des droits numériques de l’auteur par rapport aux droits d’exploitation de l’œuvre imprimée. On peut penser que ce point a été l’objet d’âpres discussions lors de l’accord-cadre entre les représentants respectifs des éditeurs et des écrivains.

Les éditeurs avaient intérêts à ce que les droits numériques de l’auteur ne fassent pas l’objet d’une distinction afin de leur attribuer la même rémunération que les droits d’exploitation de l’édition papier, alors pourtant que les frais à engager sont nettement moins élevés pour la réalisation de l’œuvre numérique.

L’auteur au contraire avait tout à gagner à obtenir que soit distinguée dans le contrat d’édition la cession de ses droits numériques, cela lui permet en effet de négocier à la hausse son taux de rémunération en ce qui concerne ces droits numériques.

Ainsi, l’ordonnance prévoit que lorsqu’un éditeur propose à l’auteur de l’œuvre une publication également numérique de son livre, le contrat d’édition distinguera les conditions de cession des droits d’exploitation dans une partie distincte de celle prévue pour la forme imprimée de l’œuvre.

Cette disposition fait l’objet d’un nouvel article L.132-17-1 du CPI : « Lorsque le contrat d’édition a pour objet l’édition d’un livre à la fois sous une forme imprimée et sous une forme numérique, les conditions relatives à la cession des droits d’exploitation sous une forme numérique sont déterminées dans une partie distincte du contrat, à peine de nullité de la cession de ces droits ».

3- Une reddition des comptes pour l’œuvre sous forme numérique

Le nouvel article L.132-17-3 introduit par l’ordonnance précise dans un luxe de détails les conditions dans lesquelles l’éditeur transmettra à l’auteur un état des comptes relatif à sa rémunération. Il précise aussi que l’exploitation de l’œuvre numérique et celle de l’œuvre imprimée font l’objet d’une partie spécifique.

Les obligations afférentes à l’état des comptes sont renforcées et strictement encadrées. L’éditeur s’expose à la résiliation de plein droit du contrat d’édition en cas de manquement à l’une d’entre elles.

4- La rémunération de l’auteur d’une œuvre numérique

L’ordonnance, reprenant l’accord-cadre, a prévu un système de rémunération des droits électroniques relativement complexe. Elle a conservé le principe d’une rémunération soit proportionnelle soit forfaitaire mais en l’aménageant et en veillant à ne pas proposer un modèle économique de rémunération qui risque de devenir rapidement obsolète du fait de l’évolution constante de l’offre commerciale sur Internet (par exemple l’offre de bouquet de livres numériques du distributeur Cyberlibris).

L’idée d’une rémunération « juste et équitable » de l’auteur prévue par la loi du 26 mai 2011 est reprise par l’ordonnance alors que l’accord-cadre en avait fait l’économie. Le nouvel article L.132-17-6 du CPI dispose ainsi dans un premier alinéa que « le contrat d’édition garantit à l’auteur une rémunération juste et équitable sur l’ensemble des recettes provenant de la commercialisation et de la diffusion d’un livre édité sous une forme numérique ».

Jusqu’à présent, l’article L.132-5 du CPI disposait simplement que la rémunération est soit proportionnelle aux produits d’exploitation, soit forfaitaire. L’ordonnance supprime cette dernière disposition et introduit un système de rémunération qui tient compte des particularités de la commercialisation de vente de livres numériques sur Internet.

Il rappelle ensuite le principe de la rémunération proportionnelle en cas de vente à l’unité d’un livre numérique sur la base du prix de vente au public hors taxe. L’auteur peut également participer à toutes les recettes, mêmes publicitaires, réalisées par l’éditeur, sans que l’ordonnance apporte plus de précision sur la détermination de ce montant.

5- Stipulation d’une clause de réexamen dans le contrat d’édition

Du fait de l’incertitude du modèle économique, en perpétuelle évolution, sur lequel repose les conditions de cession des droits d’exploitation numériques, il était intéressant pour les parties à l’accord-cadre de prévoir une clause de révision de ces conditions.

L’ordonnance introduit ainsi un article L. 132-17-7 disposant que « le contrat d’édition comporte une clause de réexamen des conditions économiques de la cession des droits d’exploitation du livre sous une forme numérique ».

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