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La surveillance « humaine » et la surveillance « technologique » des salariés. Par Alina Paragyos et Pierre Befre, Avocats.
Parution : vendredi 21 novembre 2014
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L’employeur qui sanctionne un salarié ne peut se contenter d’affirmer que la faute du salarié existe.
Il doit pouvoir démontrer la réalité et la matérialité des faits qu’il reproche au salarié.
De ce fait, les salariés sont soumis à un contrôle et à une surveillance de leur activité.

Mais attention, si le droit de surveillance de l’employeur est reconnu, il est borné par des limites :
• Le respect des droits et libertés individuelles du salarié ne disparaissent pas au sein de l’entreprise, en effet, ces méthodes ne doivent porter atteinte ni à la dignité du salarié, ni à sa vie privée ;
• L’exigence de transparence : le dispositif de contrôle doit en principe faire l’objet d’une information des salariés, d’une consultation du comité d’entreprise ou à défaut des délégués du personnel et le cas échéant d’une déclaration à la CNIL ;
• Enfin, l’exigence de proportionnalité : le contrôle doit être justifié par un intérêt légitime (productivité, sécurité ou encore risques particuliers de vols) et ne pas être excessif. En cas de non-respect de ce principe, le salarié ou les délégués du personnel peuvent saisir le juge prud’homal qui pourra ordonner toute mesure afin de faire cesser l’atteinte aux droit et libertés individuelles des salariés, en vertu de l’article L.2313-2 du Code du travail.

Partant, la surveillance des salariés peut se faire par le biais de moyens technologiques (écoutes téléphoniques, vidéo-surveillances etc.), ou au contraire, par le biais de moyens humains.
Quels que soient les moyens de contrôle (technologiques) mis en œuvre dans l’entreprise, l’employeur doit au préalable en informer les salariés.
Cette obligation résulte de l’article L.1222-4 du Code du travail, selon lequel aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié :
-  Il en va ainsi pour les caméras de vidéo-surveillance. La Cour de cassation a estimé que « si l’employeur à le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite. » (Cass. Soc., 20 novembre 1991, n°88-43.120)
-  En outre, les salariés doivent être informés du procédé de surveillance même si ce procédé est matériellement visible (Cass. Soc., 15 mai 2001, n°99-42.937)
La jurisprudence n’a en revanche pas précisé quelle forme devait prendre cette information des salariés.

Par ailleurs, le contrôle des salariés, outre le contrôle par les technologies, peut également être humain.
En effet, le droit de contrôle et de surveillance peut être exercé par l’employeur lui-même (dans les petites entreprises).
En outre, un supérieur hiérarchique peut également procéder à cette surveillance, sans en informer préalablement le salarié (Cass. Soc., 26 avril 2006, n°04-43.482).

De fait, la principale différence entre les deux moyens de preuve, l’un technologique, l’autre humain, se trouve dans l’information du salarié.

Ainsi, si l’organisation d’une filature du salarié est exclue par la Cour de cassation (Cass. Soc., 26 novembre 2002, n°00-42.401), en raison de l’atteinte portée à la vie privée du salarié, celle-ci reconnait en revanche qu’un « constat d’huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l’information préalable du salarié » (Cass. Soc., 10 octobre 2007, n°05-45.898). Il pourra donc être produit à l’appui d’un licenciement disciplinaire, sans que le salarié ne puisse se prévaloir de l’absence d’information.
Toutefois, le constat doit être établi pour constater des faits, il ne s’agit pas pour l’huissier de piéger le salarié en montant tout un stratagème.

De la même manière, le simple contrôle de l’activité d’un salarié par son employeur ou par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission ne constitue pas un mode de preuve illicite, et ce, même en l’absence de l’information individuelle du salarié et de la consultation du comité d’entreprise (Cass. Soc., 4 juillet 2012, n°11-14.241).

Dans le même ordre d’idée, dans un arrêt récent de la Cour de cassation du 5 novembre 2014, celle-ci a jugé que :
Constituent des moyens de preuve licites les contrôles organisés par l’employeur, et confiés à des cadres, pour observer les équipes de contrôle dans un service public de transport dans leur travail au quotidien sur les amplitudes et horaires de travail, limités au temps de travail et qui n’avaient impliqué aucune atteinte à la vie privée des salariés observés.
En l’espèce, M. O, engagé à compter du 28 novembre 1995 en qualité de contrôleur par la société S, était en dernier lieu, chef de contrôle trafic voyageur. Il a été licencié pour faute grave par lettre du 25 janvier 2010.
La Cour d’appel (CA Versailles, 28 mars 2013, n°11/02194) ayant considéré que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse et l’ayant débouté de ses demandes liées à la rupture, le salarié s’est pourvu en cassation.
La Haute juridiction a rejeté le pourvoi, au motif que le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l’absence d’information préalable du salarié, un mode de preuve illicite.
Elle ajoute qu’ayant relevé que le contrôle organisé par l’employeur, confié à des cadres, pour observer les équipes de contrôle dans un service public de transport dans leur travail au quotidien sur les amplitudes et horaires de travail, était limité au temps de travail et n’avait impliqué aucune atteinte à la vie privée des salariés observés, la Cour d’appel a pu en déduire que les rapports « suivi contrôleurs » produits par l’employeur étaient des moyens de preuves licites (Cass. Soc., 5 novembre 2014, n°13-18.427).
Cela signifie que l’employeur peut mandater des salariés pour en surveiller d’autres dans le cadre de leur activité professionnelle.

Cet arrêt est d’autant plus important, puisqu’il établit une différence nette entre la surveillance « humaine » et la surveillance « technologique », la seconde devant obligatoirement être portée à la connaissance de salariés.

Me Alina PARAGYIOS, Me Pierre BEFRE Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris http://www.cabinet-ap.fr