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L’obligation de délivrance du bailleur en matière de bail à usage de restaurant. Par Donatella Halfon, Avocat.
Parution : mercredi 19 novembre 2014
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Un bailleur manque à son obligation de délivrance en donnant en location un local à usage exclusif de restaurant-brasserie dépourvu de système d’extraction de l’air pollué.

Le bailleur est tenu de délivrer une chose louée « en bon état de réparations de toute espèce » [1] en vue de permettre au preneur d’exercer l’activité prévue au contrat.
Cette obligation connaît une résonance particulière en matière de bail à usage de restaurant.
En effet, la Cour de cassation dans un arrêt de la 3ème chambre civile en date du 13 juillet 2010 a affirmé que le bailleur manque à son obligation de délivrance en donnant en location un local à usage exclusif de restaurant-brasserie dépourvu de système d’extraction de l’air pollué et ouvre au locataire le droit d’agir en exception d’inexécution.
En l’espèce, suite à la prise à bail d’un local à l’usage exclusif de restauration-brasserie à l’exclusion de toute autre activité, le locataire a, lors de travaux d’aménagement des locaux, été informé par les entrepreneurs que le restaurant ne comportait aucune gaine d’extraction de l’air pollué de la cuisine au mépris des règles d’hygiène et de sécurité issues notamment de l’article 63-1 du Règlement Sanitaire Départemental lequel dispose :
« Les prises d’air neuf et ouvrant doivent être placés en principe à au moins 8 m de toutes sources éventuelles de pollution. L’air extrait des locaux doit être rejeté à au moins 8 m de toutes fenêtres ou de toutes prises d’air neuf sauf aménagement tel qu’une reprise d’air pollué ne soit pas possible. L’air extrait des locaux à pollution spécifique doit en outre être rejeté sans recyclage. »

En l’espèce, le bailleur avait refusé de faire droit aux demandes réitérés du locataire en vue de l’installation d’un système d’extraction compte tenu de la charge financière qui en résultait.
Cette situation ayant engendré des difficultés financières pour le locataire celui-ci n’a plus été en mesure de régler son loyer au bailleur qui l’assigna en résiliation du bail en application de la clause résolutoire insérée dans le bail.
Le locataire estimait quant à lui que le manquement du bailleur à son obligation de délivrer un local lui permettant d’exercer son activité lui permettrait de soulever l’exception d’inexécution et en conséquence de ne plus payer son loyer.

La Cour de cassation :
- après avoir constaté au vue d’un rapport d’expertise que du fait de ses manquements le bailleur n’avaient pas permis au Locataire d’exercer pleinement son activité de restaurant
- après avoir constaté également qu’il n’était établi ni que le contrat de bail ait transféré au preneur la charge de réaliser le dispositif d’extraction des fumées, nécessaire, aux termes de la réglementation, à l’exploitation des locaux conformément à leur destination, ni que le preneur ait été informé des difficultés techniques qui devaient s’attacher à la conduite de tels travaux dans les lieux loués .
A déclaré nul et de nul effet le commandement de payer, visant la clause résolutoire et affirmé que le bailleur avait manqué à son obligation de délivrance ce qui autorisait le locataire à invoquer l’exception d’inexécution.

La Cour de cassation a de plus confirmée que la perte d’exploitation subie par le locataire devait être indemnisé par le bailleur.

Cet arrêt confirme une fois de plus que le bail à usage de restaurant doit faire l’objet d’une rédaction scrupuleuse afin que les droits et obligations de chaque partie soient clairement définis au moment de la prise à bail.
.Compte tenu de la multiplication des baux à usage de restaurant ou de petite restauration, il arrive de plus en plus fréquemment que de tels litiges surviennent.
Les hostilités étant la plupart du temps déclenchées par la copropriété qui prétend subir de ce fait des nuisances olfactives.

A cette occasion, le bailleur enjoint généralement au locataire d’effectuer les travaux nécessaires si cela est réalisable sous peine de résilier le bail par anticipation.

La Cour de cassation a jugé, le 13 juillet 2010, qu’en l’absence de dispositions particulières dans le bail, le bailleur viole son obligation de délivrance d’un local conforme en ne faisant pas procéder à l’installation d’un système d’extraction de l’air pollué dans le local de restauration loué et que le locataire pouvait valablement invoquer cette exception d’inexécution pour ne pas payer son loyer. [2].

Le bailleur qui souhaiterait éviter qu’une telle obligation soit mise à sa charge devra impérativement prévoir dans le bail que l’installation d’une gaine d’extraction relève de la responsabilité du locataire.
Mais le cas échéant, le bail devrait également prévoir à mon sens que l’installation d’une telle gaine constitue une condition suspensive ou même résolutoire de l’exécution du bail commercial dans la mesure où en son absence le bailleur et le locataire violent, dans le cadre d’un bail à usage de restaurant, les dispositions de l’article 63-1 du Règlement Sanitaire Départemental.

Donatella Halfon Cabinet GH & ASSOCIES donatella.halfon@wanadoo.fr

[1art. 1719 du Code civil

[2Cass. Civ. III, 13 juillet 2010, N° de pourvoi : 09-15409